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Critique

« Stillwater », un film de Tom McCarthy

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Marseille, thriller, Camille Cottin, Oklahoma, Matt Damon

publié le par Yannick Hustache

Foreur de métier, Bill Baker (Matt Damon) est une sorte d’ouvrier spécialisé nomade qui passe d’une plateforme de forage à une autre, ces grandes structures toutes de verticalité artificielle fumantes, qui tapissent les mornes grandes plaines de l’Oklahoma américain. Peu causant, l’élocution traînante, Bill passe prendre des nouvelles de sa belle-mère avant de s’embarquer pour l’Europe.

Un Américain à Marseille

À Marseille, plus exactement, où ce papa entre deux âges et veuf, va revoir sa fille Allison, qu’il a à peine connue, et qui gît en prison, condamnée pour le meurtre de son ancienne colocataire et petite amie.

Cette dernière lui confie une lettre contenant des éléments neufs à remettre en mains propres à son avocate, qui le cas échéant pourrait demander la réouverture du dossier. Et l’Américain qui à dessein de se "racheter", de prendre sur lui tel un sacerdoce et de tout faire ce qui est en son possible pour innocenter sa fille, de rechercher le "vrai coupable" dans une ville aussi éloignée que possible de ses repères habituels dont il ne parle pas langue et face à un système judiciaire compliqué auquel cet homme « simple et pieux » n’entend strictement rien.

Baker ne tarde pas à revenir à la case départ après les refus de l’avocate de revenir sur l’affaire et ses premières investigations personnelles maladroites au sein d’un microcosme local dont il ignore les codes, et repères, mais fait par un heureux hasard de proximité, la connaissance de Virginie (Camille Cottin), une actrice de théâtre qui élève seule sa petite Maya, 10 ans, qui elle adopte aussitôt l’Américain malgré la barrière de la langue. Virginie se prend d’aider Bill dans ses démarches dans une cité phocéenne de bord de mer, plurielle et pleine de couleurs et de vie, et aux dénivelés et quartiers contrastés, même dans ceux où « les étrangers » ne sont pas les bienvenus. Et ce dernier, devenu ouvrier sur les chantiers marseillais, finit par devenir le colocataire et baby-sitter/homme à tout faire qui possède son propre atelier dans les caves de l’immeuble, de se faire à la relative douceur de sa nouvelle existence en attendant le déblocage inespéré de la situation de sa fille.

Mais ce nouvel équilibre finira par se briser, en partie devant l’irrépressible volonté de Bill de rendre justice et vengeance par lui-même, quelques soient les preuves, moyens et conséquences…

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Photo : LCI

Mon père ce héros

Dans ce thriller à rebondissements et au final, néanmoins « presque attendu », Tom McCarthy, réalisateur de l’excellent Spotlight en 2015, tire une fable résolument optimiste sur « le vivre ensemble malgré tout ». Davantage qu’un récit classique de rédemption – on apprendra que Bill est un ancien alcoolique qui était en détention au moment du suicide de sa femme et qu’il sait peu de choses d’Allison, partie tôt étudier de l’autre côté du globe pour échapper à ce lourd passif familial – c’est dans l’observation des contrastes entre pays, modes de vie, classes sociales, origines ethniques et l’immixtion d’un corps étranger dans un milieu différent que se joue Stillwater, qui renvoie à la fois au nom du bled « Okie » anonyme, dont Bill est originaire, et à un élément scénaristique clé de sa propre compréhension de l’affaire.

On suit, non sans amusement, ce Redneck faux bourru campé par un impeccable Matt Damon étonnement mutique, qui fait sa prière avant chaque repas, sait à peine se servir d’un portable et encore moins d’un ordinateur, essayer de se faire comprendre alors qu’il ne parle pas autre chose qu’un anglais rudimentaire du Sud des USA. Et lui qui n’a probablement jamais dépassé de beaucoup les frontières de la très blanche Oklahoma de se retrouver dans une grande cité urbaine au bord de la Méditerranée, bouillonnante et colorée et son maillage serré de quartiers qui rivalisent (au choix) de beauté et de laideur avec leurs relations interlopes sous un même soleil généreux.

