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Critique

Grandir est un sport de combat « Olga » d'Elie Grappe

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Un corps de jeune fille qui défie les lois de son physique, un regard d’adolescente sur le pouvoir, le sport au tribunal des loyautés, les déchirements d’une révolution : intense et juste, ce premier long métrage d’un cinéaste de 27 ans est aussi l'un des plus beaux films de l’année.

Sommaire

Euromaïdan

Gymnaste d’élite basée à Kiev, Olga a quinze ans en 2013. À l’approche du championnat d’Europe, la jeune fille doit s’exiler pour endosser les couleurs de la Suisse, pays d’origine de son père qu’elle a à peine connu. Les raisons de cette expatriation n’ont rien de stratégique. Un soir, en revenant de l’entraînement, elle est la victime collatérale d'une tentative d’attentat visant sa mère, journaliste politique engagée dans la lutte contre la corruption du gouvernement. Parlant mal le français, très attachée à ses ex-coéquipières et à sa mère, Olga éprouve durement cette séparation forcée, peinant de ce fait à trouver sa place au sein de sa nouvelle équipe. Déterminée à remporter une médaille, Olga parvient cependant à concentrer son énergie sur son travail de gymnaste. À la veille de la compétition, elle apprend que ses compatriotes sont descendus dans la rue. Rassemblés Place de l’Indépendance à Kiev (Maïdan Nezalejnosti), ils entendent exprimer leur colère contre la décision du président Viktor Ianoukovitch de suspendre l’accord d’association avec l’Union européenne, au profit d’un rapprochement avec la Russie.

Né en 1994, passé par le Conservatoire de Lyon avant d’intégrer l’école d’Art de Lausanne, Elie Grappe combine les approches de la fiction et de documentaire. Dans ce premier long métrage, deux régimes d’images, l’un concentré autour du personnage imaginaire d’Olga, l’autre basé sur les vidéos des manifestants ukrainiens, disent bien le refus du réalisateur de recourir à la reconstitution pour un événement dont la mémoire ne lui appartient pas.

Bien que le volte-face soit ce qui prédomine dans le caractère de l’adolescente, le dispositif laisse parler les différents espaces qui, d’une certaine manière, influent sur sa condition. Entre l’Ukraine et la Suisse, Maïdan et le centre sportif de Macolin dans le canton de Berne, entre la modernité tapageuse de certains quartiers de la ville de Kiev et l’immuable souveraineté de la montagne sous la neige, entre les muscles, enfin, et la volonté, ce sont moins des effets de contrastes qu'un rappel obstiné de ce qui limite le corps. La liberté de la gymnaste s'identifie au mouvement : Olga entend là l’urgence de retraverser la frontière. Existe-t-il terrain plus favorable à la culpabilité et la détresse que celui de l’exil ?

Un monde en feu

Soustraite à la possibilité de pouvoir même choisir entre son destin d'athlète et son sang d’Ukrainienne, dépossédée des papiers qui lui permettraient de rentrer chez elle pour prendre part à la révolution, Olga ne peut que naviguer, corps et esprit, dans un quotidien à la fois extrêmement physique et tout aussi virtuel, empli des images qui défilent sur les écrans de son portable ou de son smartphone.

Sur un scénario qui convoque autant d'empathie que de pathos, Elie Grappe prend en charge le personnage d’Olga en restant au plus près de son regard à elle, celui d’une tristesse habitée par une poignante détermination. En outre, l’inscription du politique dans un sujet lié à l’adolescence interroge avec une grande intelligence le rapport au monde d’une jeunesse contrainte de mener ses propres combats et métamorphoses sur un sol en feu, plus que jamais prêt à s'effondrer.

La grille politique englobe également le sport, sujet que le cinéaste examine sous l’angle impérieux des loyautés nationales. Le coach ukrainien passé du côté russe, la meilleure amie d’Olga à Kiev, cheffe de l’équipe nationale qui, dans un moment de bravoure, sacrifie son titre pour clamer devant les caméras « Free Ukrainia ! Free Ukrainia ! », et Olga, lestée de sa neutralité suisse nouvellement acquise qui l'arrange tout autant qu'elle la dérange : voici trois personnages, trois modèles d’attitudes dans un univers marqué par des échanges et des déplacements de corps qui, le plus souvent, ne suscitent guère plus que des commentaires d'ordre économique.

Puissance de l'effort

Pour Elie grappe, l’effort vaut davantage que la performance. Sur la thématique sportive, il remet ainsi en cause la vision dominante qui présente la victoire comme étant la récompense légitime d’une souffrance inhumaine. Loin de prêter sa voix à l’idéologie du dépassement et du progrès, le cinéaste se tient au plus près d’un corps et d’une volonté au travail. Le choix de filmer en plans rapprochés les exercices aux barres asymétriques restitue chaque mouvement dans sa stupéfiante et sublime complexité, montrant que le geste de l’artiste réside dans le détail bien avant qu’advienne la conclusion qui sanctionnera l’éventuel exploit.

Ce qui m’a intéressé chez ces jeunes sportives, c’est l’écart entre leur idéal de perfection et ce qu’elles sont en dehors de leur pratique : des adolescentes pétries d’émotions, avec leur force, leurs peurs et leurs désirs contradictoires. — Elie Grappe

Sur base des situations que décrit le scénario, les interprètes improvisent selon leur propre langue, leur propre langage, leurs propres aptitudes physiques. Le rôle d’Olga, comme celui de ses compagnes, est tenu par une gymnaste d’élite, Anastasia Budiashkina appartenant à l’équipe nationale de réserve ukrainienne.

Le contexte de l'Euromaïdan ajoute une dimension essentielle à ce splendide portrait d’adolescente qui, chose rare, épouse la dynamique d’un corps en action, d'un être déterminé à donner un sens à sa vie. Un sens dont Olga sait qu'il dépend d’elle avant tout, de son talent, de son travail, mais aussi du contexte géopolitique et social dans lequel elle est née. Plus que tout autre chose, c'est cette connaissance singulière, cette lucidité en tant que citoyenne d'un pays en guerre qui éclaire ses choix et fonde sa liberté.


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : O'Brother


Sortie en Belgique le 08 décembre 2021.

Distribution : O'Brother

En Belgique francophone, le film est projeté dans les salles suivantes :

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Bruxelles Le Palace, Kinograph, Vendôme

Charleroi Quai 10

Liège Le Churchill

Mons Plaza Art

Namur Cinéma Cameo

Nivelle Ciné4

Stavelot Ciné Versailles

Waterloo Wellington