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Critique

« The Human Voice » de Pedro Almodovar

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Une femme attend son amant. Il l'a quittée, elle espère encore, se figure le revoir une dernière fois, prolonger l'adieu. Au bout d’un temps infini, il téléphone.

Sommaire

L’intrigue minimale reprend celle d’une pièce de Cocteau créée à la Comédie française en 1930 et découverte par Almodovar dans l’adaptation qu’en a laissée Roberto Rossellini, (L’Amore, 1948). Une femme que son amant a quittée attend que ce dernier vienne reprendre ses affaires. Elle se figure ainsi le revoir une dernière fois, faire ses adieux… Au bout d’un temps infini, il téléphone. S’ensuit un ultime échange dont ne filtrent que ses propos à elle, tantôt implorants, tantôt cajoleurs, faussement magnanimes et raisonnables. Ce registre de l’abandon aussi dramatique qu’agaçant magnifie la version opératique du monologue écrite par Francis Poulenc en 1958.

Tourné cet été, en pleine période de relâche – on s’en souvient, c’est à peine si on se souciait encore de porter un masque – , ce court-métrage qui a toute l'apparence d'un huis-clos sans se reconnaître comme tel semble vouloir tout ignorer de l’état du monde et des ravages de la pandémie. Les conditions sanitaires ont-elles même influé sur sa forme ? On ne saurait dire. Dans les yeux du spectateur, la réclusion que s’inflige l’unique protagoniste (humaine) que regarde la caméra renvoie à l’actualité du confinement, mais les circonstances qui conduisent cette femme à s’enfermer sont d’ordre intime, sans que, par ailleurs, aucun élément ne vienne appuyer l’hypothèse de la métaphore.

Tandis que Cocteau, Rossellini et Poulenc excellent tous trois dans l’art du mélodrame, Almodovar se confronte à la trivialité de la rupture. À quoi bon essayer de retenir celui dont l’intérêt s’est éteint ? Dans sa répugnance à s’exposer au ridicule de ce moment clé de sa propre émancipation que Stanley Cavell nomme « la protestation des larmes », l’amoureuse, ici incarnée avec malice par Tilda Swinton, n’est aucunement dupe de la vanité de sa situation et c’est sur le socle réflexif que s’installe, cruauté supplémentaire pour elle, une sorte de second degré.

Et si tout cela n'était que du cinéma ? L'amour ne répète-t-il pas toujours le même scénario ? En l’occurrence, la femme délaissée est une actrice. Piégée par sa conscience, lucide et résignée, elle signifie clairement qu’elle sait le rôle qu'elle joue. Mettre en scène son propre drame, exagérer la palette des émotions, revisiter tous les stéréotypes de son genre : voilà ce qui, aujourd'hui, devrait suffire à sauver une femme du schéma victimaire de l’amoureuse déchue.

L'artifice et le second degré confèrent-ils au chagrin une saveur plus moderne, voire plus combative ? Certes, l’appartement luxueux dans lequel s’épuise l’amoureuse s’accorde à son métier et à son tempérament d’actrice et d'intellectuelle. Ce décor est comme un écrin à la mesure de Tilda Swinton, dont nul n'ignore le statut d'icône de la mode. C'est un monde si l'on veut, un univers intérieur, un condensé de signes. Le nec plus ultra, c'est cette hésitation entre l'esthétique et le commercial, le raffiné et le fabriqué, l'intime et le tape-à-l’œil. Une telle ambiguïté pourrait avoir quelque chose de contemporain en effet, symptôme d'un matérialisme qui fétichise ses objets, d’art et de consommation.

Et c'est du cinéma. Un cinéma refermé sur lui-même, qui se prend pour plus intelligent et plus beau que la vraie vie. La pandémie le montre bien, renvoyé à sa propre solitude, ce cinéma-là n’a pas beaucoup de prise sur le présent. Ni sur la souffrance.

Texte: Catherine De Poortere

Images : © Cinéart


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 09 juin 2021

Le film est programmé à Bruxelles aux cinémas Le Palace et Vendôme.

Horaire des projections


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