Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Playlist

Médiagraphie « Sauvage ? » (chapitre 3) : La Nature sauvage

Sauvage chapitre 3 - Alexandre Galand - Delphine Jacquot - Le Seuil Jeunesse.jpg
Tout au long de ces mois de juin et de juillet, PointCulture rebondit en musiques et en cinéma aux différents chapitres du livre "Sauvage ?" d'Alexandre Galand et de l'illustratrice Delphine Jacquot. Après les créatures des bois du premier volet, les "sauvages" des autres continents aux yeux des explorateurs et colonisateurs européocentristes, et les "enfants sauvages", ce troisième chapitre s'intéresse aux frontières, à la volonté de domination, au réensauvagement, aux perceptions et aux protections du monde naturel.

Sommaire

Nicolas Philibert : Un animal, des animaux (1994)

L’éducation à la nature sauvage et au vivant s’effectue paradoxalement souvent dans des versions domestiquées, dominées ou conquises, dans la captivité d’un zoo ou à travers les spécimens naturalisés d’un musée. La galerie de zoologie du Musée National d’Histoire naturelle de Paris était fermée depuis près de vingt-cinq ans lorsque Nicolas Philibert est venu y filmer les travaux de rénovations. Ce sont ainsi des milliers d’animaux « empaillés » qui ont été ressortis des caves et dépoussiérés, pour être intégrés à la nouvelle scénographie du lieu. Pour beaucoup de pièces, cela a réclamé une certaine restauration, des retouches de maquillage, voire des réparations délicates et méticuleuses. Philibert restitue ce travail de rénovation des lieux et de leurs habitants avec un sens de l’observation à la fois amusé et perspicace. Il montre la mise en scène de la nature, scientifique, didactique, par le musée, mais aussi sa théâtralisation, entre drame et comédie. [BD]


Eli Roth : The Green Inferno (2013)

Élève brillante de l’université de Columbia (New-York) et fille d’un avocat travaillant à l’ONU, Justine se lie sans trop réfléchir à un groupe d’activistes écologistes désireux de réaliser une « opération humanitaire choc » à l’issue de leur cursus scolaire. Mené par Alejandro, le commando estudiantin veut empêcher, façon équipe de Greenpeace au sol, une grande compagnie pétrolière de s’approprier une large bande forestière du Pérou, habitée seulement par une tribu indigène et d’y forer à sa guise. Si la mission de blocage (filmée) semble un succès, la petite douzaine de jeunes motivés échoue en pleine jungle suite à un atterrissage en catastrophe lors du voyage de retour, dans la zone où vit la tribu en question. Indiens qui ne tardent pas à capturer la petite troupe et la soumettre à un sinistre rituel anthropophagique dont ils sont le centre et le plat de résistance !

Hommage revendiqué à un certain cinéma horrifique du type Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980) auquel il rend hommage dans son générique, Green Inferno ne lésine pas un instant sur le côté gore et « étals de viande froide » du genre, tout en montrant de solides dispositions esthétiques en s’appuyant à la fois sur une photographie superbe et une musique qui en épouse les moindres ressacs émotionnels, plus que contrastés. Le film renvoie dos à dos la sauvagerie des indigènes menacés sur leurs propres terres par les équipes de prospection pétrolifère sans état d’âme mais disposant d’armes automatiques dernier cri, et la naïveté propre à un certain activisme humanitaire bon teint, qui s’en va sauver le monde comme on part en un voyage de fin d’études dans des contrées exotiques avec en eux le sentiment de se soulager un peu de cette mauvaise conscience à faire partie des privilégiés. [YH]


Richard Strauss – Eine Alpensinfonie op. 64 (1914-1915)

La montagne s’échappe toujours de la domestication et de l’exploitation. Bien sûr l’homme tente d’y imposer ses pistes de ski, ses chemins balisés, ses refuges, ses villages et ses fermes d’alpage, mais elle reprend un jour ce qu’elle a consenti pour un temps seulement. Radicale, sauvage, abrupte, elle reste l’un des derniers espaces qui résiste à l’envahissement.

Et pourtant, que la montagne est belle ! On peut s’imaginer le jeune Richard Strauss, tout juste adolescent, sortant de sa zone de confort, confronté à ses propres limites physiques, aux contraintes naturelles, à sa fragilité, à ses peurs, à ses pensées. Mais aussi, on le sent épris de liberté, émerveillé par la nature qui l’entoure en cette fin du XIXe siècle.

