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Critique

« Où est Anne Frank ! » : un film d’Ari Folman

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Longtemps, par l’exercice de sa seule imagination, Anne Frank est parvenue à tenir en respect la terreur de son quotidien de recluse dans l’Annexe, appartement clandestin aménagé à l’arrière de l’entreprise amstellodamoise dont son père était propriétaire. Cette capacité de résistance qui s’exprima au travers de la rédaction du désormais célèbre Journal, Ari Folman la dote aujourd’hui d’un corps et d’une voix en la personne de Kitty, amie imaginaire de la jeune fille. À charge de ce témoin tout droit sorti du texte d’interroger les répercussions des politiques migratoires sur les enfants des pays en guerre.

Sommaire

Comment l'Histoire se raconte

Faire le lien entre passé et présent, tel est le point de vue qui façonne cette adaptation à la fois libre et fidèle d’un texte qui constitue un témoignage clé sur la Shoah. Le choix de faire figurer au centre du récit un personnage de fiction s'étend à une mise en scène structurée comme une enquête. Car avant d'endosser la forme interpellante du titre, Où est Anne Frank soulève des questions en cascade. Qu’est-il arrivé à la jeune fille ? Que s’est-il passé après la descente dans la cache du Sicherheitsdienst, service de sécurité de la police allemande et les arrestations qui s'en sont suivies ? Que ne dit pas l’abandon précipité du Journal ? En toute logique, Kitty ne sait rien de plus que ce qui se trouve consigné dans les pages dont la magie de l’animation l'a judicieusement détachée. Pour répondre – et répondre de sa propre existence – celle qui fut l’interlocutrice privilégiée de la diariste pendant ses années de clandestinité de 1942 à 1944 va devoir quitter l’Annexe désormais transformée en musée.

Au fil des rencontres et d’un périple qui l'entraîne fatalement jusqu’au camp de Bergen-Belsen en Allemagne, lieu du décès d'Anne Frank au printemps 1945, c'est avec l'émotion que l'on devine que Kitty découvre tout ce qu’un enfant qui ne connaît rien de la Solution finale sera à son tour amené à apprendre. Dans le respect du tabou portant sur la représentation de la Shoah, le film dresse un parallèle entre les camps de la mort et le royaume d’Hadès. Fondé sur l’intérêt avéré de la part d’Anne Frank pour la mythologie grecque, l’allégorie procède d’un principe moral selon lequel le moindre recours à la fiction dans le film possède un substrat dans le Journal, rien de plus que la part d'imaginaire que recèle tout vécu.

J’ai grandi dans un foyer où tout le monde était survivant de l’Holocauste. — Ari Folman

Transmission sensible

Initié par le Fonds Anne Frank, le film a connu une conception longue et intense. L’organisme créé à Bâle en 1963 par Otto, le père de la jeune fille, dans le but de gérer les droits d’auteur issus du Journal, tenait ainsi à honorer son devoir de transmission en actualisant le contenu du Journal et l’adresser à de nouvelles générations a priori moins enclines à la lecture. En raison de sa connaissance intime de la Shoah, le Fonds s’est rapidement tourné vers l’auteur israélien de Valse avec Bashir et du Congrès, deux longs-métrages d’animation qui ont fait grand bruit au moment de leur sortie, également porteurs de parti-pris formels et de discours engagés.

Transmission donc, transmission de compassion, selon les termes d'Ari Folman qui argue ainsi de sa volonté de jeter un pont entre le passé et le présent. Rendre l’histoire accessible à un public d’un âge minimal de 10-11 ans, faire de la pédagogie sans se départir des exigences dues à une œuvre de création constituent autant de défis potentiellement litigieux qui ont pesé sur un cahier des charges déjà bien lourd. Plus qu’une simple adaptation du Journal, le résultat est une lecture habitée qui convertit le monologue en dialogue. Le projet comprend par ailleurs un kit pédagogique destiné à accompagner la diffusion du film dans les écoles.

Ce n’est pas l’illustration d’un roman de Jonathan Littell. Les nazis ne peuvent avoir de visage humain. — Ari Folman

Reprenons le fil de l’intrigue. Lorsque Kitty s’échappe du musée, Prinsengracht 263-267, Amsterdam, c’est l’hiver. Il fait froid, gris, bientôt les canaux se couvrent de glace permettant à la jeune fille de les traverser à toute allure en patins. Détentrice du Journal, c’est elle que la police pourchasse désormais afin de récupérer le précieux carnet à carreaux rouges et verts devenu pièce de collection.

Si la police d'aujourd'hui s'affiche sous des dehors conventionnels, la stylisation dont les corps nazis font l'objet montre l'anomalie presque démesurée que sous-tend leur présence létale dans un décor urbain ordinaire. Toutefois et par contraste avec les tons charbonneux qui servent à dépeindre la ville actuelle, les séquences dédiées au passé et à la vie d’Anne Frank dans l’Annexe se parent de couleurs vives et chaudes. En opposition parfaite avec un ordre des choses qui tendrait à imposer aux flashes back les teintes les plus sombres, ce chromatisme inattendu épouse le cheminement d’une Kitty que ses recherches conduisent à s’enfoncer dans un présent désigné comme guère reluisant.

Le regard d'Anne Frank

C'est qu'entre-temps, son statut de fugitive a provoqué la rencontre entre Kitty et une catégorie de la population avec laquelle elle partage la condition de fantôme. Des familles entières vivant dans la clandestinité, souffrant de la faim et du froid, tremblant d’être découvertes par la police et renvoyées dans leur pays : nombreux sont les éléments qui rapprochent Kitty des demandeurs d’asile et des sans-papiers.

Le constat qui s’ensuit est triste et d’autant plus tranchant que posé avec une grande douceur : à voir ce qu’endurent quotidiennement les migrants, en dépit des foules qui s’amassent devant les portes du musée, l’héritage d’Anne Frank s’est perdu. Voici la martyre devenue symbole d’un oubli : l’industrie de la mémoire est sa nouvelle prison. Au final, lorsque Kitty disparaît à son tour, elle laisse dans son sillage une ultime question. Dans un monde qui rejette et traque les exilés, faut-il se mettre hors-la-loi pour que le Journal soit davantage qu’une relique privée d’âme ?


Texte : Catherine De Poortere

Crédits images : © Cinéart

Les citations d'Ari Folman sont entendues dans Plan Large, un entretien avec Antoine Guillot, le 11/12/21 sur France Culture (lien vers l'émission).


Sortie en Belgique le 15 décembre 2021.

Distribution : Cinéart

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En Belgique francophone, le film est projeté dans les salles suivantes :

Bruxelles : Palace, Galeries, Kinepolis, UGC Toison d'Or, Vendôme


Wallonie : Ath Ecran (apd. 22.12), Charleroi Quai 10, Charleroi Pathé, Hotton Plaza (apd. 22.12), Liège Les Grignoux, Louvain-La-Neuve Cinéscope, Marche-en-Famenne Cinémarche, Mons Plaza-Art, Namur Acinapolis, Namur Caméo, Nismes Chaplin (apd. 22.12), Nivelles Cine4, Saint-Mard Nos Loisirs, Stavelot Versailles, Tournai MC, Virton Patria

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