Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter

Des révoltes qui font date #65

25 décembre 1989 // Révolution en Roumanie

ceaucescu.jpg
roumanie revolution.jpeg
En 1989, autour du jour de Noël, la télévision roumaine, relayée par celles du monde entier, diffuse des images surprenantes. Filmées comme par un amateur, elles montrent trois soldats exécutant à la kalachnikov le président Nicolae Ceaușescu et son épouse Elena Petrescu. Il faudra plusieurs jours pour décrypter le contexte de ces images et comprendre comment s’était déroulée la révolution roumaine et comment s’était terminé le régime communiste qui oppressait le pays depuis 1945.

On sait aujourd’hui que cette révolution a été très confuse et qu’elle fut parmi les événements les plus sanglants de tout l’effondrement du bloc soviétique. On sait aussi aujourd’hui que les forces en présence étaient complexes et qu’elles rassemblaient des dissidents, des opposants au régime, mais aussi des militaires et des communistes réformateurs. Ce sont ces derniers, menés par le sénateur Ion Iliescu, qui auraient lancé l’attaque finale contre le président. Alors que des manifestations contre son pouvoir absolu avaient lieu dans tout le pays, celui-ci refusait tout changement à sa politique, malgré l’exemple donné par les autres pays du bloc et par Mikhaïl Gorbatchev. La révolution a donc été un mélange de putsch à l’intérieur du parti communiste et de révolte de la population. Le 25 décembre, à l’issue d’un procès expéditif de 55 minutes, les époux Ceauseșcu sont condamnés à mort et exécutés.

Revolutia_Bucuresti_1989_000.JPG

L'Histoire est écrite par les vainqueurs, et chaque révolution amène une relecture du passé, une nouvelle version officielle des faits. Passent alors au pilon les mythes et légendes qui l'ont précédé, les héros anciens sont remplacés par des héros flambant neufs, les statues sont déboulonnées, et rapidement remplacées par d'autres. Chacun de son côté corrige sa propre biographie, censure ses erreurs, repeint aux couleurs du jour sa devanture, se découvre rétrospectivement militant, révolutionnaire. Chacun antidate son engagement, et s'invente des prises de conscience, des faits d'armes. Dès l'annonce d'une révolution, il est capital de se trouver dans le peloton de tête ; le résistant de la dernière heure n'a que peu de temps pour se joindre au combat, il doit se saisir au plus vite d'une arme, d'un prisonnier, d'un drapeau.

Le temps passe et la mémoire se délite, s'embrume. Aux mensonges et aux illusions vient s'ajouter l'oubli. Le flou du souvenir vient confirmer les tromperies des uns, les alibis des autres, et semer le doute sur la réalité des événements. La bonne conscience de tous est indispensable à la normalisation. Il est de toute importance que la population entière se place du coté gagnant. Au prix qu'il faut. Dans la nouvelle version de l'histoire, la France entière a pris la Bastille, aucun Allemand n'a voté pour Hitler, et toute la Roumanie s'est soulevée d'un même élan pour chasser le couple Ceausceșcu.

12 08 à l'est de bucarest.jpg

C’est ce que veut vérifier Jderescu, propriétaire/présentateur/réalisateur d’une station de télévision locale, dans une petite ville à quelques kilomètres de Bucarest. Est-ce que la révolution a bien eu lieu chez eux ? Est-ce que la ville a elle aussi participé à l ‘écriture de l’histoire ? Loin du centre de l'action, loin des caméras, lorsque les témoins perdent la mémoire, lorsqu'ils y mêlent leurs excuses, leurs rancœurs, comment encore raconter son passé ? Qui était réellement là, en première ligne? Qui s’en souvient encore ? Qui s'en souvient vraiment ? Et les héros de l'histoire eux-même commencent à douter. Ils savent la mesure, petite ou grande, de leur propre implication. Ils connaissent leur propre faiblesse, leur propre force, ils savent la peur qu'ils ont surmontée ou pas, mais n’ont que leur parole pour alléguer de leur éventuel courage, de leur bravoure inattendue.

Les vainqueurs et ceux qui se rallient à eux n'ont que faire de ce courage, il ne fait que révéler leur propre absence, leur propre lâcheté. Dans la nouvelle version de l'histoire, les vrais acteurs sont des témoins gênants, face au souvenir commun. Ils sont les seuls à pouvoir révéler qui était ou non sur les barricades, qui a pris les armes, et qui a hésité jusqu'au bout, et a attendu l'issue du combat pour choisir son camp. Comme l’a fait de tout temps la majeure partie de la population. Elle est en effet dotée d'une seule force, celle de son inertie. La révolution est un mythe aux places limitées, mais après les faits, il est indispensable que chacun se l'approprie. Et sacrifie ces témoins sur l’autel de la bonne conscience collective.

(Benoit Deuxant)

Classé dans