En 1911, lui revient cette expérience qu’il transpose vers une œuvre orchestrale majestueuse. Pour cette ultime symphonie, Strauss déploie un nombre considérable d’instruments, sollicités dans des registres parfois inhabituels, en rapport avec l’évocation de cette randonnée alpestre (avec entre autres une machine à vent, des cloches de vaches, un célesta, une machine à tonnerre, un tam-tam, …).

Car il s’agit d’une peinture musicale en vingt-deux moments de cette journée en montagne. De l’aube à la nuit, Richard Strauss dépeint successivement la montée (les bois, le ruisseau, la cascade, les prairies, l’alpage, le glacier), l’arrivée au sommet et la descente précipitée due à violent un orage impressionnant. Plus proche du poème symphonique, cette œuvre en un bloc est parfois décriée par son côté « musique à programme ». En effet, on peut facilement identifier le ruissèlement de la cascade, les sonnailles des vaches, le chant d’un oiseau et surtout le tonnerre, les éclairs et la pluie. Ce tableau naturel parle de ce promeneur inconnu à travers le regard qu’il porte sur cette balade et les éléments qui retiennent son attention. On partage l’émotion de ce randonneur romantique (Richard Strauss lui-même sans doute) au « Lever du soleil », lors de sa « Vision », de l’« Élégie » et surtout dans l’ « Épilogue ».

Ce cheminement autant réel, sonore que métaphysique vers un sommet, c’est la rencontre de la nature sauvage, et la nôtre aussi. Après tout sommet, la descente, l’orage ou l’âge, la fin du voyage. La fin de la danse, le brouillard.

Et moi, j’ai vécu la même histoire...

Nuit.

[DM]


Sean Penn : Into the Wild (2007)

Au contraire de ce que son titre suggère, Into the Wild est moins une représentation de la nature sauvage que du rapport entre les différentes composantes du vivant. Ce sont même les liens unissant ses protagonistes humains qui semblent finalement en constituer le propos central. En ce sens, l’objet du film consiste à figurer ce qui, chez ces derniers, subsiste dès lors que se voient évacués des artifices civilisationnels tels que la propriété privée et la quête du profit en tant que finalité.

Si de nombreux auteurs, parmi lesquels Henry David Thoreau, Jean-Jacques Rousseau ou Léon Tolstoï, ont de longue date déjà contribué à la réflexion sur la possibilité d'une existence en marge de la société — et donc nécessairement en harmonie avec un environnement idéalisé — ce road movie réalisé par Sean Penn, en 2007, se situe logiquement à l’aube d’une prise de conscience de plus en plus aigüe quant à notre manière d’être au monde et de l’habiter. Pas si étonnant donc que, malgré les postulats quelque peu angéliques sur lesquels il se base, le film semble résonner avec les aspirations d’un large public, eu égard à sa popularité et les critiques parfois dithyrambiques auquel il a eu droit.

Fait d’allers-retours entre différentes temporalités, Into the Wild centre son action autour de Christopher McCandless, personnalité ayant fait l’objet d’un ouvrage biographique éponyme signé par l’écrivain et alpiniste Jon Krakauer. Jeune diplômé à la destinée toute tracée, l’intéressé coupe soudainement les ponts avec sa famille et, petit à petit, avec la civilisation en vue d’opérer un retour (ou est-ce seulement un aller sans retour ?) à la vie sauvage. Largement mises en scènes par Sean Penn, les rencontres faites en cours de route, et la sincérité des relations qui en résultent – par ailleurs renforcée par leur caractère fugace —, reflètent la gratuité des interactions qu’entretiennent habituellement l’être humain et son biotope. De la même manière qu’il tendrait la main pour cueillir un fruit, le vagabond se nourrit de la bienveillance de ses interlocuteurs et s’en retourne comme il est venu, sans affect particulier, mais sans ingratitude pour autant.

Chemin faisant, le personnage interprété par Emile Hirsch ne poursuit aucun objectif spécifique, à l’image de la vie qui persévère dans son être... si ce n’est se rendre toujours plus au nord, jusqu’en Alaska. Si l’on adopte le point de vue étasunien, on comprend que cet État du nord-ouest, on ne peut plus isolé, ait répondu en tous points aux exigences de Christopher McCandless pour parachever ce qui apparaît comme une sorte de pèlerinage. Une démarche qui relève d’un double paradoxe : lui qui semble tout du long valoriser l’errance, s’achemine néanmoins vers un objectif qu’il se sera fixé et, surtout, entend apprivoiser un environnement sauvage qu’il aura au préalable sanctuarisé. Une dissonance cognitive à l’image de ces grands espaces américains — dont le rendu esthétique est sans doute l’intérêt principal du film de Sean Penn —, lesquels apparaissent dans toute leur dualité, à la fois généreux et inhospitaliers, source de vie et de mort selon qu’on sache, ou non, les apprivoiser. [SD]


