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Critique

Portrait d'un jeune homme d'aujourd'hui : « Le Lycéen » de Christophe Honoré

LeLyceen03©JeanLouisFernandez 307.jpg
Placé sous le signe du deuil, ce film suit le cheminement chaotique d'un adolescent pris de court entre la douleur, la colère et un désir sans objet.
La perte de mon père, et ma jeunesse (...) infusent dans la plupart de mes films, mais j'avais envie de les raconter d'une manière plus franche. Comme je n'avais pas envie d'un film nostalgique, j'ai décidé que ce serait un portrait d'un jeune homme d'aujourd'hui. — Christophe Honoré

Pour Christophe Honoré l’adolescence est un état qui perdure. Un rapide regard sur ses personnages montre que rien ne les dirige sinon le désir qu'ils ont de ne pas rester en place, de ne pas ressembler à ce qu'ils pourraient devenir. A cet égard, l'adolescence est bien une attitude, une façon de ne pas transiger avec des émotions par essence fugitives.

Il est donc notable que dans Le Lycéen, Christophe Honoré revendique une discipline de sincérité pour remonter le fil de la propre jeunesse. Loin de la posture esthétique qui semblait prévaloir dans ses films précédents, l’adolescence y apparaît comme un saut dans le vide suivi d'un atterrissage brutal dans le réel.

Le début du film décrit une situation de non-retour. Un homme (Christophe Honoré himself) meurt brutalement sur la route. Accident ou suicide ? Le doute s’insinue dans le cœur de son plus jeune fils, Lucas (Paul Kircher). Sur une idée de sa mère (Juliette Binoche, entre rires et larmes), le jeune homme de 17 ans part s’installer à Paris chez son frère interprété par un Vincent Lacoste sombre et sérieux. Non sans réticences, ce dernier endosse le rôle impossible du père de substitution.

Mais pour Lucas, il ne s’agit pas de trouver refuge dans une feinte consolation. Pas plus qu'il ne désire se changer les idées, s’étourdir ou se divertir, rien de ce qui s'apparente au chemin tout tracé qu’on appelle le deuil ne lui parle. En revanche il tient à tirer au clair le fait brut de la mort. Qu'est-ce que c'est que de n’avoir plus de père ? Se sentir abandonné ? Libéré ? Une image lui vient qui veut à la fois tout dire et pas grand-chose : la vie, pour Lucas, serait comme une bête sauvage.

Il va alors tenter des choses plus ou moins risquées, son entourage va s’inquiéter, venir à son secours, proposer aide, soutien, soin. Rien ne peut combattre le sentiment de l’irrémédiable qui étreint le jeune homme. On le voit, tant par son attitude que par ses actes finalement assez prévisibles, Lucas n’échappe pas aux mythographies de son âge.

À un moment, si vous vous sentez exclus de la vie, il faut au moins essayer de rendre le rêve possible. — Christophe Honoré

La manière dont l’histoire se raconte épouse à la fois la rage et la déroute de Lucas. En donnant la parole au jeune homme, face caméra, Christophe Honoré arrime son propos à un présent égaré et revêche. Pour produire cet effet, le cinéaste s’est souvenu de l’impression de grande confusion qui avait accompagné sa lecture du roman de Dostoïevski intitulé L’Adolescent (1875). Comme à son habitude – et c’est un fait volontaire – l’écrivain russe ne prétend pas mettre de l’ordre dans les pensées bouillonnantes d’un héros qui ne l’est pas moins. Fidèle au surgissement d’un sujet qui n’a pour lui que sa force d'expression, l’écriture se fait l’écho d’un esprit enfiévré enclin à se contredire, à oublier, à passer du coq à l’âne. Lucas a beau réfléchir, analyser sa situation avec les outils de son âge et de son monde, la littérature, le désir, la musique, internet, rien ne peut faire sens à travers lui.

Sur cette pente sinueuse, le film garde le cap de la chronique. Celle d’un dérèglement émotionnel certes, mais aussi celle d’un arrière-plan ancré dans le contemporain. Sous ce regard, l’homosexualité d’un personnage peut apparaître comme un fait objectif dont il n’y a pas lieu de discuter. La manière dont Lucas suit son désir est là encore significative d’un refus de s’imposer un ordre, de faire récit.Quitte à se contredire, à revenir sur ses pas, plutôt que de se perdre en questions, Lucas avance par affirmations successives.



Le Lycéen - Christophe Honoré

France - 2022 - 2h02

Le film est distribué en Belgique par Athena Films


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : ©Jean Louis Fernandez / Athena Films

Sortie en salles en Belgique le 30 novembre 2022

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