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Îles (4) : Des villages (et des insulaires)

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Tout au long de l'été, chaque vendredi, PointCulture vous emmène en expédition littéraire, musicale et cinématographique sur les îles. Du Far Ouest breton (double jeu de mot éculé que le lecteur pardonnera, nous l'espérons, à l'auteur de ces quelques lignes) aux côtes ensoleillées de la Jamaïque, en passant par un petit port des Açores ou les terres intérieures de Papouasie-Nouvelle-Guinée, cette modeste médiagraphie se propose de vous emmener aux quatre coins du globe, à la rencontre des insulaires.

Sommaire

Reynaldo Hahn – L'Île du rêve, idylle polynésienne en 3 actes - 1898

Parmi les œuvres scéniques de Reynaldo Hahn, seule son opérette Ciboulette peut se targuer d’une certaine renommée. Les quelques opéras écrits par Hahn sont à peu près tous tombés dans l’oubli. Exhumée par le Palazetto Bru Zane, L’Île du Rêve constitue une première discographique. Le livret est directement inspiré du roman autobiographique de Julien Viaud, alias Pierre Loti, Le Mariage de Loti (1880). Dans cette île de Polynésie aux allures de paradis, les Tahitiens vivent en toute harmonie avec leurs semblables, au sein d’une nature luxuriante. Le passe-temps préféré des jeunes femmes est la baignade dans l’eau claire d’un bassin au pied d’une cascade. L’air est empli du parfum des nombreuses fleurs qui jalonnent sentiers et clairières. La vie est bercée par le doux bruit des vagues et le bruissement des flûtes de roseaux. Un monde paisible où la violence semble n’avoir jamais germé.

« Les heures, les jours, les mois s’envolaient dans ce pays autrement qu’ailleurs ; le temps s’écoulait sans laisser de traces […]. Il semblait qu’on fût dans une atmosphère de calme et d’immobilité, où les agitations du monde n’existaient plus… » — Pierre Loti, « Le Mariage de Loti »

C’est dans celle île bordée d’un épais récif corallien qu’accoste l’officier de marine français Georges de Kerven. Il y est accueilli avec chaleur par les jeunes femmes du village. Trouvant les sonorités de son nom trop rudes, et suivant une coutume bien rodée, elle le rebaptise « Loti », du nom d’une fleur tropicale. À la recherche de celle qu’a aimé son défunt frère, il fait la connaissance de Mahénu, dont il tombe amoureux. Une année entière, les deux amants vont vivre dans la félicité. Mais un jour, Kerven est rappelé en France. Il veut y emmener Mahénu. Mais la princesse Oréna démontre à la jeune fille qu’elle a tout à y perdre – (« Les fleurs de nos pays se fanent sur la terre d’exil, et perdent leurs attraits. » – Orena) et la pousse à renoncer. (NR)

Victor Segalen – Les Immémoriaux

Écrit au tout début du 20e siècle, ce roman à l’écriture baroque raconte la colonisation de Tahiti par les Occidentaux, mais surtout la conversion de sa population au christianisme et la destruction de la culture polynésienne de l’île. Son originalité est avant tout de donner la voix aux Tahitiens et de présenter leur vision des événements, montrant de l’intérieur les étapes qui ont conduit à la disparition des anciens cultes et des traditions locales. Segalen remonte aux premiers contacts de l’île avec les « hommes au nouveau-parler », les Piritani (Britanniques) ou Farani (Français) aux étranges coutumes. Après Wallis, Bougainville et Cook, c’est un navire missionnaire anglais qui aborde l’île en 1797. Accueillis par des présents, ils s’allient avec un chef ambitieux pour l’aider à prendre le pouvoir sur les autres et instaurer un protectorat britannique strictement chrétien.

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Quand il paraît en 1907, ce livre est en contraste total avec la position coloniale de son époque. Victor Segalen rejette à la fois la prétendue supériorité de la civilisation occidentale et la posture exotique condescendante de ses contemporains. Il présente, sans l’édulcorer mais avec une grande nostalgie, une culture complexe, violente et libre, détruite en moins de vingt ans par les Occidentaux. Il évite la simple accusation manichéenne en montrant la complicité naïve ou calculatrice des Tahitiens dans leur propre asservissement mais ne laisse aucun doute quant à son opinion sur les missionnaires hautains et autoritaires, prêts à tout pour éliminer toutes traces des anciens savoirs et des mœurs trop légères à leurs yeux de la population locale. (BD)

Jean Epstein – Finis Terrae (France, 1928)

Après avoir réalisé La Chute de la maison Usher (1928), Jean Epstein, criblé de dettes, éprouve le besoin de se ressourcer, loin de Paris. Dans le Finistère (Bretagne), une terre neuve pour le cinéaste (et vierge de cinématographe), il découvre l’archipel de Ouessant. Séduit par les lieux et ses habitants dont il partage la vie pendant plusieurs mois, il conçoit de raconter en images une histoire (qu’on lui a rapportée) de quelques-uns de ces îliens.

