Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Critique

« La Dernière Tentation des Belges » (Jan Bucquoy) : au bord de la falaise

Jan Bucquoy - "La Dernière Tentation des Belges" - Stenola Productions
En sorte d’héritier-cousin lointain de Shérazade, un père raconte des histoires à sa fille pour tenter de l’empêcher de sauter dans le vide. Douze ans après les faits, Jan Bucquoy revient en cinéma et en fiction au suicide de sa fille et place la jeune femme, mais aussi un pays et une société malade – et lui-même – au bord du précipice.

Sommaire

Le cinéma de Jan Bucquoy oscille entre constances et variations. Il est nourri à la fois de « suite dans les idées » qui en assurent la cohérence et d’adaptations aux nécessités et possibilités matérielles de chaque tournage. Ce n’est pas pour rien que ses différents films, au-delà de ce qui les distingue (leur économie, leur type de caméra et d’image, leur rapport de la fiction et du réel, etc.), sont numérotés comme les épisodes d’une série (La Vie sexuelle des Belges 1, 2, 3… (…) 6, 7… ), comme une saga à échelle d’homme formée de l'enchainement de tous les films individuels qui y font office de chapitres.

On retrouve dans La Dernière tentation des Belges, une série des obsessions et fils rouges du cinéaste : le placement de produits très affirmé d’une série de livres et d’écrivains (Proust, Camus, Dumas, Gezelle, Claus, Ferlinghetti, Lukács… et, bien sûr Debord), des allusions à ses films passés (un casting d’une remplaçante à la défunte Lolo Ferrari qui fait à la fois écho à Camping Cosmos et au film de casting « à la Salaam Cinema » qu’est La Jouissance des hystériques), la présence du café libertaire bruxellois Dolle Mol, etc. Mais, dès les premières images du film, dès les plans de différentes échelles et à différentes distances de la falaise, il est évident que nous ne sommes plus dans l’image vidéo et les tournages sauvages et à équipe réduite des films précédents mais face à une image plus soignée, plus classique.

Douze ans ont passé depuis L’Art du couple pour lequel j’avais beaucoup filmé mon couple avec une petite caméra, douze ans à rendre possible ce film-ci et je voulais revenir à l’idée d’un film qui soit humble et raconte une histoire. En même temps, quand tu regardes bien 'La Dernière Tentation des Belges', tous les éléments de mes films précédents (les références à d’autres films, aux livres, le casting, les surprises) s’y retrouvent, mais de manière réglée ou maîtrisée. L’intention est de raconter une histoire personnelle comme si je te la racontais ici au café. Le montage est plus fluide mais ça reste un film à part. — Jan Bucquoy, interview à paraître dans ‘Lectures.Cultures’ n°27, mars 2022

Loterie nationale

Jan Bucquoy sur le tournage de "La Dernière Tentation des Belges" - photo (c) Cédric Bourgeois

Jan Bucquoy et sa roue de la (redistribution de la) fortune sur le tournage du film - photo (c) Cédric Bourgeois

À l’exception de la séquence en bord de Semois dans La Jouissance des hystériques, La Dernière Tentation des Belges est aussi le film le plus wallon de son réalisateur (né à Harelbeke en 1945 et Bruxellois de longue date). À côté de ce retour via la fiction sur le suicide de sa fille, le film nous raconte aussi l’histoire d’un « animateur culturel en milieu hostile » (l’alter-ego fictionnel de Bucquoy), traversant le territoire (« Wallonie, terre d’écueil ») pour y proposer de porte à porte (de porte claquée en porte claquée) l’utopie d’une redistribution nationale des avoirs qui remplacerait l’héritage (l’argent des riches reste dans les familles riches) par une grande tombola nationale où l’on pourrait gagner « une Ferrari, une villa à Knokke-Le-Zoute, un costume de Gille de Binche, un château en Espagne, l’usine Peugeot, un salon Ikea, les lettres d’amour de Monseigneur Léonard à la Reine Fabiola, etc. ». Si le territoire de ce film est le plus wallon de ceux des films de Jan Bucquoy, sa nouvelle incarnation à l’écran (Wim Willaert, acteur-star en Flandre qui prend le relais après Jean-Henri Compère dans les deux premiers films et Bucquoy lui-même dans les suivants) a pour la première fois un accent flamand clair et affirmé.

