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Critique

« Matrix Resurrections » de Lana Wachowski

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réalité virtuelle, Keanu Reeves, réalités, San Francisco, Matrix, Matrice

publié le par Yannick Hustache

Quatrième volet d’une saga toujours très discutée aussi attendue que redoutée par ses fans de la première heure, ce « Matrix Résurrections » risque de décevoir, pour mieux s’inscrire dans la durée. Vu quelques heures avant la rédaction de cette chronique, les deux bonnes heures et demie du film n’ont toujours pas fini leur travail de remue-méninge neuronal.

La loi des séries

Annoncé à grand renfort d’annonces tonitruantes par la Warner à la mi 2019, la « très longtemps espérée hypothétique suite » de l’une des trilogies phares (1999-2003) de ce début de siècle, arrive enfin sur les écrans ce 22 décembre 2021.

Matrix avait été en son temps un choc esthétique qui, avec ses plans de combats défiant les lois de la gravité, ses (trajectoires) de balles suivies sous tous les angles possibles, stoppées puis renvoyées à leurs expéditeurs, le tout sur une image d'un vert lumineux et de coulées de data en continu, avait reboosté le cinéma d’action hollywoodien. Les suites avaient globalement déçu tant les fans/geeks/maniaques de la première heure que le big business du cinéma, toujours prompt à relancer et exploiter jusqu’au dernier cent possible tout ce qui ressemble de près ou de loin à une filière … Il avait également entériné un éloignement toujours plus grand entre ce qu’un public voulait/croyait y voir (rappelons au passage qu’une bonne partie du folklore et éléments de langage « matrixiens » ont été repompés jusque dans leurs moindres détails par les sphères complotistes de toutes obédiences) et la lecture bien plus intime qu’en donnaient les Wachowski.

À l’heure où les franchises Star Wars, Halloween, Terminator, Les Tuche (…) et autres sequels super-héroïques sont devenus la norme du cinéma « grand public », Matrix 4 ou Matrix Résurrections va-t-il, 18 ans après Revolutions tenter de récupérer sa couronne de « super-geek-fighting film où chaque détail compte » et remettre les compteurs du spectaculaire à zéro ?

Non, incontestablement non, même s’il tente de le faire croire parfois et c’est bien là tout son sel !

Réalités dés-augmentées

Après une introduction qui semble repartir sur les fondamentaux matrixiens - une scène de fusillade par une nuit pluvieuse avec flics, agents cravatés, rebelles et fuite infernale dans un décor urbain verdâtre, on découvre la nouvelle vie de Thomas A. Anderson (Neo, Keanu Reeves, étonnant de sobriété) en quarantenaire tranquille, s’attelant à la finalisation d’un nouveau jeu qui devrait rééditer le triomphe de son succès précédent, Matrix pour le compte d’une entreprise au sein de laquelle il fait presque figure de vénérable ancien. Il semble aller bien mais consulte un psychiatre auquel il raconte ses rêves étranges et ses impressions récurrentes de déjà-vu, notamment quand il croise Tiffany (Carrie-Anne Moss), mère de deux enfants, dans un coffee-shop. Thomas, qui a cessé de prendre sa médication de gélules bleues, est de plus en plus troublé jusqu’à l’irruption de Morpheus (à présent campé par Yahya Abdul-Mateen II qui offre une version rajeunie du personnage) qui presse Neo de redevenir la figure de lutte (quasi christique) qu’il était, et de rallier la résistance au sein de la Matrice. Plus contraint qu’enthousiaste, Neo accepte de repartir en lutte, à la seule condition de sauver Trinity, privée de ses souvenirs.

On l’a dit plus haut, si l’on retrouve l’alternance de scènes d’affrontement aussi bien en mode arts-martiaux en condition de gravité allégée que fusillades à munitions inépuisables et courses-poursuites, que les scènes de révélation ou simplement de parlotte (surtout au début). La Matrice et son réseau infini de tunnels et de câbles ont en gros gagné en épaisseur métallique et en démesure « gigerienness » (le désigner d’Alien et du Nostromo), mais ces combats virtuoses prennent davantage place dans une espèce de réalité spectaculaire à la Marvel et nettement moins dans des décors verdâtres, humides et souvent nocturnes propres à la trilogie, et sans jamais étirer leur timing jusqu’au frontières du trop-plein. Il faut dire qu’Inception de Nolan, que l’on pourrait d’une certaine façon revoir comme une réponse à Matrix est sans doute passé par là. Avec une nuance de taille, là où le premier alimentait le sentiment de confusion par le réalisme apporté aux univers de rêves architecturés et stratifiés, la réalité, en dernière instance dans Matrix – et jusqu’à preuve du contraire – est un dédale sombre et technologique, une prison des sens bien éloignée du "réel rassurant e tranquille" (en comparaison) des spectateurs qui vont aller voir le film.