Francisco López : La Selva (1997)

La Selva propose est une « réserve biologique » située au Costa Rica, elle constitue un remarquable écosystème réparti sur 1.600 hectares de forêt primaire et secondaire. Ce couloir biologique relie la zone de Puerto Viejo de Sarapiqui (démarrant à 100 mètres d’altitude) et le Parc Braulio Carrillo surplombé par le volcan Barva (culminant à 2906 mètres d’altitude). Le musicien Francisco López y a effectué plusieurs séjours entre 1995 et 1996, afin d’y réaliser des enregistrements de terrain pendant la saison des pluies. Le résultat sonore, après un montage et une composition minimales, va à l’encontre de l’idée d’une nature idyllique et accueillante. La forêt s’y révèle tonitruante, quasiment menaçante. Grondements, grincements, cris des oiseaux, des insectes, des grenouilles, des mammifères petits et grands, se mêlent dans un spectacle sonore fascinant et désorientant. À l’opposé d’une approche réductionniste, concentrant l’attention sur les divers éléments un par un, ou d’une démarche éco-acoustique paisible, Francisco López veut rendre l’impression d’un paysage sonore total, réaliste dans sa violence et son inconfort, mais authentique dans sa beauté et sa grandeur. [BD]


Vangelis (Papathanassiou) : Antarctica (1983)

L’Antarctique est le continent le plus inhospitalier au monde. Dernière terre découverte, ce monde quasi inhabité reste sauvage et les êtres humains se sont donné pour règle de le protéger et d’y préserver sa nature. Dans des conditions extrêmes, ils tentent de l’étudier, de le comprendre et d’y effectuer des recherches.

En 1958, des scientifiques japonais sont forcés d’abandonner quinze chiens de traîneau. Ces derniers doivent survivre durant une année avant le retour d’une nouvelle équipe. Du film inspiré par cette histoire, Vangelis tire une musique majestueuse qui magnifie la nature froide et déserte de ce lieu hostile.

Pour restituer cette atmosphère glaciale et nue, il sélectionne les sons les plus purs, les timbres les plus immaculés de sa palette électronique. Il ajoute beaucoup de réverbérations et prolonge l’écho donnant l’impression d’un espace vaste et inviolé.

Le thème, sans doute l’un des plus séduisants de Vangelis, est constitué de quatre notes jouées en pizzicato, qui se répètent et se déclinent sur un autre accord, tandis que le séquenceur laisse imaginer la course des chiens sur des nappes trop blanches, de synthés et de glaces. Les percussions, des timbales et un coup de fouet électronique, relancent le traîneau à la conquête de ces territoires intacts.

« Song of White » est le morceau qui traduit le plus cette vaste étendue gelée, ce « paradis blanc ». Sans accompagnement, un son d’un éclat lumineux, époustouflant, distille une mélodie improvisée dépouillée, exprimant le dénuement et l’abandon dans cet endroit dépeuplé et encore non exploité.

Avant que le thème ne reprenne. Avant que les hommes ne le prennent… [DM]


Olivier Dekegel : Rond est le monde (2013)

À l’image des couronnes de fleurs de la Saint-Jean ou de l’enchevêtrement de brindilles des nids d’oiseaux, le cinéaste bruxellois Olivier Dekegel entrelace de nombreux fils (la relation de l’homme au monde animal, leur inscription dans les paysages ; les rencontres fortuites mais jamais bradées ; les phases de la lune ; le pacte d’amour qui se noue entre la pellicule, les couleurs de la nature et la lumière) qui apparaissent et disparaissent et qui, surtout, ne semblent pas devoir s’arrêter au générique de fin et pourraient continuer à aller et venir au-delà des quarante minutes du film. Parce que, au-delà de la modestie de son auteur, sorte de franciscain païen du cinéma, et de la simplicité de son dispositif – « en compagnie d’un âne et d’une caméra super 8, un cinéaste traverse le monde et s’enivre de la beauté de toutes choses », – ce film est un monde. Mais un monde à l’échelle d’un homme, du cinéaste – de ses mains, de ses pas et de ses sens. Rond est le monde est un film de marche, il ne pourrait exister sans elle, il en porte à la fois le rythme, la lenteur et la richesse, la place laissée au vagabondage de la pensée mais aussi l’ancrage bien physique et concret à la terre et au paysage. Le pied du cinéaste – le sabot de l’âne – échange des informations avec le sol, avec la roche et les cailloux, avec les touffes de graminées des prairies, avec la boue des sentiers détrempés, etc. (…) [PD]