Je voulais un Flamand qui aille en Wallonie. C’est une « dernière tentation » pour ce pays tellement spécial et divisé. C’est une dernière tentative de lier tout ça par un Flamand qui vient proposer une utopie en faisant du porte-à-porte en Wallonie. Mais c’est ‘mission impossible’ évidemment. La Flandre se voit comme une Nation, Bruxelles est devenu une espèce de truc européen et la Wallonie regarde toujours vers la France. La Flandre n’a pas besoin de la Hollande, pas besoin d’aller à Amsterdam. Du côté francophone, il y a toujours ce besoin d’aller à Paris. — Jan Bucquoy, entretien avec Philippe Delvosalle

« Le cinéma c’est du toc »

Jan Bucquoy - "La Dernière Tentation des Belges" - Stenola Productions

Jan Bucquoy - "La Dernière Tentation des Belges" : aussi un cinéma de toiles peintes - (c) Stenola Productions

Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. — Guy Debord

On retrouve dans ce dernier film en date, de manière encore beaucoup plus explicite, la réflexion sur le vrai et le faux, l’autobiographie et la fiction, le réel et la mise-en-scène qui nous avait frappée dès La Vie sexuelle des Belges. La Dernière Tentation des Belges passe sans crier gare d’une vraie falaise wallonne à des décors de carton-pâte ou en toiles peintes et pour la première fois le Dolle Mol à l’écran n’est plus le vrai café libertaire bruxellois que Jan Bucquoy a animé pendant des années.

Tout est fabriqué. Mais j’aime jouer avec ça. Quand on montre que c’est du carton-pâte, que c’est faux, l’intérêt se déplace ailleurs : qu’est-ce qu’il y a de vrai dans ce faux. Alors que lorsque tu essaies de tout faire paraître vrai (alors que tout est faux), ton message rassure mais ne passe pas vraiment. Dans ce décalage entre vrai et faux les choses prennent une autre profondeur. C’est du cinéma de fiction, donc c’est construit. Ma fille n’était pas du tout chanteuse mais Alice Dutoit (du projet Alice on the Roof) qui l’incarne l’est et du coup dans le film le personnage le devient aussi. Et ça n’a plus d’importance : l’important, c’est l’émotion. La relation père-fille. Comment un père essaye d’empêcher sa fille de se suicider, comment il s’y prend mal, comment il ne réussit pas à l’en empêcher. Tout en prônant idéologiquement que le suicide est un bienfait. Sauf que quand le suicide concerne quelqu’un que tu as fait naître, tu ne l’acceptes pas. Mon film tourne autour de ça et il est plus proche du théâtre que du cinéma dominant. — Jan Bucquoy, op. cit.

Texte et interview : Philippe Delvosalle



Agenda des séances

Jan Bucquoy - "La Dernière Tentation des Belges" - Stenola Productions - affiche : Laurent Durieux

Jan Bucquoy - "La Dernière Tentation des Belges" - Stenola Productions - affiche : Laurent Durieux

La Dernière Tentation des Belges (Jan Bucquoy, Belgique 2020)
avec Alice Dutoit, Wim Willaert, Alex Vizorek – affiche : Laurent Durieux

Sortie nationale le 2 février 2022

Dans de nombreux cinémas à Bruxelles et en Wallonie
Flagey, Aventure Ciné Confort, Le Stockel, UGC Toison d’Or, Cinéma Centre (Rixensart), Cinéma L’Étoile (Jodoigne), Plaza Art (Mons), Quai 10 (Charleroi), Caméo (Namur et Tamines), Ciné Gedinne, Le Churchill, Sauvenière, Versailles (Stavelot), Cinéma Xtra (Bastogne), Le Foyer (Habay)…
[et en Flandre]

Classé dans