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Critique

L’autre facette de la maternité rose bonbon

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genre, famille, enfants, maternité, société, tabou, post-partum

publié le par Sandrine Guilleaume

En marge de l’événement « Mal de mère ? Fêtons-nous ! » organisé par le Réseau Wallon pour la santé des femmes en ce mois de mai, nous avons choisi de mettre en parallèle deux films, un documentaire et un film de fiction, pour aborder la question des difficultés liées à la maternité.

Sommaire

De l’autre côté des mères : briser les tabous

On ne connaît pas leur nom, seulement leurs visages qui s’affichent en gros plan, face caméra. Elles témoignent sans fard de leurs nouvelles réalités de femmes enceintes, puis de jeunes mères. Au cœur d’une conversation intime et puissante, la mise à nu est totale pour ces « héroïnes » cueillies dans l’intimité de leur quotidien. Avec toute leur vulnérabilité, leurs peurs, leur colère parfois, et la force de leurs questionnements, ces femmes ont choisi de montrer une autre facette de la maternité. Celle qui n’est pas constamment rose bonbon, telle qu’on nous l’a vendue si longtemps. Celle qui peut être source de difficultés, d’épuisement, de culpabilité, d’angoisses.

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On assiste aujourd’hui à une réelle libération féministe de la parole autour des sujets qui touchent à la maternité ou à la parentalité. Ces dernières années ont vu fleurir podcasts, livres, articles de presse, témoignages sur les réseaux sociaux. Avec une volonté assumée, celle de briser les tabous autour de la grossesse, du post-partum, de la fausse-couche, des violences gynécologiques, du regret d’être mère aussi.

Charge mentale et culpabilité

Le documentaire De l’autre côté des mères, produit par l'ASBL Corps écrits, s’inscrit dans cette lignée. En choisissant de recueillir la parole de femmes pendant la grossesse, puis quelques mois plus tard une fois le bébé dans leurs bras, l’ambition affichée est de toucher au plus près l’expérience intime et sociale qu’est la maternité. Dans toute l’ambivalence de ses bouleversements. La diversité des profils de ces femmes plaide pour une certaine universalité des ressentis : elles sont jeunes ou plus âgées, certaines accueillent leur premier enfant, d’autres leur second ou plus, certaines ont eu recours à la PMA, mais toutes soulignent les mêmes écueils, toutes sont confrontées aux mêmes obstacles.

Pendant la grossesse, elles observent une charge mentale grandissante, regrettent l'infantilisation de leur situation par un corps médical peu concerné, le manque prégnant d’informations, la solitude, l’absence de transmission intergénérationnelle ou de lieux d’échanges. Parfois elles sont inquiètes des répercussions de leur grossesse sur leur vie professionnelle, elles font état d’une précarité financière, d’un risque d’être pénalisée. La culpabilité s’introduit alors insidieusement, et durablement, dans les têtes. Surtout, et là encore l’intime rencontre le politique, elles déplorent de vrais manquements dans la façon dont les institutions envisagent la problématique de la naissance, un manque d’empathie, de fluidité, et de structures favorisant l’accompagnement bienveillant de cette période unique.

"On vit la grossesse comme un moment de fragilité au lieu d’un moment de richesse" — Une maman

Après l’accouchement, le tableau s’assombrit encore. Ce qui domine, c’est le désarroi dans lequel les jeunes mères sont plongées les premiers jours, les premières semaines de la vie de leur enfant. Un congé de maternité qui s’apparente souvent à une traversée du désert vécue seule, une fois le père retourné à ses activités professionnelles. Jaillit alors la critique, unanime, de la durée du congé de paternité qui induit un déséquilibre dans le couple, une inégalité dans le partage des tâches qui s’installe pour perdurer. Même si elles se disaient en amont sensibles à la répartition genrée des rôles, il leur est devenu impossible d’y échapper après la naissance, rattrapées par les couches de patriarcat dont la société est toujours construite. La lucidité et l’humour sont leurs seules armes face à ces réalités figées.

La mère parfaite n’existe pas

Alternant moments d’entretien et poésie dansée, le film cherche aussi à broyer l’image de la maternité fantasmée, l’archétype de la mère sacrificielle auréolée d’une béatitude sans faille. Dans ces courtes respirations dansées, la danseuse donne plutôt l’image d’une femme qui sombre sous le poids du linge qui s’accumule, court à en perdre haleine, défaille, cherche à redéfinir ses propres contours, pour finalement retrouver sa liberté de mouvements. Les femmes qui témoignent en sont conscientes : il est essentiel d’oser s’affranchir du diktat de la mère parfaite.

