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Critique

« Madeleine Collins » : dédoublement d'une femme

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Dans la veine de Sibyl (Justine Triet, 2019), Virginie Efira met à nouveau son monde en déroute dans un double rôle qui déjoue toutes les suspicions d’abus et de folie à l’encontre du mensonge.

Sommaire

J’aime le jeu, le mensonge, l’artifice, la poésie, pas la foi ou la piété. — Antoine Barraud

On l’appelle Judith ou Margot. C’est une habituée du train, toujours la même ligne, Lyon-Genève aller-retour. Ici et là, elle est chez elle. De part et d’autre de la frontière, il y a une maison, des enfants qui l’attendent, un homme, une vie. Son métier de traductrice justifie ses absences. La situation dure depuis des années. Mentir, au fil du temps, est devenu une routine.

Icône blonde

Le cinéma aime les personnages mystérieux. Au nombre des énigmes qui fascinent les écrans, la blonde possède le statut d’une icône. Cette aura, c’est l’un des avatars les plus intéressant du stéréotype de genre résultant de la somme de tous les autres. Sternberg, Bergman, Antonioni, Lynch, Verhoeven, De Palma, Fincher et bien entendu Hitchcock se sont tous mis dans les pas vacillants de cette créature dont ils désiraient qu'elle leur échappe, femme dite fatale, insaisissable. C'est ainsi que sa longue histoire traverse les époques, les modes, les regards et les genres sans que nul héritage n’entrave jamais le mouvement de fuite qui, plus que les éblouissements de sa blondeur, détermine sa raison d’être.

A rebours de ces représentations évanescentes à la suite desquelles Madeleine Collins pourrait bien inscrire son nom, Judith semble portée par un désir d'ancrage. Travailler, prendre soin des enfants, préparer les repas, rencontrer ses amis, échanger avec des collègues, faire l’amour, se lever au son du réveil, prendre le train. Une succession d'actions concrètes dont le redoublement entraîne une réaffirmation de la vie domestique. En caricaturant, on pourrait dire que Judith c’est Jeanne Dilman x 2.

Une rose est une rose est une rose

Du classique portrait de femme à ses multiples déclinaisons (politique, métaphysique, comique, sentimentale et même horrifique), les imaginaires collent à la peau de Judith sans qu'aucun ne trouve véritablement écho dans le récit. Tandis qu'Antoine Barraud ouvre le personnage à toutes les interprétations, Virginie Efira, par la constance et le flegme de son jeu, n’offre aucun indice de la manière dont il conviendrait de déchiffrer son comportement. D’une séquence à l’autre, elle incarne une femme en tout point semblable à elle-même. Ses vêtements, son visage, sa voix, son vocabulaire n’accueillent pas la moindre variation. Aux yeux du spectateur, il n’y a guère que ses cheveux, tantôt libres, tantôt serrés en chignon, qui ne trahissent une possible césure intérieure. Pour le reste, la physionomie de cette femme affiche une remarquable adéquation avec le projet qu’elle s’est fixé. Elle est sans ambiguïté. L’actrice qu’est aussi Judith nous met devant une évidence : celle de sa présence, rien de plus.

La pleine présence n’est pas un moindre paradoxe pour un personnage qui se définit aussi par le manque qu’il provoque chez les autres. Judith, c’est une voix au téléphone, un lit conjugal à moitié vide, des larmes d’enfants orphelins. En ne la quittant pas du regard, le film se montre traitre à son égard. Qu’advient-il des autres quand elle n’est pas là ? Quelle autre vie mènent-ils en son absence ? Ce pourrait-il que ce hors-champ que Judith a voulu immense, puisqu’il constitue la moitié de sa vie, conspire à son tour contre elle ?

Sauvages

Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible affirmait Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray. Sans doute y a-t-il quelque chose de cet ordre-là dans Madeleine Collins, quelque chose comme un combat qui se livrerait entièrement sur le terrain du regard, redoutable vivier d’effets d’optique et d’angles morts. Le spectateur n’a pas accès à la subjectivité de Judith. La caméra a beau l’accompagner, la scruter, la soutenir, il reste une distance, une défiance. Ce qu’on voit alors, c’est une femme qui, dans le déni d'elle-même, tente de maîtriser les regards sur elle. La matière du cinéma d’Antoine Barraud est faite de ces tensions entre sujet et objet, regardé et regardant, acteur et spectateur. Ce motif se ressent accessoirement dans son plaisir assumé à filmer d’autres cinéastes - histoire de regarder ceux qui regardent : Mathieu Amalric dans Le Gouffre, Bertrand Bonello dans Le Dos rouge et Nadav Lapid dans Madeleine Collins.

En dépit de sa solitude, Judith suscite une immense empathie. Ses manières douces et aimantes autant que son extraordinaire disponibilité à l’égard de ses proches jettent un trouble sur la perversité supposée de ses actes. A travers elle, le mensonge glisse vers une interrogation. La sincérité pourrait-elle n’être qu’une manière de se plier à une illusion collective ? En ce sens, mentir est une hérésie. La duplicité remet en cause la suspension de l'incrédulité (suspension of disbelief) qui règne sur le réel, ce faisant, elle compromet le récit familial. Loin d’être libératrices, ces interventions sur le tissu de la communauté y débusquent de violents désordres, une sauvagerie native. La personne qui ment a ses raisons qui, pour discutable que soit le principe sur lequel elles reposent, œuvrent clandestinement pour une vérité excessive.


Texte : Catherine De Poortere

Images © Cinéart

Films de Virginie Efira à PointCulture


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 02 mars 2022.

Distribution : Cinéart

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En Belgique francophone le film sera projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : UGC De Brouckère, UGC Toison d'Or


Wallonie : Ath Ecran, Charleroi Quai 10, Charleroi Pathé, Liège Les Grignoux, Louvain-La-Neuve Cinéscope, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Plaza-Art, Mouscron For&Ver, Namur Acinapolis, Namur Caméo, Nismes Chaplin, Nivelles Cine4, Saint-Mard Nos Loisirs, Virton Patria, Waremme Variétés, Waterloo Wellington

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