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Critique

« Les Amandiers » de Valeria Bruni-Tedeschi

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En revenant sur ses débuts d’actrice dans les années 1980 aux côtés de Patrice Chéreau et Pierre Romans à l'école de théâtre de Nanterre, Valeria Bruni-Tedeschi dresse le portrait d’une jeunesse exaltée unie par une vision absolutiste de la vie et du travail.

Sommaire

Regardez ces enfants, regardez les crimes qu’ils commettent, regardez comme ils se mentent à eux-mêmes, comme ils veulent apprendre et ne peuvent pas, comme ils veulent faire le tour de toutes les expériences et les épuisent en si peu de temps, et quels espoirs pourtant ils portent encore en eux quand la lune est pleine. Je vous laisse avec eux, ils sont comme nous, ils ont envie d’être aimés. — Patrice Chéreau

Jeunesse

Dérangeante, le mot n’est trop fort pour qualifier une prise de libertés dont le contenu politique pourrait aujourd’hui passer pour l’inverse de ce qu’il prétendait défendre à l'époque. Jack Lang était alors ministre de la culture et les artistes entretenaient l'ivresse de changer la société. Nommé directeur du théâtre de Nanterre en 1982, Patrice Chéreau s’était associé à Pierre Romans, également comédien et metteur en scène, pour y accueillir et former des jeunes acteurs désireux de s’initier à un théâtre proche de celui que Lee Strasberg avait lancé à New York. Venue de Russie où on l'appelle encore Système Satanislavski, la Méthode développée à l'Actors Studio préconisait un recours aux moyens physiques, ou états de corps, afin de faire émerger par la mémoire émotionnelle une présence scénique puissante et authentique.

Ce qu’on vient chercher aux Amandiers, c’est une contre-éducation. Lorsque Valeria Bruni Tedeschi rejoint la troupe à la fin de la décennie, ils sont dix-neuf sur plus de deux mille candidats ayant échoués au concours. Sa promotion sera la dernière. L’endroit n’a rien d’un Conservatoire ni d'un cours de théâtre classique. Adulés par les élèves, Chéreau et Romans ne mettent aucun frein à leur tempérament fiévreux. Leurs excès donnent la mesure de leur exigence. Dans un égal dédain des hiérarchies et des conventions, ils entretiennent des rapports de drogues et de sexe avec des élèves qu'ils veulent libres et disponibles, sans attaches et totalement voués à la création. L’acteur doit accepter de perdre le contrôle. A cet égard, des paroxysmes sont fournis par le contexte d’une vie en communauté, quels qu’en soient les risques.

Légende

Pour revisiter une expérience qui fut la sienne autant qu'une sorte de transe collective, Valeria Bruni Tedeschi a choisi le mode de la fiction. Parmi tous les acteurs de sa promotion, seuls les noms de Chéreau et Romans ont été conservés, à eux deux ils constituent le socle historique du récit. Et c'est à la lumière de la légende où ils se tiennent à présent que se dessinent tous les autres personnages. Au centre, il y a Stella (Nadia Tereszkiewicz), petite fille riche honteuse de ses origines qui voit dans le théâtre un lieu utopique où les distinctions de classe sont abolies. Sa meilleure amie s'appelle Adèle (Clara Brétheau), Etienne (Sofiane Bennacer) est son amant héroïnomane. Tout ce qui mobilise ces jeunes acteurs sur scène se retrouve dans les relations qu'ils nouent entre eux en dehors des séances de répétition, violence que Platonov, la pièce de Tchekhov qui se monte cette année-là et dont Chéreau fera ensuite un film, Hôtel de France (1987) saisit avec une moindre intensité. Les Amandiers laisse l'image d'un laboratoire brûlant où le travail le plus ardu, nécessaire et risqué consiste à abattre les murs de la réserve pour atteindre une vérité émotionnelle apte à jeter le doute sur l’existence même.

Avec le film en substitut du théâtre, Valeria Bruni Tedeschi rassemble à son tour une nouvelle génération d'acteurs. Au casting a prévalu un critère de personnalité plus que de talent. C’est ainsi que l’ex-élève devenue cinéaste assume désormais sa part de transmission. Ses propres recrues n'ont jamais connu Chéreau, à l'instar de Louis Garrel qui tient le rôle du maître. Le réalisateur de L'Innocent a pu ainsi se pencher sur son propre travail de metteur en scène sans se soucier du personnage historique au-delà de ce qu'il lui a déjà emprunté.

Peu présent à l'écran, le directeur des Amandiers n'y apparaît pas grandi, moins encore magnifié si ce n'est dans le regard de ses élèves.

Pour Chéreau, il a fallu que je me fasse violence. Je me suis dit qu’il aurait détesté être évoqué sans défauts. Il n’aimait pas les personnages lisses, il aimait les personnages qui avaient des zones d’ombre. Il aimait passionnément les êtres humains et il aurait détesté être représenté comme une idole. L’irrespect était fondamental dans ses films et dans ses mises en scène. Par respect pour lui il fallait que je ne le respecte pas. — Valeria Bruni Tedeschi

Théâtre

Le dialogue entre la vie et le théâtre facilité par la fiction, c’est ce que propose donc ce film dont le volet mémoriel lorgne vers la transmission. Car là où la vie pose des limites, le théâtre prend le relai et là où le théâtre s’avère tout aussi défaillant, hésitant, insécurisant et dans tous les cas incapable de répondre aux questions qu’on lui pose, le cinéma se charge de ramener le sujet à son point de départ : la vie.

C’est sur cette formule toute simple que fonctionnait, il y a quinze ans, Actrices (2007). Avec Les Amandiers, la filmographie de Valeria Bruni Tedeschi s'étoffe d'un diptyque où se télescopent les territoires de l’intime et ceux de la scène, souvenirs personnels et dramaturgie russe (Tourgueniev, Tchekhov) par le biais de la figure ambiguë de Chéreau. Mais contrairement à ce dernier auquel l’esprit de sérieux n’a jamais fait défaut, c’est chez la réalisatrice franco-italienne une manière de sauter allègrement d’un registre à l’autre, du faux au vrai, du vrai au faux, du rire aux larmes et d’embrasser la légèreté comme seul moteur d’action. Très formel et très construit, ce va-et-vient renvoie à une tradition de cinéma qui va de la comédie italienne à Woody Allen en passant par Panique à Needle Park pour ce qui est de la place occupée par la drogue au sein d'un couple amoureux.

Tout autant que Chéreau, la démarche de Valeria Bruni Tedeschi d’aller au fond des émotions aboutit au constat qu’il n’y a pas, à cet endroit, de différence entre le jeu et la vie. Loin de nourrir un cynisme sulfureux ou une soif de libertinage, le redoublement par excès correspond à une quête de vérité, celle qui consiste à saisir le vrai par le faux, le sentiment dans sa représentation.



Les Amandiers - Valeria Bruni-Tedeschi

France - 2022 - 2h05

Le film est distribué en Belgique par Cinéart


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Cinéart

Sortie en salles en Belgique le 16 novembre 2022

Agenda des projections

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