L’action principale du film se déroule sur Bannec, un îlot situé non loin de Ouessant, où les tempêtes d’hiver balaient toute vie. Quatre hommes viennent y passer près de quatre mois durant l’été, séparés du monde, pour y récolter du goémon (une algue qu’il faut sécher puis brûler ; les cendres, riches en soude, se vendent aux usines du littoral et assurent des revenus pour le reste de l’année). Pendant une pause, l’un des hommes court chercher une des dernières bouteilles de piquette mais, dans son empressement, perd le couteau de son camarade, casse la bouteille et se blesse le pouce… La situation se complique : affaibli par sa blessure, l’homme est ostracisé ; on l’accuse de paresser et on le soupçonne de vol. La blessure s’infecte et l’homme s’enfièvre. L’eau potable vient à manquer et l’absence de vents favorables ne leur permet pas de regagner Ouessant. Du côté de l’île, on s’inquiète de ne plus voir de fumée de brûlage, au loin… Les nombreux écueils rendent ici la mer très dangereuse et on craint le pire.

Pour réaliser ce chef-d’œuvre poétique aux nombreuses trouvailles formelles, Jean Epstein a dû gagner la confiance des Ouessantins, faire accepter sa caméra, diriger des acteurs non professionnels, maîtriser certains éléments pour pouvoir travailler dans des décors naturels (la mer, le vent, le soleil et la pluie), et assurer le ravitaillement d’une équipe sur un îlot dépourvu de tout (ni eau potable, ni électricité). (MR)

Martin Denny – Quiet Village (1957)

« La jungle devient de plus en plus dense tandis que le bateau avance lentement vers l’intérieur des terres. Un serpent se faufile dans l’eau, dérangeant un oiseau au plumage éclatant qui surgit dans la clairière au-dessus d’un village tranquille. Voici le portrait musical d’un village tropical déserté pendant la chaleur de la mi-journée. » — Les Baxter

Ces quelques mots écrits par Les Baxter accompagnaient le morceau qu’il venait d’écrire, « Quiet Village ». Ce n’est pourtant pas sa version très pop qui a marqué les esprits, mais plutôt celle de Martin Denny qui a repris le morceau en 1957. Il y a ajouté des croassements de grenouilles et des cris d’oiseaux tropicaux qui donnent une couleur très « exotique » au morceau.

Les Baxter et Martin Denny sont deux musiciens importants du mouvement « Exotica » en musique. Dans les années 1950, la société américaine avait envie de s’évader, et les nombreux G.I. qui revenaient de la guerre du Pacifique avaient une certaine nostalgie des îles. C’est dans ce contexte que naît le courant Tiki, dont la partie musicale est l’Exotica. Le Tiki, c’est ce dieu ancestral des mers du Sud, représenté dans des statues en bois ou en pierre par les sociétés polynésiennes. Il est récupéré par les Américains en manque d’exotisme pour agrémenter l’architecture de l’époque et les nombreux bars qui proposent des cocktails exotiques, souvent servis dans des verres inspirés par les divinités du Pacifique. La musique Exotica, ponctuée par des sonorités polynésiennes, mais aussi asiatiques, latines ou africaines, est la parfaite bande-son pour ces temples de l’escapisme. (ASDS)

Alexander Payne – The Descendants (États-Unis, 2011)

Basé sur le roman du même nom de Kaui Hart Hemmings, The Descendants est un film réalisé par Alexander Payne en 2011. Matt King (George Clooney) vit à Honolulu où il exerce le métier d’avocat. Son épouse est victime d’un accident de bateau et tombe dans le coma ; Matt doit alors s’occuper de ses deux filles, Scottie, gamine de 10 ans en constante recherche d’attention et Alex, adolescente rebelle de 17 ans. Il apprend que leur mère avait une relation extraconjugale. Parallèlement, il est chargé par sa famille de la vente de leur héritage commun, des terres ancestrales situées sur Kauai, les dernières plages tropicales vierges des îles qui valent une immense somme d’argent. Cette future vente provoque de nombreuses réactions des habitants de la région et une monumentale pression pour l’avocat.

