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Critique

« Une vie démente » : un film d'Ann Sirot et de Raphaël Balboni

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Prendre le contrepied de l'accablement qui naît dans l’entourage d’un Alzheimer, c’est le parti-pris audacieux d'un couple de cinéastes belges. Pour leur premier long métrage, Ann Sirot et Raphaël Balboni parlent de déclin mental sans défaitisme.

Sommaire

Directrice d’un centre d’art à Bruxelles, Suzanne (Jo Deseure) porte ses soixante ans avec élégance et légèreté. Vivant seule à la campagne, Suzanne possède sa propre collection d’œuvres d’art. Son fils Alex (Jean Le Peltier), la trentaine, en couple avec Noémie (Lucie Debay), s'apprête quant à lui à fonder une famille.

Démence sémantique

Et soudain surviennent des oublis, des attitudes distraites qui, d'un coup, font de la belle insouciance de Suzanne le symptôme d’une inquiétante frivolité. Sous le regard ébahi et bientôt atterré d’Alex, Suzanne semble ne plus s’inquiéter de rien. Ayant toujours fait montre d’une grande classe dans la gestion de ses affaires, voilà qu’elle ne comprend plus ce qu’on attend d’elle. Les factures s’accumulent sur son bureau. La nourriture moisit dans le surgélateur débranché. Des achats excessifs se voient saluer par un grand éclat de rire. Toute à sa joie, Suzanne en oublie les règles du savoir-vivre le plus élémentaire.

Comme toujours dans ces cas-là, le diagnostic tombe avec une brutalité extrême. On parle de démence sémantique, en d’autres termes, d’un d’Alzheimer. Bien que mise au courant de son état, nul ne sait ce qu’éprouve Suzanne, dont les préoccupations se portent désormais sur des petites choses, des futilités qui, pour les autres, ont tout l’air d’être des caprices.

« Le regard de Suzanne restera le point aveugle d’un cheminement qui ne prétend pas s’aventurer au-delà de son apparente gaieté. — »

Solitudes

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Le regard de Suzanne restera le point aveugle d’un cheminement qui ne prétend pas s’aventurer au-delà de son apparente gaieté. Ce trait d’opacité sur la subjectivité de la malade est ce qui éloigne sensiblement Une vie démente d’un précédent long métrage de Wash Westmoreland et Richard Glazer, Still Alice, sorti sur les écrans en 2014. Ce film suit la trajectoire d’une femme, brillante linguiste, (Julianne Moore) qui, la cinquantaine venue, apprend qu’elle souffre d’un Alzheimer précoce. En se faisant le relai de ses paniques, de ses moments de flottement, la caméra s’attache avant tout à suivre un effort, une tentative désespérée pour garder le cap. Façon de ne pas transiger sur la dignité d’une personne qui, quoique très entourée et très aimée, se retrouve inexorablement seule dans le combat qu'elle entend mener contre la perte de ses facultés intellectuelles.

Est-il possible de prendre le contrepied des idées accablantes qui naissent dans l’entourage de cette maladie particulière ? En suivant avec lucidité l’inexorable déclin mental de Suzanne, c’est la question que se posent Ann Sirot et Raphaël Balboni au travers de leurs personnages. Suzanne la première semble plaider pour une lecture comique de son état, là où son fils n’y voit que tragédie. Noémie, quant à elle, fait montre de pragmatisme en laissant la relation avec sa belle-mère prendre le pli de sa nouvelle personnalité.

« Suzanne semble plaider pour une lecture comique de son état, là où son fils n’y voit que tragédie. — »

Les différentes pistes qui se dessinent pour la prise en charge de la malade sont à replacer dans un contexte éthique plus large pour lequel il n’existe pas de solution universelle satisfaisante, ainsi le couple devient-il le siège de tensions dont les enjeux le débordent.