Critique complète


Aaron Copland : Appalachian Spring (1944) (version ballet)

De douces collines verdoyantes, couvertes d’aulnes, de hêtres, de chênes et de mélèzes, abritant lacs et fleuves, et où vivent ours, loups, orignaux, castors et chats sauvages… C’est le décor enchanteur des Appalaches, une chaîne de montagnes peu élevées s’étendant de Terre-Neuve au Québec jusqu’au centre de l’Alabama aux États-Unis.

En 1944, le ballet Appalachian Spring, commandé à Copland par la Compagnie de la chorégraphe Martha Graham, relate l’installation d’un jeune couple de pionniers sur les terres de Pennsylvanie, au cœur d’une Amérique encore sauvage. La musique, écrite pour un ensemble de chambre de treize instruments, plonge l’auditeur dans la vie simple des colons du XIXème siècle venus conquérir de grands espaces.

La partition débute par un lent accord arpégé qui s’étend sur de longues mesures, faisant écho à la sérénité du paysage. S’ensuit une section beaucoup plus dynamique, avec ses rythmes vifs et dansants évoquant la communauté des pionniers. Tout au long de l’œuvre, Copland insère des airs populaires, dont The Gift to Be Simple, un chant issu de la communauté puritaine des Shakers et qu’il décline sous forme de variations dans la deuxième moitié de la pièce. Appalachian Spring répond au souhait formulé par le compositeur d’abolir les frontières entre musique populaire et savante, et à sa volonté de toucher un large public grâce à la simplicité de son langage. Pari réussi, le succès du ballet l’en atteste. Poussé par cette reconnaissance, Copland en écrira rapidement une suite destinée à un plus large orchestre. [NR]

Le ballet dans sa version originale à treize instruments :

Vidéo du ballet passé à la télévision en 1958 avec Martha Graham elle-même :


Marie Amiguet, Vincent Munier : La Panthère des neiges (2021)

Sur les hauts-plateaux du Tibet, la nature est restée sauvage, et il existe de nombreuses espèces d’animaux et de plantes qui ne vivent que dans cette région inhospitalière. Vincent Munier est un photographe spécialiste de l’image animale et il travaille souvent dans des lieux reculés de la planète. Dans ce documentaire, il est accompagné par l’écrivain Sylvain Tesson et part à la recherche de la panthère des neiges, superbe félin vivant dans ces régions montagneuses et glaciales. Parviendront-ils à capter quelques images d’un animal réputé très discret, voire invisible, considéré comme un « graal » pour tout professionnel – photographe ou cinéaste – animalier ? [ASDS]

L'article complet sur le film

Le livre de Sylvain Tesson (en version audio)


Nicolas Humbert : Wild Plants (2016)

Les cycles (de la vie, de la transformation de la matière organique, des saisons, etc.) sont omniprésents dans le film du cinéaste suisse et inspirent aussi sa construction (des retours fréquents et très libres sur les mêmes lieux et protagonistes). En chargeant sa brouette de compost, Andrew Kemp, jardinier-philosophe de Detroit, raconte « être en contact avec ce cycle, accepter la vie et ce que nous appelons la mort... puis voir que rien ne meurt mais que tout se transforme, [et que] cela m’aide de savoir que je fais partie du même cycle ». Pour Kinga Osz, jeune femme d’origine hongroise établie à ses côtés dans la ville postindustrielle en ruines, « Le cœur de tout est le compost. Jusque-là pour moi, les choses avaient un début et une fin, mais par le compost j’ai compris qu’il n’y avait que des étapes le long d’un cycle de vie. » Pour l’activiste amérindien Milo Yellow Hair (un ancien de l’insurrection de Wounded Knee en 1973) : « Nous sommes aussi des plantes et il nous faut soixante-dix à quatre-vingts ans pour nous transformer. » Quant à Maurice Maggi, le Guerilla Gardener de Zurich, il utilise les mots perpetuum mobile, mouvement perpétuel, pour évoquer cette histoire qui n’a ni début, ni fin. Filmé souvent de nuit, lors de ses sorties clandestines, Maggi sème sans autorisation des chardons, des mauves, des citrouilles, des radis, des poireaux, etc. sur les terre-pleins, les trottoirs, dans les no man’s land et les interstices de sa ville. « Les plantes pionnières sont l’avant-garde des plantes. C’est dans ce sens que je me sens lié à elles. Avec les années, on apprend leur langue, c’est comme une relation. » Le terme wild plants, plantes sauvages, mauvaises herbes peut s’appliquer autant aux végétaux eux-mêmes que, par rebond, à ceux qui les chérissent, un peu à l’écart des normes de la société dominante. (…) [PD]

