Il est tentant de résumer cette histoire avec quelques chiffres : 417 chansons, 18 cahiers de paroles, 49 années de carrière, 13 disques d'or et 1 victoire à l'Eurovision en 1986. Rien de tout ça n’était prévu lorsque Rosario Marino arrive en Belgique, à l’âge de trois ans, avec ses parents immigrés italiens. Comme eux, il se destine à devenir ouvrier, dans la région liégeoise, et étudie sagement à l’école. Dans ses moments de liberté, il griffonne, sur des cahiers, des textes, des poèmes, des chansons d’amour déjà. Le hasard se mettra en route très rapidement. Un garçon du quartier s’intéresse à ces cahiers, à ses textes et lui demande l’autorisation d’en emprunter un. Il revient quelques jours plus tard après l’avoir mis en musique. Il le chante à Rosario, en s’accompagnant à la guitare. Rosario est convaincu, un peu ému même. C’est le début d’une collaboration à long terme avec son ami Francesco Barracato, qui change alors son nom en Frédéric François.

Après avoir joué, adolescent, dans des groupes pop, les Éperviers puis Les Tigres Sauvages, Frédéric François se lance à cette époque en solo, mais le succès est lent à venir. Son premier Numéro 1 le sortira d’une période de découragement. En 1971, il sort un 45 tours avec le morceau « Comme on jette une bouteille à la mer » d’un côté, et de l’autre « Je n’ai jamais aimé comme je t’aime » dont le texte est écrit par Rosario, qui le signe du nom de Marino Atria. Ce premier morceau issu de leur collaboration restera treize semaines en tête du hit-parade de l’émission Formule J et vendra 250.000 exemplaires, malgré la prudence du label Vogue-Belgique.

Ce sera le premier d’une longue liste de titres à succès et très vite Rosario décide de quitter l’usine et de vivre de sa plume, un saut dans l’inconnu qu’il n’a jamais regretté depuis. La situation de l’époque est bien sûr très différente de celle d’aujourd’hui et on pouvait en ce temps-là vivre de la musique. L’industrie du disque ne s’était pas encore effondrée et les ventes de 45 tours soutenaient toute une économie qui faisait vivre les vedettes, mais aussi les musiciens… et les paroliers. Rosario sera pendant de nombreuses années le parolier du troisième chanteur le plus vendu en Belgique, après Jacques Brel et Salvatore Adamo. Cette collaboration perdra son exclusivité en 1978 quand Frédéric François cherchera à changer de style et se liera avec Didier Barbelivien, mettant fin à leur complicité. Mais le parolier a continué, avec d’autres artistes, dont une jeune chanteuse de treize ans et demi : Sandra Kim, pour qui il écrira le morceau qui gagnera le concours Eurovision de la chanson en 1986.

Toute cette aventure est racontée par Rosario lui-même, en conversation avec sa fille Rachel. Celle-ci a choisi pour le film une forme très dynamique, entrecoupant les séquences face caméra de documents d’archives et de trouvailles visuelles mettant en scène des objets – cahiers, photos, crayons, etc. – animés avec l’aide de l’atelier Graphoui. Rachel, de son propre aveu, connait peu le métier de son père. Cela lui permet de poser en toute naïveté des questions sur son travail : D’où vient l’inspiration ? Qu’est ce qui vient en premier, la musique ou les paroles ?

Mais c’est aussi l’occasion de revenir sur la vie de sa famille. Elle raconte l’histoire d’une intégration à tout prix, où l’on cherche à faire disparaître toute trace d’accent sicilien et à parler un français (et un wallon) irréprochable. Rosario hésite parfois à parler du voyage de ses parents, de leur pays d’origine, ou à dire ce qu’il pense de la Belgique. Il sait qu’il a échappé à la condition de ses parents, et que son métier l’a sorti de l’usine. Dans un domaine en apparence très codifié, la variété, et dans le monde coriace de l’industrie musicale, Rosario s’est fait une place ni trop grande ni trop petite. Il dit avoir paradoxalement trouvé une forme de liberté dans la musique commerciale.

Le film montre sa vie somme toute assez simple et son regard modeste et amusé sur sa carrière. Il est rempli de moments d’humour ou de tendresse, où on examine ses cahiers un à un, où on découvre que les disques d’or ne fonctionnent pas, et où on apprend pourquoi il est important de mettre les points sur les « i ».

(Benoit Deuxant)

Le film "Parolier" de Rachel Marino sera projeté au cinéma Galerie le 23 Septembre 2021, à 21h.

La projection sera suivie d’un karaoké géant dans le cadre de la Fête de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Gratuit sur réservation - Galerie de la Reine 28 - 1000 Bruxelles