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Critique

« C’mon C’mon », un film de Mike Mills

C'mon C'mon-Tobin Yelland
Mike Mills présente une réflexion sur la parentalité, l’enfance, la maladie mentale et, de manière détournée, sur les aspirations des enfants et adolescents d’aujourd’hui. En même temps, il réalise un portrait sonore et visuel de quatre villes américaines, les filmant dans un noir et blanc mélancolique.

Johnny (Joaquin Phoenix) est réalisateur de documents sonores. Il travaille sans relâche sur un projet d’interviews de jeunes Américains, enfants et adolescents de toutes origines, avec une petite équipe de fidèles collaborateurs. Dans les premières scènes du film, il est à Détroit, en plein hiver. Il est célibataire et n’a plus vraiment de relation intime avec sa sœur, Viv (Gaby Hoffmann) depuis le décès de leur mère, mais ils restent malgré tout en contact. Quand celle-ci doit prendre de soin de son mari Paul (Scoot McNairy), atteint de troubles psychotiques, Johnny propose de se déplacer à Los Angeles pour s’occuper de leur fils âgé de 10 ans, Jesse (Woody Norman).

L’oncle et le neveu ne se connaissent que très peu, et le film montre le lent apprivoisement des deux personnages. Johnny est un homme assez fermé, il ne parle pas de ses sentiments et de son passé ; Jesse est un enfant précoce, vif et parfois hyperactif, attaché à ses rituels (il joue de temps en temps des personnages, notamment un orphelin qu’il faut rassurer). Les premiers jours ne sont pas simples, Johnny ne connaissant rien du rôle de père (et de mère), mais il réussit à capter l’attention de l’enfant en lui montrant comment enregistrer les sons de la ville et de la nature. Il l’emmène sur la plage de Venice Beach, lui prêtant casque, micro et enregistreur, et Jesse est de suite passionné.

En utilisant cet élément de l’histoire, le réalisateur Mike Mills fait un choix : son film est avant tout sonore. Il y a évidemment les interviews des jeunes qui entrecoupent les scènes intimes entre Johnny et Jesse, des interviews qui racontent les aspirations d’une génération qui n’a pas encore voix au chapitre et qui oscille entre négativité et positivité, mais qui penche plutôt vers l’espoir. Mais il y a aussi les sons de la ville, des villes en fait, puisqu’après un court séjour à Détroit (où Johnny est seul) et à Los Angeles, Johnny est obligé de se remettre au travail et propose à Jesse de venir avec lui à New York, puis à La Nouvelle-Orléans. Le micro porté par le garçon capte les sons des vagues, les gens qui parlent, le bruit des skateurs, les voitures, la parade accompagnée d’une fanfare… autant d’éléments créant des paysages sonores pour chacune des villes.

Il y a aussi les nombreux dialogues entre Johnny et Jesse, les questions incessantes de l’enfant qui tentent de percer la carapace de l’adulte qui préfère souvent ne pas répondre, tout particulièrement quand le garçon lui demande pourquoi il n’est pas marié. Viv appelle régulièrement, racontant que l’état de son mari, qui refuse toute aide, n’évolue pas beaucoup, mais donnant également plein de conseils de mère à son frère un peu perdu : pas de sucre le soir, maximum une heure d’écran par jour… – bref toutes les injonctions habituelles qui font partie de la charge mentale féminine. Elle explique aussi comment Johnny doit être honnête avec Jesse, et s’excuser en cas de problème ; elle lui propose d’utiliser des scripts disponibles sur le net (ce qui donne une scène très drôle où Johnny découvre les phrases sur son téléphone, puis les répète à Jesse qui sait déjà à quoi s’attendre mais attend avec patience que son oncle les lui énonce).

L’autre choix important de Mike Mills, qui découle du premier, est celui de filmer en noir et blanc. Un noir et blanc un peu brumeux, très doux, mais qui est très spécifique pour chacune des villes filmées. Détroit est plutôt sombre, tout comme New York – c’est l’hiver et il neige régulièrement, mais les images de New York sont malgré tout un peu plus contrastées, plus fougueuses, plus proches de l’énergie de la ville. Los Angeles est lumineuse et sombre à la fois : le soleil brille de pleins feux sur Venice Beach mais de nuit, c’est le côté urbain qui l’emporte avec les freeways à la circulation démentielle. Enfin La Nouvelle Orléans a un côté rayonnant et mélancolique, avec ses quartiers un peu délabrés aux rues envahies par les nids de poule et les flaques qui reflètent la lumière.

Esthétiquement superbe et fascinant au niveau des sons, le film est aussi une histoire très actuelle de parentalité et de charge mentale. Viv est au bout du rouleau, mais continue à aider son mari, chose que Johnny ne comprend pas. Leurs conversations évoluent au cours du film et une certaine intimité reprend sa place, Viv expliquant qu’elle souhaite que son fils ait un père, et qu’elle fait tout cela pour lui, même si elle doit se mettre entre parenthèses pendant un moment. Au fil des jours, Johnny commence à prendre conscience que ce n’est pas de tout repos de s’occuper d’un enfant – il s’était clairement lancé dans le projet sans trop se rendre de compte des conséquences que cela pouvait avoir sur sa vie personnelle et son travail. A un moment, il dit à sœur – tout en précisant qu’il sait qu’elle sait – qu’il a du mal à combiner la charge d’un enfant et son boulot, que c’est trop pour lui. Il avoue honnêtement sa fatigue et son impuissance.

C’est un film mélancolique et vivifiant en même temps, un peu bavard par moments (il est parfois difficile de se concentrer sur les interventions des jeunes) mais Mike Mills réussit le pari de montrer une relation intime entre deux êtres qui ne se connaissaient que très peu au départ, entre un enfant qui grandit à vue d’œil et un adulte qui sort de sa coquille et qui exprime enfin ses émotions. Il y a une vraie complicité entre l’oncle et le neveu, mais aussi entre les deux acteurs qui sont réellement dans leur rôle. Les images et les sons de film emmènent le spectateur dans un voyage tout en douceur et intimité, explorant la vie quotidienne et ses petites histoires sans en faire un drame, tout en posant des questions très actuelles sur la vie parentale et la société.

C’mon C’mon, un film de Mike Mills

Etats-Unis – 2021 – 1h49

A voir aussi : Thumbsucker, Beginners et 20th Century Women


Texte: Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos: Tobin Yelland et Julieta Cervantes (via The Searchers)


C'mon C'mon

Agenda des projections:

Sortie en Belgique le 26 janvier 2022, distribution The Searchers

Le film est programmé dans la plupart des salles en Belgique.

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