« Mes amis s’imaginent qu’à Hawaï on vit au paradis. » — Matt King

Ce film est une tranche de vie qui montre l’importance des liens familiaux, que ce soient les plus proches mais aussi les plus éloignés. C’est l’histoire d’un homme qui est à la croisée des chemins, qui réapprend à connaître ses enfants mais prend également conscience de l’importance de la communauté locale et de son héritage. Si les images du film nous montrent le côté urbanisé d’Hawaï, elles laissent aussi une grande place aux paysages encore sauvages des îles. (ASDS)

Lagoss – Imaginary Island Music Vol​.​1: Canary Islands (2020)

Le titre de cet album est trompeur, s’il y est fait mention des îles Canaries, le sujet en est en fait l’île de Saint-Brendan, une île fantôme située quelque part à l’ouest de l’Europe. On attribue sa découverte à ce moine irlandais du 6e siècle et on trouve sa trace dans plusieurs écrits et sur des cartes maritimes anciennes. Elle y est située, selon les sources, à différents endroits de l’océan Atlantique : au large des côtes irlandaises, à l’embouchure du rio de la Plata (entre l’Argentine et l’Uruguay) ou comme la « huitième île des Canaries ». Dans cette dernière version, l’île de Saint-Brendan, invisible en temps normal, apparaîtrait une fois par an pour quelques jours.

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Le disque imagine, en une série de courtes vignettes sonores, la vie de la faune et de la flore de l’île, dans un mélange de field-recordings, de sons et de traitements électroniques. Il est réalisé par le patron de l’excellent label Discrepant, Gonçalo F. Cardoso, avec deux musiciens de Tenerife, Mladen Kurajica et Dani Tupper (le duo Tupperwear) sous le nom de Lagoss. Définie comme « dystopie tropicale », leur musique est une forme moderne d’exotica qui mettrait l’accent sur l’étrangeté et le chaos plus que sur le charme et l’indolence. (BD)

Lien pour écouter quelques-unes de ces vignettes sonores


The Congos « Fisherman » (1977)

The Congos : « Fisherman »

Row fisherman row
Keep on rowing your boat
Lots of hungry belly pickney they a shore, millions of them

Living in a bumbo hut
In a little hole sea-port town
Three kids on the floor
And another one to come make four

Day by day i man step it
Along the sea shore
Hail brother John, have you got any wenchman
Yes brother Peter, wenchman, sprat and mackaba

Row fisherman row keep on rowing your boat
Brotherman brotherman
Row fisherman row
We've got to reach on higher grounds

Simon, Peter, James and John come a shore
To feed the hungry belly ones
So, row fisherman row
Keep on rowing your boat
Lots of hungry belly pickney they a-shore, millions of them

Quaju Peg the collie-man
Sell the best collie in sea port town
Quaju Peg the collie man
Ha the best collie weed in town

Row fisherman row
Keep on rowing your boat
We've got to reach on higher grounds
Rain is falling
We've got to reach on higher grounds

J’ai découvert cette chanson, que j’aime beaucoup, au début des années 2010, via une reprise que le singer-songwriter nord-américain Micah Blue Smaldone jouait alors en concert lors de sa tournée européenne en compagnie de son comparse Asa Irons. Cette chanson de faim, de pêche, de pêcheurs et de familles à nourrir, aux accents bibliques (l’allusion au déluge et à la montée des eaux dans le dernier couplet et l’allusion aux apôtres, « Simon, Peter, James and John ») est due au groupe de reggae vocal The Congos. La chanson ouvre la première face de Heart of The Congos, premier album mythique – produit par Lee Perry – du trio formé par « Ashanti » Roy Johnson (ténor), Cedric Myton (falsetto) et Watty Burnett (baryton). Les trois chanteurs des Congos sont nés dans trois villes portuaires respectivement situées au nord-ouest (Hanover), au sud (Saint Catherine) et au nord-est (Port Antonio) de l’île de la Jamaïque. La scansion, le balancement de la mélodie et les paroles évoquent le rythme des rames fendant la surface de l’eau (« Row Fisherman Row » ; « Rame, pêcheur, rame »). La chanson évoque une petite ville portuaire, des huttes en bambou mais n’est pas précisément ou explicitement géolocalisée (la Jamaïque, ou l’Afrique originelle d’avant la déportation esclavagiste ?). Mais dans les deux cas de figure, la chanson a dû parler à un public insulaire reconnaissant dans la pêche une source de subsistance importante pour la population, aux côtés des successives activités économiques les plus importantes de l’île (les plantations de canne à sucre ou de bananes ; les gisements de bauxite ; le tourisme). [PD]

