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Critique

« Les Jeunes amants » : le désir ne compte pas les années

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Amoureux, Fanny Ardant et Melvil Poupaud mettent à l'épreuve le regard de la société sur la sexualité des femmes âgées.

Sommaire

Until the light of youth became obscured / And left you on your own and in the shade — « A Lady of a Certain Age », The Divine Comedy

Combustion lente

Les amatrices et amateurs du genre utilisent volontiers l’expression slow burn pour nommer les romances dont les héros tardent à se déclarer leur flamme. Cette image d’une combustion lente pourrait bien s’appliquer aux amants mis en scène par Carine Tardieu qui comptent plusieurs années d'écart entre leur rencontre et l’échange du premier baiser.

Lorsqu’ils se croisent pour la première fois, c’est à l’hôpital. Pierre est le médecin de garde chargé de veiller la meilleure amie de Shauna. Dans un contexte peu propice au coup de foudre, l’attirance n’en est pas moins manifeste. Dix ans plus tard, le hasard fait qu’un soir, à la faveur d’un déplacement professionnel, Pierre débarque pile dans la maison que possède Shauna, sur le littoral irlandais. Elle a désormais 70 ans révolus tandis que Pierre en a 45. Ils ont beau ne pas se reconnaître immédiatement, l’émotion, elle, les retrouve aussitôt. Un trouble qui ne les lâchera pas lorsque, de retour à Paris, tous deux devront composer avec leurs chaînes familiales respectives.

La jouissance et la honte

Que ce soit clair : dans cette situation, ce qui fait obstacle, c’est moins la grande différence d’âge que le grand âge de Shauna. Une femme de 70 ans peut-elle encore faire l’amour ? Désirer le faire ? Exprimer ce désir ?

La jouissance de la quinquagénaire est irreprésentable, celle de la sexagénaire devient dégoûtante, quant à celle de la septuagénaire, elle est répugnante, et de l’octogénaire, insoutenable. (…) C’est parce qu’elles ne sont plus considérées comme sexuellement attractives que les femmes vieillissantes se voient dénier leur désir et condamnées à rester dans le rôle de l’aïeule sereine et désincarnée (…) C’est un sujet encore plus tabou que la sexualité des vieux mâles. — Camille Froidevaux-Metterie, « Un corps à soi ».

Étrangement, la retenue n’est pas le fait de Pierre mais de Shauna. Serait-ce le signe, comme tout le monde semble l’insinuer, que la septuagénaire manque de confiance en elle ? Ne dit-on pas d'elle, comme pour l'excuser, flamboyante, elle traverse l'existence sur la pointe des pieds ? Ou ne serait-ce pas plutôt la preuve que cette femme belle, fortunée, dotée d’une grande intelligence a dûment pris à son compte le dogme social voulant que la ménopause sonne l’heure de fin de la sexualité ?

Loin de développer un discours engagé contre l’âgisme (dont on sait qu’il est depuis toujours la règle, au cinéma comme ailleurs), le film suit à pas lents et mesurés deux personnages singuliers, une femme à laquelle Fanny Ardant offre sa voix sublime et sa ferveur coutumière, et un homme qui, pourvu de qualités rares et de fêlures non moins nombreuses, pourrait être un ange. Ces deux êtres en tout point exceptionnels ne sont pas là pour nous faire croire en une utopie où les rapports de séduction ne seraient plus fondés sur la fraîcheur de l’apparence, leur désarroi nous dit bien la peine qu’ils ont eux-mêmes à admettre ce qui leur arrive.

Dès lors, la forte résistance de Shauna ne reflète pas tant ses peurs que sa lucidité face à l’incroyable assurance de Pierre. Il est vrai que tout le monde, à commencer par Shauna elle-même, pense que son corps lui fait honte. Sans doute, il doit y avoir des réticences de cet ordre-là et c’est compréhensible, une telle honte ne touche pas que les femmes âgées. D’une manière très élégante, le film prend en charge et répond à ce défaut de confiance quand il s'agit de plaire. Haro sur le validisme, la réponse n’est pas dans le regard de Pierre. Elle est dans le sourire émerveillé de Shauna qui, dans les douches après la piscine, se surprend à contempler les autres femmes. Un émerveillement qui n’a d’égal que la diversité des corps s’offrant à sa vue.

L'amour en héritage

En réalité, le problème est ailleurs. D’où vient-il qu’une femme, séduisante ou pas, doive nécessairement se définir par la présence d’un homme à ses côtés ? Ce que le film montre clairement, c’est que Shauna a une vie bien remplie et très satisfaisante. Architecte à la retraite, elle a conservé de nombreuses relations, donne des conférences, habite un appartement rempli de livres et de photos… Elle est aussi très proche de sa fille (Florence Loiret-Caille) qui, comme elle, semble avoir privilégié son travail. Que viendrait faire un homme là-dedans ?

Soit, l’amour vous tombe dessus et quand ça arrive, c’est une chance, impossible de dire non. Même et surtout si la raison et la société s’y opposent. Cette loi discutable est celle du mélodrame. Il semble néanmoins que le scénario n'obéisse pas tant à la loi du genre qu'à celle de la transmission. Remonter le fil de cette histoire, c'est en effet refaire la généalogie du film, un projet initialement pensé et écrit par Solveig Anspach. La réalisatrice islandaise décédée en 2015 comprenant que le cancer ne lui laisserait pas le temps de finir son scénario, avait fait promettre à ses proches qu'il rencontrerait un jour les écrans. Et c’est ainsi que par voie d'affinités, Carine Tardieu s’est vu remettre la lourde tâche de s’approprier un récit qui, de surcroit, avait trait à un épisode de la vie de la propre mère de Solveig Anspach, Högna Sigurðardóttir, première architecte islandaise devenue à l’âge de 79 ans l’amante d’un médecin de vingt-cinq ans son cadet, marié et père de famille.

La délicatesse de cette histoire au final bien ancrée dans le réel, c’est de s’attacher à tous les personnages, et pas seulement à son couple vedette. Avec Florence Loiret-Caille, Cécile de France et Sharif Andoura pour ne citer qu'eux, l'histoire prend les dimensions d'une œuvre chorale. Considérés avec une attention égale à celle que les amants se portent l’un l’autre, les liens familiaux et les liens d’amitié créent un continuum de l’amour qui donne au film sa juste tonalité, entre chronique familiale et mélo. Le résultat fait un peu penser à la série This is us : le monde d’aujourd’hui se raconte à travers sa plus belle part d’humanité.


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Cinéart

Films de Solveig Anspach

et de Carine Tardieu à PointCulture


Agenda des projections

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Sortie en Belgique le 09 février 2022.

Distribution : Cinéart

En Belgique francophone le film sera projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : UGC Toison d'Or,Le Palace

Wallonie : Bouillon Ciné (apd. 16.02), Liège Les Grignoux, Ath, L'Ecran,Charleroi, Quai 10 Louvain-La-Neuve, Cinescope, Mons Imagix,Mons, Plaza Art, Namur, Cinéma Cameo Nivelles, Ciné4, Stavelot, Ciné Versailles,Waterloo, Wellington

Luxembourg : Utopia

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