Critique complète


Jean Rouch : La Chasse au lion à l'arc (1965)

La règle veut que dans la brousse, on ne tue pas en vain, ni le lion ni personne, il faut, pour en arriver à cet extrême, avoir la justice et la raison de son côté. Les Gao sont des tireurs à l’arc réputés, des chasseurs d’exception que Jean Rouch, pionnier du cinéma ethnographique, a filmés de 1958 à 1965. Le lion n’est pas forcément leur ennemi. Son rugissement, paraît-il, conduit les enfants au sommeil. Seules des intrusions abusives valent au fauve d’être condamné quand, la plupart du temps, des coups de bâton et de pierre suffisent à le maintenir à distance. Dans tous les cas, le meurtre d’un animal n’est pas plus une chose gratuite qu’aisée.

La tentation est grande, dès lors, d’opposer la sagesse d’hier à la barbarie actuelle, mais ce serait, conjugué à l’indifférence qui conduit à une perte irréversible de ces usages, s’aveugler une seconde fois que de ne pas débusquer, sous la gangue d’une pratique très réglementée, la fièvre de l’excitation, la jouissance pleine et entière de la traque et de la mise à mort, l’attrait du sang. Les dieux de la brousse le savent qui punissent les hommes si sévèrement de leurs excès. « La chasse est une chose risquée. Qui tue un petit lion risque de perdre un enfant dans l’année. »

La grande limpidité du texte ne doit pas être confondue avec l’évidence d’un point de vue unique qui serait celui de Jean Rouch. Du monologue, il ne garde que la forme apparente, ainsi qu’un certain lyrisme, le goût des mots dont certains proviennent intacts du vocabulaire africain. Mais la richesse d’un tissu sonore où s’invitent également la musique et les grondements des animaux n’épuise pas la complexité d’un dispositif relevant autant du documentaire que de la fiction. Il faut dire ici quelques mots sur le cinéaste qui, ingénieur des routes en Afrique dans les années précédant la Seconde Guerre Mondiale, trouva dans l’ethnologie le moyen d’approfondir sa relation avec ce continent. Récusant la figure du scientifique froid et détaché de ses sujets, il ouvrit la voie à une pratique fondée sur l’égalité et le partage, tenant à établir des liens de connivence avec ceux qui, devant lui mais à ses côtés, apparaîtraient à l’écran.

L’inscription de la voix des chasseurs dans le commentaire garde la trace d’un dialogue, dialogue qui culmine certainement dans l’approbation totale de leurs décisions et de leurs actes. Soustraite à tout jugement, et même à toute comparaison, la narration prend la forme d’un adieu : « Cette histoire les enfants, vous ne la vivrez sans doute jamais car, quand vous serez grands, personne ne chassera plus jamais le lion à l’arc. »

On dit que l’âme de l’animal tué peut rendre un chasseur fou. Les Gao ne l’ignorent pas qui enveloppent leurs victimes de prières jusqu’au seuil de la mort. Et encore après, emplis de fierté, triomphant du sang et du souffle qu’ils ont ravis d’un coup de couteau, ils demandent pardon. La séquence qui clôt le film voit un chasseur rejouer la chasse devant un public d’enfants. Un renversement a eu lieu. Cette fois, pour le spectacle, l’homme endosse le rôle de l’animal vaincu. Et dans ses contorsions magnifiques, proches de la transe, dans le corps sublime qui se cambre, rampe et roule sur le sable, si rien ne rappelle véritablement l’être auquel il a ôté la vie, quelque chose néanmoins passe de l’absence à la présence et s’échange, entre espèces territorialement voisines, entre prédateurs, entre individus unis par les mêmes risques, par le même désir de vivre. [CDP]

Voir article consacré au film de Jean Rouch


Thierry Knauff : Vita Brevis (2014)

L'univers fluvial abrite une vie tumultueuse qui, pour être captivante, passe inaperçue. Un regard suffit pour rendre au surgissement d’un oiseau, d’un insecte, aux effets d’un vent qui se lève comme au relief d'une vague, les dimensions d'un événement majeur. En offrant de la visibilité à ceux que l’on nomme éphémères en raison de la leur vie brève, Thierry Knauff leur accorde une attention à laquelle seul les sujets humains peuvent d’ordinaire prétendre.