La chanson, en version acoustique et dépouillée, filmée sur une plage pour le film Jam Down (Emmanuel Bonn, France 1981) :

Robert Flaherty – L’Homme d’Aran (Royaume-Uni, 1934)

Les îles d’Aran se situent au large de la côte ouest irlandaise. Ce sont trois pauvres amas de pierre, sans arbres, et la terre y est rare. Lors des tempêtes hivernales, la mer manque de les submerger. Le caractère particulier de leurs côtes, tout en falaises, rend cette zone maritime particulièrement menaçante. Sur ces amas rocheux vivent pourtant des femmes et des hommes, fiers de leur indépendance.

C’est dans cet environnement pour le moins inhospitalier que Robert Flaherty s’est installé durant deux années, avec sa famille, pour réaliser ce chef d’œuvre. Tout son cinéma (les thèmes et la démarche) y est réuni : l’individu et la nature, la survie et le combat dans un environnement hostile, les traditions anciennes, la beauté naturelle et... quelques arrangements avec le réel pour créer un film qui s’apparente davantage à une « fiction documentée » qu’au cinéma documentaire dont il est un des pionniers : les trois protagonistes du film (un père, une mère, leur fils) ne sont pas une « vraie » famille mais ont été choisis par le cinéaste ; ce ne sont pas des acteurs mais ils (re)jouent leur quotidien (et habitent la même île), la mise en scène oppose, avec lyrisme, la rudesse des conditions de vie (dont l’exploitation du goémon pour fabriquer une terre arable) à l’humilité des « personnages » ; les voix n’ont pas été enregistrées en direct mais les protagonistes ont rejoué leurs dialogues plus tard, à Londres, dans un studio d’enregistrement.

Quant à l’impressionnante chasse au requin pèlerin, elle fut certes filmée à la demande de Flaherty, et sans trucages, mais cette activité traditionnelle (quelques hommes munis de harpons et de cordages sur une petite embarcation) avait déjà été abandonnée depuis plusieurs décennies au moment du tournage. (MR)

Alain Peters et la maloya de La Réunion

Le musicien réunionnais Alain Peters a pratiqué de nombreux styles – séga, variété, pop, rock progressif – avant de trouver sa voie, à la fin des années 1970. C’est alors qu’il redécouvre le maloya, un genre musical de la région, longtemps combattu par l’administration française pour ses liens avec le kabaré, le rituel d’hommage aux ancêtres, et surtout pour ses textes aux connotations souvent politiques, contestant la présence coloniale.

Le maloya est chanté en créole et Alain Peters va adopter la langue, sous l’influence du poète et peintre Jean Albany. Il commence alors une série d’enregistrements, à la Réunion d’abord (l’album Mangé pou le cœur), et plus tard en métropole à Montreuil (plusieurs morceaux dont le célèbre « Rest’ La Maloya »). Au milieu des années 1980, Alain Peters est en France en désintoxication. Il a sombré quelque temps avant dans un alcoolisme ravageur qui ne cesse de s’aggraver. Il fera son retour à la Réunion, et à la scène, en 1994 mais meurt l’année suivante, frappé par une crise cardiaque, à l’âge de 43 ans. Il laisse une œuvre quantitativement peu remplie mais qui a eu une énorme influence sur toute une génération de musiciens réunionnais et sera plus tard célébrée à travers la francophonie. Ses chansons seront reprises par des artistes en tous genres, de Malavoi à Sylvain Vanot, et de Bernard Lavilliers à Sages comme des sauvages. (BD)

Joaquim Pinto et Nuno Leonel – Le Chant d’une île (Portugal, 2015)

Rabo de Peixe (« Queue de Poisson », île São Miguel), un petit village de l’archipel des Açores où la pêche artisanale a longtemps constitué la principale activité économique, est en difficulté. Ce village pauvre, connu pour ses problèmes sociaux, est comme une île dans l’île. Venus pour fêter le Nouvel An en décembre 1999, les cinéastes rencontrent Pedro, jeune patron de pêche, et se lient d’amitié. Ils lui proposent de revenir aux Açores, bientôt, pour filmer son travail pendant un an. Ils vivront aux côtés de cette communauté de pêcheurs artisanaux durant plusieurs années à intervalles réguliers.

