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Critique

"Sais-tu pourquoi je saute ?" ("The Reason I Jump") un documentaire de Jerry Rothwell (USA, GB, 2020)

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livre, autisme, Enfance, parents, Troubles de l'attention

publié le par Yannick Hustache

Tout part d’un livre écrit à l’âge de 13 ans par Naoki Higashida un adolescent japonais atteint d’autisme non-verbal sévère. "Sais-tu pourquoi je saute ?", paru en 2005, va contribuer à faire évoluer la manière dont cette maladie est perçue et devenir une sorte de porte-parole de celles et ceux, profondément incompris comme lui. Il a 28 ans aujourd’hui.

Sommaire

Du livre au documentaire

« J’ai écrit cette histoire dans l’espoir qu’elle vous aide à comprendre à quel point il est douloureux de ne pas pouvoir communiquer avec ceux que nous aimons. Si cette histoire vous touche d’une façon ou d’une autre, je crois que vous serez capable de vous relier au cœur des personnes avec autisme » – Naoki Higashida

Sais-tu pourquoi je saute ? le film de Jerry Rothwell (déjà auteur en 2015 du documentaire How To Change The World) insère des extraits autobiographiques de Naoki Higashida qui servent de liens , d’éclairage narratif et contextuel aux portraits de cinq jeunes autistes et de leur entourage proche à travers le monde.

Le film part du constat que l’esprit d’un autiste est doté d’autant de curiosité, de subtilité et de complexité que celui de n’importe qui que l’on diagnostiquerait comme « normal », mais que le trouble de l’autisme affecte profondément leur capacité à communiquer avec le monde.

Ce voyage sensible et sensitif où les paysages, les sons et les couleurs nous permettent de mieux appréhender leur univers constitue une véritable immersion dans le quotidien de Joss, Emma, Ben, Amrit et Jestina. Partie prenante du film, les parents y évoquent leurs difficultés quotidiennes face à ces enfants différents au sein d’une société qui ne tolère pas facilement la différence. Ils évoquent (avec pas mal d’insistance) ce que la découverte du livre a pu changer dans la compréhension de leur enfant et font état des initiatives impulsées ces dernières années qui vont dans le sens d’une plus grande acceptation et (autonomisation) des autistes.

Un film, une plongée

Le film s’ouvre sur une plage la nuit, non loin d’un phare qui entame sa veille éclairante de sécurisation du trafic maritime. Un petit garçon qu’on devine représenter Naoki Higashida enfant, se balade en solitaire tandis qu’une voix relativement détachée dans son débit reprends des extraits choisis du livre et tente de nous faire comprendre comment les autistes "sentent" le monde et comment, avec leur armature sensible autre, se heurtent à un mur d’incommunication dans leurs rapports aux autres.

Ainsi Naoki Higashida qualifie son rapport propre aux objets comme inversé ; il est assailli d'un déluge de détails vis-à-vis d'eux et ne peut reconstituer leur(s) forme(s) générale(s) qu’après un effort intense. Avec ici comme exemple sa propre perception du phénomène "pluie", et de l’effort mental qu’il doit à chaque fois déployer pour retrouver dans sa mémoire la trace d'une expérience similaire. Chaque chose semble ainsi accaparer toute son attention, il ne peut guère s’en détacher. Son esprit ne cesse de bondir d’un objet à l’autre, ce qui place son être dans une situation d’inconfort permanent qui se prolonge parfois sous la forme d'un tsunami émotionnel incontrôlé. L'autiste demeure toujours dans cet écart de temps irréductible entre le moment où il pense la chose et le moment où il s’exprime. Le flux temporel prend chez lui davantage la forme d’un diaporama de points éclatés que d’une ligne continue.

Être autiste non verbal, c’est comme tout voir, tout ressentir sans jamais pouvoir réagir, être incapable de négocier. Beaucoup développent des obsessions, adoptent gestes, postures et comportements répétitifs qui rassurent.

Amrit, Joss et les autres

Jeune adolescente indienne et citadine aux comportements obsessionnels, Amrit déploie une intense activité artistique dans le dessin et la peinture, dont l’aboutissement est maintenant exposé en galeries et expositions. Sa mère se confie sur la colère qui habitait sa fille incapable d’entrer en communication avec son entourage, avant de trouver via le dessin et le coloriage une façon idoine d’exprimer ce qu’elle ressent. Et c’est magnifique !

À Broadstairs, Angleterre, Joss, ado rouquin dégingandé et hyper anxieux, répète inlassablement les même mots et phrases, les mains repliées sur les tempes. Ses parents, extraits vidéo et photos à l’appui, retracent les étapes-clés de son enfance, de sa fascination première pour l’eau et la lumière, puis en grandissant pour les bruits des transformateurs qu’il perçoit au loin et toujours, pour les bulles à savon. Chez lui, les souvenirs plus anciens extrêmement précis viennent bousculer ceux d’événements vieux seulement de quelques jours. Son comportement devenu moins gérable à la puberté lui a valu un transfert depuis son ancienne école vers un établissement spécialisé.

Dans l’État de Virginie (USA), Ben, un jeune adulte à la stature sportive imposante et Emma, toujours accompagnées de son téléphone en mode blocage sonore, et tous deux autistes, ont noué une indéfectible amitié depuis la maternelle. Les parents de Ben, après pas mal de désillusions ont fini par trouver en Elisabeth Vosseler, une thérapeute du langage qui a pu développer un ensemble de méthodes de communication simples, sur base de tablettes alphabétiques (ou via un clavier) qui permet à des autistes non-verbaux de s’exprimer librement et de suivre un cursus scolaire normal . Des progrès estimés si encourageants que Ben s’apprête à vivre bientôt sa vie en autonomie, non loin de la maisonnée familiale, au sein d’un immeuble au confort et facilités étudiés.

Enfin à Freetown, Sierra Leone, Jestina (Jess’), jeune adolescente au regard intense et au large sourire éternel, est choyée par ses parents au beau milieu d’une société qui rejette sous couvert de sorcellerie celles et ceux qui sont différents. Père et mère, rejoints par d’autres dans le même cas de figure ont formé une association pour échanger et partager sur leur condition de parents d’enfants autistes dans un pays où ceux-ci sont régulièrement abandonnés en forêt. Ceux-ci ont également mené dans les médias du pays une campagne d’information dans les médias et fondé en 2017, une école apte à les accueillir.

Autisme et esthétisme

À la fin du film, l'enfant Naoki Higashida semble avoir retrouvé le chemin de sa maisonnée...

La photo du film, signée Ruben Woodin Dechamps, rend presque chaque plan du film « posterisable ». La musique et la patine sonore arrangées autours des bruits du quotidien et composée par Nainita Desai sont des plus réussies. Mais Sais-tu pourquoi je saute ? pâtit aussi de cet excès de « belles images » sur-signifiantes (les bruits du monde comme autant d’expériences sensorielles perturbantes dans le champ de perception des autistes, un peu c’est bien, trop c’est…), de ces plans ralentis sur les visages à l’excès, tout comme ceux incluant le Higashida jeune (trop trop mimi le gamin !), et enfin de cette insistance continuelle sur l’influence « sans équivalent » que le livre a pu avoir dans notre compréhension de l’autisme.

"Sais-tu pourquoi je saute ?" ("The Reason I Jump") de Jerry Rothwell

(USA, GB, 2020) - 1h22

Texte : Yannick Hustache

Crédits photos : Cherry Pickers

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Agenda des projections (Bruxelles/Wallonie):

Sortie le 06/04/2022 :

Aventure Cinéma confort

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