L’homme, qui ne fait que rarement part de ses pensées intimes à autrui est cependant animé d’une détermination presque missionnaire quand il essaie maladroitement d’aider sa fille Allison, et choisit malgré tout de demeurer à Marseille même quand bien même elle estime qu’il a trahi sa confiance et ne lui parle plus. Mais l’homme qui conserve une certaine propension à la violence a évidemment une face tendre qui se révèlera notamment dans la relation fusionnelle (il est quelque part un grand frère bienveillant et un père de substitution) avec la petite Maya – chacun s’exprime dans sa langue mais les deux se comprennent – et plus tard dans ses rapports à sa maman. Une Valérie, comédienne et cultivée et rayonnante qui revendique pleinement son autonomie et les choix qu’elle pose au quotidien. Elle a également un petit côté ange gardien (et saint-bernard) qui la pousse à apporter (voire à forcer) son aide à Bill et à se poser comme son agent d’intégration local, allant même jusqu’à créer les conditions de réconciliation entre Bill et sa fille.

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Photo : Allo Ciné

Football VS soccer !

Stillwater montre aussi, depuis un point d’entrée extérieur, une ville de Marseille complexe et solidaire. Pas totalement à rebours de tous clichés (les ex et flics pourris à la French Connection …) et dénué d’angélisme, le film fournit un réel effort pour sortir des sociologies de comptoir de trop de fictions françaises à l’accent forcé et aux stéréotypes éculés. Aucun plan de flânerie ou de diner en terrasse autour du petit port, mais une scène à l’université qui montre un Bill gauche et égaré dans une salle de cours qui reflète bien - profs y compris – toute la diversité sociologique du terreau humain marseillais. Par-delà son apparent chaos routier urbain et la froideur de ses institutions judiciaires, Marseille est vue comme une cité haute en couleur, ouverte et à l’arrière-pays magnifique. Et puis, de mémoire, on n’a jamais entendu une production hexagonale où autant d’acteurs et actrices françaises arrivaient à parler/converser dans une autre langue que la leur et un Américain pur jus poser un pied dans un stade de football (soccer) et supporter l’OM, c’est du jamais vu…

on n’a jamais entendu une production hexagonale où autant d’acteurs et actrices françaises arrivaient à parler/converser dans une autre langue que la leur et un Américain pur jus poser un pied dans un stade de football (soccer) et supporter l’OM, c’est du jamais vu… — Yannick Hustache
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Image : Le Devoir

The Great Country

Et outre s’il peut se reposer sur un casting international de premier choix (mention spéciale à Camille Cottin qui crève l’écran) et la qualité de son écriture qui sait ménager son rythme et distiller intelligemment les éléments menant à son dénouement final, Stillwater montre que la rencontre, même fortuite, d’êtres que tout semble séparer ne débouchent pas inéluctablement sur une tragédie. La période où Bill et Virginie vivent sous le même toit et qui évolue un temps vers une courte épiphanie amoureuse, est pour le premier une sorte de moment d’apprentissage, de dépassement de soi et de lente remise en cause de ses certitudes morales premières. On le voit ainsi assister en catimini à la pièce dans laquelle joue Virginie et afficher plus volontiers ses sentiments. Pour la seconde, c'est aussi la révélation que tous les Américains ne sont pas des "trumpistes" surarmés.

Mais, c’est surtout, au moment du dénuement final, que rentré au pays en compagnie de sa fille au prix de son départ définitif de Marseille, qu’il réalise qu’il a posé un choix moral, certes discutable mais humain, qui de fait se place du côté du pardon et de la réconciliation sur celui du respect absolu d’une loi « immuable».

Agenda des projections

Sortie en Belgique le 22 septembre 2021.

Distribution : PR WW Entertainment

Le film est programmé dans la plupart des salles de Belgique francophone.

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