Il paraît important de préciser que le choix du sujet et son traitement spécifique ont pour origine le vécu personnel des cinéastes. Il existe une sorte d’avant-propos à Une vie démente sous la forme d’une création radiophonique réalisée en 2015 par Aurélie Balboni, sœur de Raphaël, Les Mots de ma mère. Cette approche non-fictionnelle avance un propos sensiblement proche de celui du film laissant courageusement la maladie à son mystère. Reste à savoir comment s'y rapporter.

Faut-il s’arrêter de vivre pour prendre soin de son parent devenu dépendant ? Le confier à un tiers ? Est-il indécent de l’accepter tel qu’il devient ? Que penser des contraintes, de l'autorité, de la volonté forcenée de protéger un être contre son gré ? En passant en revue tous ces problèmes et bien d’autres, Ann Sirot et Raphaël Balboni se gardent d’y répondre autrement que par la mise en scène de situations, de dialogues, de revirements qui font des personnages, plus que les artisans d’une fin heureuse, des êtres hésitants, divisés dans leurs meilleures intentions.

Vanité

L'inattendu – voire un certain malaise – surgit, dans le film, du contraste entre la dureté du propos et un traitement qui prend un tour résolument esthétique. L’image la plus frappante à cet égard est celle de ce motif floral qui, circonscrit au départ à la parure du lit conjugal, s’étend progressivement à tout le décor de la chambre, jusqu'à même habiller le couple par un effet de prolifération. Est-il besoin de mentionner que la dite parure fut un cadeau offert par Suzanne sur un de ces coups de tête associés à la première phase de l’Alzheimer ? L’obsession de la maladie trouve sur le plan graphique un dérivatif aussi tendre qu'angoissant.

Le visuel en tant qu'argument est le fruit d'une inspiration foisonnante. Les cinéastes citent le théâtre dansé de Pina Bausch, les chorégraphies de Maguy Marin, de Gisèle Vienne, la photographie de Martin Parr, le théâtre de Tiago Domingues, d’Halory Goerger et Antoine Defoort, le cinéma de Pialat, de Sorrentino et de Miranda July… Cette tonalité particulière du film qui entrelace littéralité et stylisation est une affaire de collage autant que de mise à distance. D'ailleurs, Suzanne, pour qui les œuvres signifiaient tant, ne perd pas vraiment ce regard-là. Quoique ses goûts aient changé, régressé diront les mauvaises langues, elle reste à l'affût de toute beauté. Peut-être alors peut-on considérer que l’esthétisation dont le film fait montre, il est vrai, parfois un peu à outrance, se tient comme garante de ce qui, dans l'esprit de la "malade", demeure un signe évident de sa grande vitalité.

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Au-delà des aspects documentaires et biographiques, le film peut aussi se prêter à une lecture allégorique. Dans leur désir d’avoir un enfant, Alex et Noémie se voient confrontés à l’irruption de la maladie. Cette violente antinomie entre des vies qui se construisent et une vie en déclin offre des points de ressemblance avec une figure bien connue de la peinture de la Renaissance : la vanité. Sur un tableau, la mort peut être représentée par un objet du même registre, le plus souvent un crâne humain. Ce rappel du temps qui passe met l’accent sur l’impermanence de toute chose. Dans Une vie démente, la maladie de Suzanne a sur le jeune couple le même effet, lui offrant un reflet inversé d’une conjoncture heureuse qui, hélas, ne sera que trop brève.



Illustrations ©Hélicotronc

Peinture : Georges de la Tour, La Madeleine aux deux flammes (1642-1644)

Texte : Catherine De Poortere


Agenda des projections

Sortie en Belgique le 08 septembre 2021.

Distribution : Imagine Films

En Belgique francophone, le film est programmé dans les salles suivantes

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Ath, L'Ecran

Bruxelles, Le Palace, Vendôme, Le Stockel

Charleroi, Quai 10

Hotton, Plaza

Liège, Sauvenière

Mons Imagix, Plaza Art

Namur, Cinéma Cameo

Nivelles, Ciné4

Waterloo, Wellington

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