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Critique

« The Most Dangerous Negro in America » : « MLK / FBI » de Sam Pollard

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Basé sur des documents déclassifiés, ce documentaire fait le point sur l’entreprise de surveillance et de harcèlement conduite par le FBI à l’encontre de Martin Luther King soupçonné d’adhérer au communisme.
Hoover était bien plus populaire que Dr. King. La plupart des gens l’ont oublié parce que désormais Hoover est considéré comme un paria, mais à l’époque une majorité d’Américains pensait que c’était un héros. Moi aussi. Adolescent afro-américain, je croyais ce que disait le cinéma, la télévision, les films de Jimmy Stewart. Le FBI c’était les héros, vainqueurs contre les gangsters, vainqueurs contre les communistes. — Sam Pollard*

L’angle d’approche a de quoi déconcerter. Que peut-il ressortir d’une nouvelle confrontation entre Hoover et Martin Luther King ? Confrontation parfaitement imaginaire puisque les deux hommes ne se sont rencontrés qu'une seule fois. À quoi bon remuer toute cette boue accumulée à seule fin de nuire à l’une des figures désormais les plus populaires de l’histoire ? La réponse est tout sauf évidente. Il semble que la nécessité de ce travail tienne à la déclassification prochaine d'un lot d'archives appartenant au FBI portant sur la personne privée du pasteur. Un événement qui demande une remise en contexte.

Pendant les quatre années qui ont précédé son assassinat, de 1963 à 1968, Martin Luther King a donc fait l’objet d’une surveillance obsessionnelle de la part d’Edgar Hoover. Une mise sur écoute obtenue sans difficulté : la cote de confiance de Hoover égalait la crainte qu'inspiraient les mouvements de lutte pour les droits civiques.

Des informateurs furent recrutés parmi les proches du pasteur. Leur mission : alimenter un dossier à charge. Le but du FBI, comme on l’a vu, n’était pas de veiller à la protection de la personne publique, mais de précipiter sa chute. Hoover, fort de son ancienneté à la tête du Bureau, n’avait eu aucun mal à convaincre le président et le département de la justice que sa cible œuvrait en coulisses pour le compte des communistes. Et qui sait, peut-être en fut-il un temps convaincu lui-même. Le révérend n’avait-il pas eu le front de critiquer l’envoi de troupes américaines au Vietnam ? Et quand bien même il n’y aurait eu aucune preuve d’une quelconque accointance avec les Rouges, l’homme n’en demeurait pas moins un agitateur, une menace contre l’ordre public. « Le Noir le plus dangereux d’Amérique » pouvait-on entendre. À partir de là, tous les coups étaient permis.

Or si rien de politiquement suspect ne devait ressortir des écoutes, la vie privée du leader ne manquait pas d’éléments susceptibles de casser l’image d’un homme d’église.

Dans les grandes lignes, les faits sont déjà connus. On peut en trouver une trace dans Une histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn publié en 1980. Dans cet essai, on peut lire le paragraphe suivant :

Au printemps 1968, il [Martin Luther King] s’emporta contre la guerre du Vietnam malgré le conseil de certains dirigeants noirs qui craignaient de perdre des alliés à Washington. Il établissait un lien entre la guerre et la pauvreté : " Nous devons inévitablement soulever la question du tragique renversement des priorités. Nous dépensons tout cet argent pour la mort et la destruction alors que nous n’en accordons pas assez pour la vie et le développement. Lorsque les armes de guerre deviennent une obsession nationale, les impératifs sociaux en souffrent inévitablement ". Dès lors, King devint une des cibles privilégiées du FBI qui enregistrait ses conversations téléphoniques privées, lui envoyait de fausses lettres de menaces, le menaçait directement, le faisait chanter et lui conseillait même dans une lettre anonyme de se suicider. — Howard Zinn (trad. Frédéric Cotton, Agone, p.523).