À ce basculement des échelles le corps répond par le vertige. En Vita Brevis nous fait perdre nos repères. À tel point que quelque chose finit par disparaître de l’image : son sens premier. Qu’est-ce qu’on voit ? Un essaim, une danse, une composition abstraite ? Dans le fait de la mue, ce trouble de la vision rencontre son expression la plus aboutie. Celle-ci met en scène et retourne vers nous le principe d’apparition que le cinéaste soumet à notre regard.

Voici comme le sauvage parle à notre imaginaire. Thierry Knauff montre les éphémères tels qu’ils sont et tels qu’ils ne sont pas : peuple terrestre, aérien ou aquatique, mimétique, allégorique… les visions glissent les unes sur les autres sans se résoudre en une seule. [CDP]

Focus sur le film de Thierry Knauff


Caroline Vignal : Antoinette dans les Cévennes (2020)

Dans le genre délicat et périlleux de la « comédie française de l’été », la réalisatrice Caroline Vignal propose une excellente surprise avec « Antoinette dans les Cévennes ». L’histoire tient en quelques mots : Antoinette, une institutrice, attend avec impatience le dernier jour d’école pour partir en vacances avec son amant, Vladimir, le père d’une de ses élèves. Déception, celui-ci lui apprend que sa femme lui a fait la surprise d’une randonnée en famille dans les Cévennes. Sans trop réfléchir, Antoinette se lance à sa poursuite. Elle choisit donc de marcher sur les traces de l’auteur Robert-Louis Stevenson et de faire à pied le trajet de 272 km reliant Puy-en-Velay à Alès. Comme lui il s’agit de soigner son chagrin et comme lui, elle fera la route avec un âne. Celui de l’écrivain s’appelait Modestine, le sien, Patrick.

Les ressorts tragi-comiques sont bien en place, Antoinette est adorablement à côté de la plaque mais compense son manque de préparation par une grande capacité à l’adaptation. Sa naïveté et sa candeur lui empêchent toute discrétion et l’histoire d’amour secrète qui l’a poussée à cette aventure est bientôt connue de toute la région. Maladroite et expansive, elle se formalise peu des jugements sur sa vie amoureuse, et ignore les rires gênés comme les regards désapprobateurs.

Comme on pouvait s’en douter, après un premier contact difficile avec Patrick, l’âne va devenir son meilleur ami et le confident du récit de sa vie de cœur d’artichaut, et de la fatalité qui la pousse dans les bras d’hommes mariés les uns après les autres. Après avoir failli plusieurs fois renoncer et tout quitter pour rentrer à la ville, c’est leur complicité qui poussera Antoinette à poursuivre le chemin.

Le scénario, simple quoiqu’irréprochablement efficace, est sublimé par les acteurs et actrices qui le portent, à commencer bien sûr par l’héroïne jouée par Laure Calamy. Déjà repérée dans la série Dix pour cent, elle se voit ici offrir un premier rôle principal où elle peut démontrer l’étendue de son talent, passant du slapstick décalé à un éventail de passions humaines. Le reste du casting est sans faute lui aussi, avec Benjamin Lavernhe en mari infidèle dépassé par la complexité de sa situation et Olivia Côte dans un rôle de femme trompée atypique. Comme dans tout bon road-movie, le film fait également la part belle à des rencontres inattendues, à des personnages gentiment surprenants.

Le meilleur second rôle est bien entendu Patrick, en vérité deux ânes différents, Jazou et Pedro, qui jouent à merveille le rôle de l’animal apportant non seulement compagnie et réconfort, mais permet par son écoute attentive, la thérapie douce dont a besoin Antoinette. Sa présence et la marche à travers les paysages de montagne des Cévennes sont une parenthèse salutaire et enchantée dans le vaudeville de sa vie. [BD]


André Øvredal : The Troll Hunter (2010)

Johanna, Thomas, et Kalle, tous trois étudiants, tentent de réaliser un documentaire à propos du braconnage des ours dans leur pays, la Norvège. Ils se mettent sur les traces d’Hans qui n’apprécie guère ces fouineurs. L’équipée s’enfoncent en forêt la nuit où leur véhicule est la cible d’une créature capable de déchirer les pneus de leur 4x4 pour ensuite le renverser. Mis de fait dans le secret de l’existence des légendaires trolls, les documentalistes vont suivre Hans dans la chasse de ses créatures noctambules, carnivores et sauvages, mais que l’on peut aisément pétrifier en les exposant à une forte lumière ultraviolette. Le chasseur de trolls, de même que l’étrange Finn, font partie de la TST, un organisme gouvernemental chargé de maintenir secrète l’existence des trolls et de leurs méfaits. Aux dires d’Hans, ces créatures qui sentent la présence de chrétiens, semblent en effet s’approcher de plus en plus régulièrement des zones de peuplement humain. Des analyses tendent à montrer que la cause en est le virus de la rage qui a contaminé un individu de la race géante de trolls Jotnar, que l’on ne peut que tuer qu’au moyen d’un lance-rocket un peu spécial. L’affaire se termine dans la confusion et la disparition des étudiants. Reste le film.