"Si on doit porter un masque, le masque du bonheur d’être maman, alors on n’y arrive pas." — Une maman

Performer cette maternité-là en se conformant aux attentes de la société est préjudiciable à tous et toutes. Au contraire, semble dire le film, informer, partager, verbaliser les difficultés et les multiples façons de jouer son rôle auprès de l’enfant, ouvrira des brèches dans cet idéal fantasmé pour dynamiter la pression sociale qui pèse toujours sur les mères. Car la responsabilité de la maternité, si elle est vécue comme très individuelle, est en réalité avant tout sociétale et collective.

The lost daughter : l’envers du décor de la maternité

C’est ce que montre aussi, de façon détournée, le film de Maggie Gyllenhaal sorti en décembre 2021 sur Netflix, et auréolé du Prix du meilleur scénario à La Mostra de Venise, The lost daughter. Adapté d’un roman d’Elena Ferrante (Poupée volée), il met en scène Leda Caruso (Olivia Colman), 48 ans, professeure d’université et mère de deux filles dans la vingtaine, venue passer seule des vacances en Grèce. Des vacances studieuses teintées d’étrangeté malsaine, voire versant dans le cauchemar lorsqu’une famille américaine envahissante fait remonter en elle les souvenirs d’un passé honteux, celui de sa défaillance de mère.

Car, comme dans De l’autre côté des mères, c’est bien l’envers du décor de la maternité qu’entend observer le film. L’envers du décor, à l’image de ces paysages de rêve qui sombrent dans la menace. A l’image aussi de cette corbeille de fruits en apparence appétissants mais qui se révèlent pourris, rongés par les vers. Ce qui ronge l’héroïne, c’est la culpabilité, sans doute la honte, et un besoin de comprendre le poids écrasant de sa propre maternité qui, à un moment de sa vie, l’a complètement submergée. « Les enfants sont une responsabilité écrasante », dit-elle à la sœur de Nina (Dakota Johnson), la jeune mère dépassée qu’elle rencontre sur la plage.

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« Mère contre-nature »

Les flash-backs la montrent tentant vaille que vaille de concilier sa vie de mère de deux petites filles et sa vie professionnelle de chercheuse universitaire. A son mari qui, pour ne pas s’occuper de leurs filles, lui dit « Je travaille », elle répond : « Je suffoque ». Tout est dit. C’est la question sensible de la diffraction des femmes et de leurs différents rôles qui a intéressé Maggie Gyllenhaal : comment faire cohabiter toutes leurs facettes lorsqu’elles deviennent mères ? Leda peut-elle toujours avoir une vie épanouie de femme, de compagne et de chercheuse en parallèle de sa vie de mère ? Une question qui se pose injustement toujours moins pour les pères. L’héroïne aura alors à faire le choix, douloureux mais nécessaire, de quitter sa famille. Un choix dont la culpabilité sera, quinze ans plus tard, toujours vivace.

L’autre grande question charriée par le film est celle du regret d’être mère. Récemment, on a vu émerger une parole nouvelle autour de cet ultime tabou. En littérature, c’est l’israélienne Orna Donath (Le regret d’être mère, Odile Jacob, 2019) qui l’a défrichée dans un essai qui a fait grand bruit. La française Stéphanie Thomas (Mal de mères, JC Lattès, 2021) a par la suite donné la parole à ces femmes qui, tout en aimant leurs enfants, regrettent ce rôle de mère qui, lorsque les contraintes prennent le pas sur la joie, devient une charge immense. Leda, sans le formuler réellement, se définit comme une « mère contre-nature » qui n’a pas pu trouver l’équilibre dans sa maternité. Le film pose des questions frontales, mais n’est pas manichéen : les scènes de joie familiale et d’amour dévorant pour ses filles alternent avec celles où la charge mentale engloutit tout, y compris son couple.

Deux films pour déconstruire les stéréotypes, deux films qui plaident pour un meilleur accompagnement de ces questions. Et qui montrent peut-être que la société est enfin prête à les entendre : oui, la maternité est une expérience multiple et complexe. Elle peut aussi parfois enfermer les femmes dans des rôles qui ne leur correspondent pas.

The Lost Daughter | Official Trailer | Netflix

Crédit images et infos sur les films : Corps écrits, asbl et Ecran large

Texte : Sandrine Guilleaume

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