La même chose et différent

Quand Neo se réveille au sein de la Matrice et retrouve les rebelles, le premier constat est qu’à l’instar de son alter-ego Thomas Anderson, il a vieilli. Certes bien moins que Niobe (Jada Pinkett Smith) qui dirige à présent le groupe d’insurgés organisés en une société discrète, presque parasitaire vivant dans quelques recoins de la Matrice, et à laquelle se sont joints des créatures cybernétiques devenues alliées (façon Battlestar Galactica), une première (peu exploitée dans le film). On retrouve quelques têtes connues dont le très trouble agent Johnson (Daniel Bernhardt, depuis 2003), mais aussi quelques nouvelles têtes telles le quasi cyborg Seek (Toby Onwumere) ou Bugs (Jessica Henwick). Et « en face », on reconnait à peine la dégaine de Lambert Wilson en Mérovingien cabotinant.

Neo et Trinity aussi ont changé, pris de l’âge, perdu de leur assurance, de leur superbe, en quête de leurs souvenirs volés/perdus/construits … voire d’une raison suffisante à poursuivre le combat. Fini les poses christiques et super-héroïques un peu agaçantes du premier, les tenues souples et sexy à volonté, les lunettes noires (et oui !), Neo, même s’il incarne pour ses jeunes compagnons, le mythe du guerrier sauveur, est contesté par Niobe quant à la manière de poursuivre la lutte. Ses certitudes ont laissé place à l’unique motivation qui lui reste, retrouver la Trinity d’il y a 18 ans.

Un (non) héro fatigué et démissionnaire dont l’image vient presque frontalement s’opposer au désir du spectateur de retrouver un univers inchangé en 18 ans avec des personnages fantasmés qui eux ne souffrent pas des affres du temps. Sous couvert de respecter le cahier de charges des come-back cinématographiques, la réalisatrice interroge notre incapacité à accepter que les choses sont définitivement dites et qu’il est peut-être temps de passer à autre chose, à d’autres histoires qui prennent en compte le flux inexorable du temps et son inévitable aboutissement. La Matrice finit par prendre un tout autre sens : elle devient ce caisson d’isolation cinématographique où le spectateur est prisonnier d’un désir inassouvi de revivre une part de leur adolescence et le fantasme de toute puissance qui l’accompagnait. Pas sûr que Resurrections plaise totalement aux thuriféraires qui attendaient deux heures et quelques de baston de niveau 4.0. En début de film, Matrix n'est plus qu'un jeu qui a fait le succès de la société qui emploie Anderson, lequel, bien plus âgé que ses collègues, peine à lui donner un successeur promis à un triomphe comparable. On peut aussi y voir ce travers des franchises à succès (c'est valable également pour la BD) de prolonger où finir leur carrière en licences potentielles à déclinables à l'infini, T-shirts, goodies, séries, objets. Ce qu'un certain Georges Luca avait compris dès la fin dès la fin des années 1970.

Hollywood Resurrection ?

« Tout changer pour que rien ne change » — Visconti ( et leitmotiv d'écriture des comic-books Marvel)

Lors des multiples face à face entre Neo et l’Analyste (le grand démiurge de la réalité de Thomas Anderson et de Tiffany), ce dernier insiste particulièrement sur le fait que les hommes préfèrent désormais vivre dans une réalité imaginaire factice mais réconfortante, plutôt qu'à mener une existence faite de doutes, d’expériences aux résultats incertains. D'ailleurs, son plus grand pouvoir (dans sa réalité) est de ralentir la course du temps jusqu'à pouvoir l'arrêter. Il est le chef d'orchestre (final?) d'un système qui se maintient dans la fixité.

Transposé à la réalité du cinéma en 2021, on ne peut que penser à une cinglante critique d’un système schizophrène apeuré par sa possible disparition prochaine (la concurrence des plates-formes), mais dont la seule réponse vient de l’exploitation continue de filons cinématographiques déjà anciens (voir ci-plus haut) toujours plus chères à produire, et dont la finalité peut être résumée en substance par ce leitmotiv bien connu des Marvelophiles quant à l'écriture de leurs comic-books favoris : « Tout changer pour que rien ne change ».

À ce constat lucide (Wachowski est bien consciente des attentes pour son film) se glisse par ailleurs quelques indices d’une nostalgie cinématographique actualisés et littéraire qu’on n’a sans doute pas collectés avec suffisamment d’attention. Ici, une alliée de Neo (qui porte dans la réalité de l'Analyste le même nom que le réalisateur de Magnolia...) , Sati lit Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll, et la devanture du commerce situé en face du coffee shop porte le nom de Zoetrope (dispositif pré-cinéma donnant l’illusion du mouvement,et le nom de la boîte de production du « pestiféré » hollywoodien Coppola). À plusieurs reprises dans le film, les meutes indifférenciées de créatures de la Matrice adoptent les postures menaçantes et collectives du Village des damnés, et leurs attaques, celles des hardes zombies véloces de Peninsula.

Arrivé aux derniers plans de Matrix Resurrections, on demeure écartelé entre l’ambigüité d’une fin provisoire annonçant une suite en cas de succès ou l’avertissement voilé à un système qui tourne en boucle vers sa perte.

Bien joué Lana Wachowski !

Matrix Resurrections un film de Lana Wachowski

États-Unis, 2021, 2h48


Texte: Yannick Hustache

Crédits photos: De haut en bas, Warner Bros et (2-3) Murray Close


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Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 22 décembre 2021, Distribution Warner Bros

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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