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L’historien s’en tient à ce propos laconique. Sam Pollard lui va plus loin faisant ainsi écho aux allégations du FBI. Pourquoi ? Ex-proche collaborateur de Spike Lee et auteur de nombreux films ayant trait à l’esclavage et au racisme en Amérique, le documentariste a estimé qu’il était de son devoir d’exposer, de façon neutre et didactique, un matériau qui, rendu public, soulèverait probablement une émotion indésirable. Ces archives font essentiellement état d’aventures hors mariage. Une accusation plus préoccupante, mais d’autant moins fondée qu’elle n’a fait l’objet d’aucune plainte n'ayant pas, a fortiori, entraîné d’intervention de la part des agents postés dans la chambre attenante, concerne le fait que Martin Luther King aurait été témoin d’un viol collectif.

Sam Pollard marcherait-il sur des œufs que cela ne se remarquerait pas. Rarement aura-ton vu, dans ce genre de documentaire, montage aussi brillant. Entièrement construit sur des images d’archives, le film ne rencontre aucun temps mort. Les avis et analyses des universitaires (Donna Murch, Beverly Gage, David Garrow, Marc Perrusquia, d’un proche de King (Clarence Jones) ou du successeur de Hoover (James Comey) épousent le flux ininterrompu des images. Le procédé s’apparente à une enquête en immersion. Les faits sont énoncés, discutés et donnés à voir comme s’il s’agissait d’abolir la distance entre le passé et le présent, comme si hier était encore aujourd’hui. C’est d’ailleurs le sens que Sam Pollard veut donner à son travail :

Nous sommes un pays fondé sur l’esclavage et à ce titre, nous continuons à affronter le racisme. Le film restera d’actualité aussi longtemps que ces questions hanteront la conscience des Américains. Le fait que des hommes noirs soient assassinés par la police est un problème endémique et quotidien. Le rôle des dirigeants est de dire : le chaos règne, prenez vos armes, l’Amérique s’effondre. Et cela, quel que soit le gouvernement : républicain ou démocrate. — Sam Pollard*

Officiellement la déclassification aura lieu en 2027. D’après Pollard, la réputation de Martin Luther King n’en sera pas affectée. Néanmoins admet-il, il faut se montrer prudent quant à l’usage pouvant découler de ces informations sensibles, non vérifiées pour la plupart, dépourvues de confirmations visuelles. Car si leur existence apporte en premier lieu une preuve de l’abjection du FBI à l’époque de Hoover, leur contenu peut facilement donner lieu à des détournements dans un pays aussi prude et hypocrite que les USA.

L’objectif de Sam Pollard est de mettre en évidence l’impossible saisie d’une vérité à jamais dévoyée. Plus encore que dans les récentes affaires liées au mouvement #Metoo, le public doit se préparer à payer le prix de son désir de transparence absolue. Un tel désir, pour légitime qu’il soit dans un contexte judiciaire, ne peut qu'être déçu dans l’espace public. Instrumentalisé, il devient une arme facile aux mains de ceux qui ont d'autres intérêts en vue que la justice. C'est un conflit majeur, un des paradoxes actuels les plus difficiles à dénouer. Récemment, c'est le fondateur de WikiLeaks Julian Assange qui en a fait les frais. Dilemme insoluble que celui de l'articulation entre une personne, son action, son œuvre ou son héritage.


Texte : Catherine De Poortere

Crédit images : Cherry Pickers


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Sortie en Belgique le 13 octobre 2021.

Distribution : Cherry Pickers

Agenda des projections

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes :

Bruxelles Aventure, Vendôme

Tournai Imagix


*(1) Hoover was much more popular than Dr. King. Most people forget that now, because Hoover is looked at as a pariah, but most Americans back then thought he was a hero. As did I, as a young African American man—15, 16 years old—I embraced the American notion of what the FBI was all about. Watching the FBI show on television, watching an old movie from 1959, Jimmy Stewart. The FBI were heroes: beating the gangsters, fighting communism.

*(2) We are a country that's always constantly struggling with the issues of race, because this country is founded on the backs of slaves. (…) I would say that this film will always be timely in the American zeitgeist, because America and the issues of race never leave. Black men being murdered in the streets of America, by the police, is endemic. It happens every damn day. The work of administrations is to say there's chaos in the streets, get your weapons out because America is going to fall apart -it happens not only in the Republican administrations, but it happens in Democratic administrations.

Sam Pollard.

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