Surfant sur la mode alors finissante des « found footage » (vrai faux documentaire collectif d’une fin annoncée, filmé en caméra subjective retrouvée après coup) dont il se moque un peu, Troll Hunter est aussi une satire parfois un peu balourde de cette christianisation imposée à un pays qui s’est ainsi coupé de son milieu naturel et de sa culture originelle (les chrétiens sont systématiquement attaqués par ces créatures). Avec sa profusion de détails inutiles et sa typologie bien développée des différentes races de trolls et de leurs comportements, le film se moque aussi de notre inclinaison à tenir pour vrai toutes les images et paroles, du moment qu’elles ont été filmées/enregistrées. [YH]

Lien vers la bande-annonce


« Tuva, Among the Spirits. Sound, Music and Nature in Sakha and Tuva » (Smithsonian Folkways, 1999)

Depuis toujours, et partout dans le monde, les hommes et les femmes ont imité les sons de la nature, comme appât pour les animaux, pour entrer en contact avec les esprits... Parfois, ils les utilisent comme accompagnement pour leurs chants, comme les Pygmées d’Afrique centrale qui intègrent leurs yodels aux sons de la forêt. Ces mêmes yodels sont utilisés dans les Alpes pour des appels qui se répercutent sur les parois montagneuses. On pourrait aussi citer, parmi tant d’autres, les musiques des Mongols dont les rythmes s’apparentent à ceux du galop du cheval (ou des Touaregs et des dromadaires). A Touva, et dans la république sibérienne de Sakha, les hommes (et parfois les femmes) pratiquent le chant de gorge au quotidien, dans les tâches de tous les jours mais aussi lors de rites chamaniques. Sur l’album Tuva, Among the Spirits, enregistré entre 1995 et 1998 par les collecteurs de musique traditionnelle américains Ted Levin et Joel Gordon, on entend par exemple comment Anatoli Kulaar imite le rythme, la mélodie et le timbre d’une rivière, les sons de sa gorge se mêlant au doux ruissellement de l’eau. Sur une autre plage, German Khatilaev et Kavdia Khatilaeva, Iakoutes, imitent avec leur voix et une guimbarde les bruits des animaux qui les entourent. Kaigal-ool Khovalyg joue de son côté de l’igil, une vièle à deux cordes et improvise sur son instrument pour imiter le galop des chevaux, tandis qu’avec sa voix il évoque les oiseaux. [ASDS]


Herman Melville : Moby Dick (1851)

Aussi intimidant qu’il puisse paraître, le plus célèbre roman de Melville ne raconte au fond qu’une histoire élémentaire : celle d’une obsession, d’une lutte d’égal à égal entre l’homme et la baleine. Cette histoire est donc aussi celle d’un regard sur l’animal. Un rapport singulier, d’individu à individu, dont Melville fait le nœud central d’un récit par ailleurs foisonnant. À l’arrière-plan, la violence inouïe de la chasse, l’exploitation aveugle des ressources et des hommes entre eux ou le fantasme de la supériorité intellectuelle de l’homme sur les autres espèces sont autant de lignes de fuite qui pointent directement vers les inquiétudes des siècles suivants. [CDP]


Henry David Thoreau : Walden ou La Vie dans les bois (1854)

Ce livre fondateur du genre littéraire américain nature writing, relate l’expérience que fit son auteur, Henry David Thoreau lorsqu’il décida de s’installer pour une durée de deux ans, deux mois et deux jours dans une cabane au bord du lac Walden. Motivée par le désir de renouer avec l’écriture au contact de la nature, la retraite, il faut le préciser, ne fut que très relative. L’écrivain qui s’était installé sur la propriété de son ami, le philosophe Ralph Waldo Emerson, se rendait régulièrement dans la ville voisine. Et c’est ainsi, dans la douceur et l’intelligence de son expression, que le livre fit date. Publié en 1854, il couvre en effet tout le champ d’une pensée en quête de cohérence et de légitimité. Divers fils narratifs se répondent : l’aventure à la première personne se double ainsi d’une réflexion politique, écologique et morale tandis que ses aspects triviaux lui donnent un relief plus expérimental. Car Thoreau ne se contente pas d’observer la nature, il l’étudie, la savoure et la travaille de ses mains. [CDP]


