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Critique

« Tromperie », autoportrait de l'artiste en amant.

DSC00978 ©Shanna Besson - Why Not Productions_R.jpg
Agréable à l’œil, élégant, beau parleur, le nouveau long-métrage d'Arnaud Desplechin tiré d'un récit tardif de Philip Roth accueille tous les travers de l’autofiction sans heureusement parvenir à nous rallier à son point de vue rétrograde.

C’est un de ces presque huis-clos qu’a vu fleurir la pandémie qui nous met ici en présence de Philip Roth (Denis Podalydès), écrivain américain en exil à Londres. Marié, l’homme de lettres sexagénaire passe ses journées loin du domicile conjugal dans un luxueux appartement qui semble miraculeusement capturer davantage de lumière qu'il n'y en a dehors. Art de vivre et travail y faisant bon ménage, l’endroit remplit le double emploi de bureau et de garçonnière. Chaque jour, suivant un horaire régulier que seule la passion devrait permettre, une jeune femme (Léa Seydoux) se présente à la porte. Sous ses grands airs, cette Anglaise mariée à un homme volage mais riche cache mal le désarroi de la femme au foyer que les privilèges ne sauvent pas de l’ennui. Flattée d’occuper les après-midi d’un intellectuel de renom, la voilà amoureuse. Elle en vient ainsi à rejoindre les rangs nombreux des muses, passées, présentes, réelles ou fantasmées, auxquelles l'écrivain n’a de cesse de prodiguer attention et caresses.

L’œuvre prolifique de Philip Roth (1933-2018) a inspiré quelques adaptations dans des registres allant du mélodrame (American Pastoral, The Humbling, Lovers) à la chronique sociale autour de la judéité (The Human stain, Goodbuy Coumbus, Portnoy’s complaint) en passant par l’uchronie (The Plot against America repris pour la télévision par David Simon). Paru en 1994, Tromperie (Deception) est un récit tardif en forme d’autofiction. Sous son propre nom, l’auteur élabore une anthologie de conversations collectées auprès de diverses femmes fréquentées au fil des années.

Fervent lecteur de l’illustre romancier, Arnaud Desplechin lui emprunte volontiers les éléments formels qui vont à la rencontre de ses propres conceptions de cinéaste. Ainsi du procédé qui consiste à organiser le récit comme un théâtre, artifice visant à accroître les libertés du metteur en scène en matière de figuration. L’appartement de Philip Roth fonctionne comme un plateau – un jardin, un Eden ? – chargé d’accessoires disposés à accueillir de nouveaux décors au gré du désir qu'ont les personnages de se transporter ailleurs. Suivant une même logique émotionnelle, la chronologie épouse le mouvement de la mémoire tandis que les dialogues s’ordonnent selon une partition similaire privilégiant l’ellipse et la reprise. Autant dire que l’image prend soin de la texture littéraire du sujet, qu'elle n'existe que pour donner du poids aux mots qui se savourent à mi-voix. Un peu affecté, le résultat demeure limpide. Ne soyons pas dupes pour autant : ce côté ouvragé, fébrilement séquencé, pensé, tenu, autoritaire renvoie au maître des lieux, Je suis un théâtre, et rien d’autre qu’un théâtre déclare Philip Roth.

Justement, depuis Comment je me suis disputé, l’autofiction est un peu la forme clandestine qui circule au-travers de toute la filmographie d’Arnaud Deplechin. Ses intrigues à tioirs ne trompent personne. Un peu à la manière de Woody Allen mais sans la légèreté, l’œuvre du cinéaste roubaisien est le reflet d’une passion réflexive dont la part d’autodérision, merveilleusement incarnée par Mathieu Amalric dans Rois et Reine ou Un conte de Noël, manque ici cruellement.

Inconfortable, le film l’est à plusieurs titres. L’action se déroule dans les années 1980, aujourd’hui, le tableau complaisant qu’offrent des femmes d’une grande beauté, d’une grande intelligence et comme par hasard en détresse, semble complètement dépassé. Le fait que l’écrivain se targue de ne pas seulement jouir de leur corps, mais avant tout de satisfaire, en leur inspirante compagnie, un désir de nature audiophile, ne rattrape pas la manière qu’elles ont de se mettre unanimement à sa disposition, muses ou gibier d’écriture. Et quand bien même, il y a toujours ce déséquilibre numérique qui évoque le collectionneur. Que cet homme mette autant d’acharnement à justifier sa position en abusant de son aura d'écrivain, voilà qui pose problème. S’il ne prêtait pas déjà suffisamment à rire, ce héros de salon va se payer son propre procès dans une séquence du plus haut grotesque où on le voit répondre de l’accusation de machisme devant un tribunal féminin. Philip Roth a beau se prévaloir d’une capacité d’écoute qui ferait défaut aux maris de ses dames, s’il est question de psychanalyse, on préférera s’en remettre aux sourcils broussailleux du docteur Dayan, personnage nettement plus désintéressé et ouvert, y compris dans les sessions du mardi qu’Arnaud Desplechin met en scène dans la seconde saison d’En thérapie sur Arte.

On peut donc légitimement se demander en quoi un tel film pourrait nous parler ? Que nous dit-il des femmes qu’il nous prie de regarder et d’écouter suivant l’attention impérieuse qu’il leur consacre ? La photographie fait honneur à la plastique, largement mise à contribution, de Léa Seydoux, de telle sorte que la pudeur de son vis-à-vis masculin s’en voit avantageusement préservée. Surtout, que nous dit-il de la fuite du temps, de l'angoisse de la solitude, des rapports indiscrets entre le travail de création et la vie ? On souffre qu'une telle profusion conversationnelle n’accouche pas de la moindre parole vraie, profonde, originale. Ni sur le plan intime ni sur le plan politique d'ailleurs. On s’ennuie assez vite à entendre l’une se plaindre de son mari, l’autre de l’antisionisme régnant, à moins que ce soit de l’antisémitisme, on ne comprend pas bien d’ailleurs où il veut en venir tant les échanges restent à la surface. Quant à la passion qui miroite en coulisse de la tromperie, ces amants nous offrent avec grâce le spectacle d’un nième jeu de séduction où chacun tente de briller aux yeux de l’autre, vaine affaire qui, sans rapport avec les sentiments, ne semble pas avoir conscience de son caractère tristement convenu.


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : ©Shanna Besson - Why Not Productions et Cinéart

Arnaud Desplechin dans les collections de PointCulture


Tromperie 8.jpg

Agenda des projections

Sortie en Belgique le 27 avril 2022.

Distribution : Cinéart

Bruxelles : Palace

Wallonie : Charleroi Quai 10, Liège Les Grignoux, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Plaza-Art, Namur Caméo, Tournai Imagix

Premium VoD : VOO, Lumiere, Proximus, Sooner

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