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Critique

« El Buen Patrón », un film de Fernando León de Aranoa (2021)

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Espagne, patronat, balance, Petite entreprise, Licenciements, hypocrisie

publié le par Yannick Hustache

Juan Blanco est un petit patron d’entreprise ibérique dévoué qui se démène sang et eau pour sa firme qui fabrique des balances industrielles de précision. Mais à la veille de décrocher un nouveau prix de prestige tant convoité, les contrariétés légères s’empilent pour El Patrón comme des mauvaises nouvelles... qui n’arrivent jamais seules.

Sommaire

Un patron trop tranquille

Tout semble rouler pour Juan Blanco. Héritier et sans enfant d’une longue famille d’entrepreneurs familiaux, il a la faconde naturelle mais point trop ostentatoire. Charismatique et bien conscient de l’effet qu’il produit sur son entourage et chez ses interlocuteurs, il met un point d’honneur à avoir su « demeurer simple » (du moins dans son aspect vestimentaire), sans histoire, et à être à l’écoute de ses collaborateurs, employés comme ouvriers ou agents de sécurité, qu’il nomme chacun·ne par leur prénom. Ses seuls moments de détente, ce cinquantenaire grisonnant et bonhomme les passe en famille au côté de sa femme qui gère de son côté sa propre boutique de vêtements. Et sa seule fierté semble résider dans le mur central de sa maison où sont exposés les prix reçus par sa société depuis qu’il en a pris les rênes. Que Juan passe de longues minutes à contempler.

Alors qu’il supervise et fignole les derniers détails de remise à neuf de son entreprise, qui attend incessamment sous peu la visite de la commission qui doit décider de l’attribution d’un prix régional d’excellence, les imprévus et soucis s’accumulent comme les mouches autour d’une carcasse laissé au chaud soleil de la campagne espagnole. Mais pas de quoi décourager El Patrón !

Ma petite entreprise, connait pas la crise…

Tout d’abord, il y a ce "collaborateur" tout juste « remercié », certes divorcé et père de deux jeunes enfants, mais qui installe son camping sauvage juste en face de l’entrée principale de l’entreprise, et réclame sa réinsertion dans la boite au mégaphone à chaque passage de Juan. Et vu que c’est un terrain sans propriétaire, on ne peut ni l’expulser ni l’empêcher d’afficher ses slogans (et il est d’ailleurs peut-être aidé par l'agent de sécurité un peu poète à ses heures, qui filtre théoriquement les entrées) au vu de tous.

Ensuite, il y a le fils de Fortuna, l’un de ses plus anciens ouvriers (et homme de corvée du dimanche) qui déconne franchement. Une vraie graine de voyou, vadrouille et raciste passé à l’acte, et que Juan prendra sous son aile (ou plutôt celle de son épouse) pour lui éviter une condamnation pour coups et blessures.

Plus grave, il y a les manquements professionnels graves de plus en plus réguliers de Miralles (Manolo Solo), son responsable de production et « ami d’enfance », et que ce dernier explique parce que sa femme le trompe et veut le quitter…

Enfin, il y a le charme irrésistible de Liliana (Almudena Amor), la nouvelle et fraîche stagiaire, auquel il ne va pas résister bien longtemps.

Dix de chute

Juan Blanco, capable du plus beau des sourires contrits face à une personne qu’il vient de licencier (« pour l’intérêt de l’entreprise »), puis de ressortir dans le détail de vieilles anecdotes (revues et corrigées au besoin) sur les vertus de la vie d’entrepreneur autour d’un verre avec ceux qui viennent d’assister au spectacle à la seconde suivante !

Pour "aider" Miralles, il va jusqu’à déranger sa femme sur les lieux de son travail (elle est caissière dans un supermarché) à plusieurs reprises pour l’interroger sur l’état de son couple, et à accompagner son employé qui la piste tard le soir chez ses prétendus (ou non) amants via un traceur électronique espion. Il va aussi couvrir envers et contre tout ses erreurs à répétition face à l’ambitieux Khaled (Tarik Rmili), valeur montante au sein des collaborateurs à responsabilité de l’entreprise et… grand collectionneur de conquêtes féminines.

Quant au campeur sauvage d’en face, Juan tente successivement la manière douce (« je double ton indemnisation si tu pars ! ») et le recours aux moyens légaux (appeler les flics, avertir les autorités). Avant que, pressé par le temps, une idée bien moins avouable ne fasse tout doucement son chemin dans sa tête. Un accident est si vite arrivé de nos jours…

Et pour Liliana, même si elle venait à céder aux propositions intéressées d’El Patrón, cela ne signifie pas pour autant pour elle que son contrat de stage soit renouvelé à la fin de sa période d'essai, qui approche à grands pas …

L’équilibre et la balance

« El Buen Patrón » arrive sur les écrans belges après avoir raflé un paquet de statuettes aux Goya d’or (6 au total !). Le film semble avoir été écrit pour son acteur principal Javier Bardem, absolument parfait dans son personnage de chef d’entreprise régional soucieux du bien-être des gens qu’il emploie. En réalité, Juan est un être profondément cynique, manipulateur et ambitieux, prêt à toutes les compromissions, à tous les marchandages pour arriver à ses fins (ici, ajouter un simple trophée honorifique à sa collection murale).

Dans cette comédie à l’ironie plus que grinçante (le portail d’accès à l’entreprise qui porte son nom évoque directement le « Arbeit macht frei » - « le travail rend libre » - qui surmonte la grille d’entrée du camp de concentration d’Auschwitz) aux airs de chronique provinciale printanière ensoleillée à la gloire du petit entreprenariat familial, on ne rit pas tant de gags à répétition, de personnages petits-bourgeois ridicules ou truculents pris dans des quiproquos à rallonge, mais bien dans cette lente mais inexorable mise en place par un personnage sûr de son fait, qui pose lentement son dispositif construit autour d’une série d’actes anodins et de tentatives de manipulation « douce » pour se sortir de situations en apparence insurmontable. Mais la science et l’histoire ont montré à foison que même les plus belles mécaniques de précision peuvent s’enrayer à cause d’un minuscule grain de sable. Et l'ambition est toujours une valeur si partagée de nos jours.

Une chronique sociale acide qui vérifie à nouveau que le système capitaliste et ses habituels dommages collatéraux n’est pas une question de taille d’entreprise, de montants des sommes en jeux ou encore de degré de proximité entre acteurs, mais bien d’ambition personnelle. Mais que celle-ci porte en elle les germes de son possible échec. La notion d'équilibre est ici bien moins une question de réglage de balancier que de la nature des poids que l'on va poser sur ses plateaux...

Écrite aux petits oignons baignant dans un vinaigre au PH bien élevé, desservie par une brochette d’actrices et d’acteurs à leur place et avec un sens millimétré du rythme, « El Buen Patrón » est la comédie entrepreneuriale pimentée et acide de ce début d’été ! Idéale avant un pas de danse au bal des faux-culs !

EL BUEN PATRÓN - Fernando Léon de Aranoa

2021 - Espagne - 2h


Texte: Yannick Hustache

Crédits photos: Paradisio Films

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Agenda des projections :

Sortie en Belgique le 15 juin 2022, distribution Paradisio Films

Le film est projeté dans la plupart des salles de Belgique.

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