Patrick Imbert : Le Sommet des dieux (2021)

De tous temps, les hommes ont voulu conquérir la nature ; ils sont partis dans des contrées inconnues, vierges, et ont voulu atteindre l’extrême : traverser la jungle tropicale, aller d’un bout à l’autre des pôles, naviguer sur des océans inconnus, atteindre le sommet des montagnes les plus hautes. Le sommet des dieux, un film d’animation de Patrick Imbert, basé sur le manga de Jirō Taniguchi, raconte l’histoire d’un journaliste qui suit les traces de l’alpiniste japonais Habu Jôji. Ce dernier aurait retrouvé un appareil photo ayant appartenu à George Mallory qui avait tenté de vaincre l’Everest en 1924.

Critique complète


Werner Herzog : Grizzly Man (2005)

À flirter de trop près avec le monde animal, il arrive que certaines frontières soient transgressées, mettant en danger soit l’humain, soit l’animal. Timothy Treadwell (1957-2003) a vécu parmi les grizzlys sauvages durant 13 étés, seul et sans arme. Il est allé dans des endroits reculés de l’Alaska, pensant être investi d’une mission de protection des ours et d’éducation du public (des écoles, notamment). Lors des cinq dernières années, il avait pris le soin d’emporter une caméra et filmé plus de 100 heures d’images. Il voulait montrer ces ours dans leur habitat naturel… et se mettait volontiers en scène, seul ou prétendument seul (sa compagne, présente par intermittence durant les deux derniers étés, n’apparaît que deux fois à l’image).

En 2005, le cinéaste Werner Herzog se penche sur les rushes de Timothy Treadwell tournés au cours de ses retraites estivales, du début à la fin, jusqu’à sa mort ; lui et sa compagne ont été dévoré par un grizzly. Herzog tente de comprendre les motivations de cet homme qui aurait rêvé d’une carrière de comédien, semble avoir été déçu par des échecs professionnels et amoureux, ce qui l’aurait amené à se retirer dans la nature la plus sauvage et la plus dangereuse qui soit. Herzog procède par petites touches, alternant interviews de proches et séquences filmées par Treadwell, montrant la complexité du personnage qui s'enfonce dans la paranoïa.

« Je sens la mort sur tous mes doigts. » — Timothy Treadwell

Timothy Treadwell n’est pas dupe… bien qu’assez naïf et surtout exalté !

Il sait qu’il ne doit pas battre en retraite s’il veut rester vivre dans ce monde sauvage. Sa moindre faiblesse sera exploitée ; il sera décapité ou mis en pièces. L’homme se définit comme un « gentil guerrier » qui ne s’immisce pas dans la sphère des ours. Lorsqu’à l’occasion, il est défié, « le guerrier doit se transformer en samouraï et devenir redoutable, insensible à la mort et si puissant qu’il ne peut que vaincre. (…) D’une certaine manière, il faut être plus puissant qu’eux pour survivre dans un tel environnement… naturel pour eux et hostile pour l’homme. »

S'il est fasciné par l'homme, Werner Herzog n’hésite pas à donner son commentaire. Lorsque Treadwell pleure aux côté d’un renardeau mort et dit « c’est un monde douloureux », Herzog commente : « Là, je suis en désaccord avec Treadwell. Il semble ignorer qu’il y a des prédateurs dans la nature. Le commun dénominateur de l’univers n’est pas l’harmonie mais le chaos, l’hostilité et le meurtre. »

Avait-il tort ou raison, le débat s’estompe dans une brume au loin. Ce qui reste, ce sont ses images. Tout en observant les animaux dans leur choix d’être dans la grâce et la férocité, une pensée devient l’évidence : ce n’est pas tant un regard sur la nature qu’un aperçu de nous-mêmes, de notre nature. C’est ce qui, au-delà de sa mission, donne un sens à sa vie et à sa mort. — Werner Herzog


Une médiagraphie de l'équipe rédactionnelle de PointCulture : Catherine De Poortere, Nathalie Ronvaux, Anne-Sophie De Sutter, Philippe Delvosalle, Simon Delwart, Benoit Deuxant, Yannick Hustache, Daniel Mousquet et Marc Roesems

En lien