Le film est une ode à la liberté, celle des pêcheurs qui tentent de la préserver et celle d’un cinéma qui refuse, par son geste et son écriture, la limitation des codes, et préfère épouser la vie telle qu’elle nous arrive. (MR)

« Notre proposition était assez modeste : enregistrer des techniques de pêche en voie de disparition. Le privilège de vivre dans un espace lointain et à l'écart du continent, qui garde encore des traces d'un passé récent vierge de toute présence humaine, où l'on peut déchiffrer des influences multiples, nous a peut-être fait regarder le monde de façon plus ouverte, plus libre. Ce mélange de registres s'est imposé naturellement. Nous ne croyons pas que le cinéma soit un art "pur". Depuis ses débuts, il est perméable : non seulement à la réalité, mais aussi aux différentes façons de fabriquer des récits, de raconter des histoires. Souvent on l'enferme dans des genres spécifiques, mais il nous paraissait important de garder cette liberté qui correspond à l'hybridation du monde présent. » – Joaquim Pinto

Bob Connolly et Robin Anderson – La Trilogie papoue (1982-1992)

« Il essayait simplement de faire marcher une plantation, mais il était comme une ile au milieu d’un océan tribal, et d’une façon extraordinaire, il devait se débrouiller seul. »

Les cinéastes Robin Anderson et Bob Connolly ont réalisé trois films en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le personnage clé en est Joe Leahy, dont l’histoire est racontée dans Black Harvest. Né dans les Hautes-Terres de la Nouvelle-Guinée, Joe Leahy est métis, son père était australien, sa mère était papoue. Élevé par sa mère durant son enfance selon les traditions des Ganigas, sa tribu, il avait par la suite été recueilli par son oncle, qui lui avait fait faire des études occidentales. Il est aujourd’hui entrepreneur agricole, son affaire marche bien, il a su concilier ses deux cultures. Quand ils le rencontrent pour la première fois alors qu’ils tournent leurs films sur les communautés tribales papoues : First Contact (1982) et Joe Leahy’s Neighbours (1988), son statut de médiateur entre le monde papou et le monde occidental en fait un allié plus qu’intéressant pour les réalisateurs, qui se lient d’amitié avec lui.

Il leur raconte ses projets : obtenir de sa tribu le prêt de terres cultivables, et avec leur aide y planter des caféiers. C’est la fortune assurée, 60% pour lui, 40% pour eux. Bien sûr il faudra attendre cinq ans avant que les arbres n’arrivent à maturité et ne commencent à produire des bénéfices, c’est un pari et il va devoir convaincre la tribu de travailler pour rien pendant tout ce temps. Mais aussi les convaincre de l’utilité de gagner de l’argent, un concept pour lequel ils ne sont pas trop enthousiastes si cela leur demande de travailler huit heures par jour. Il suit le jeu codifié des relations traditionnelles, de la hiérarchie, des influences, et gagne le chef du village à sa cause.

Le travail peut commencer et il donne rendez-vous aux deux réalisateurs pour venir, en 1991, filmer la récolte, et son succès. Hélas, à leur retour dans les Hautes-Terres, le projet est quasiment en ruine. Le cours du café s’est effondré, son investissement ne vaut plus rien et Joe Leahy doit expliquer aux Ganigas qu’ils ont travaillé en vain. L’incompréhension est totale, et la tribu l’accuse de les avoir trompés et volés, le lien entre eux est brisé. C’est alors, quand on pensait ne pas pouvoir tomber plus bas, qu’éclate une guerre tribale. Déjà ruiné financièrement, Joe Leahy doit renoncer à son rêve secret de faire sortir sa tribu d’une culture traditionnelle, qu’il voit comme une culture morte, violente et sans avenir.

Persistant dans leur approche d’un cinéma direct, les deux réalisateurs vont s’aventurer, caméra à l’épaule, au cœur des événements, et filmer les situations les plus tendues, les plus dangereuses. En dépit de cette technique, ils ont réussi à obtenir au montage une vision d’ensemble de leur terrain, et un recul replaçant les histoires personnelles dans une perspective plus large, celle de l’introduction du capitalisme dans une culture traditionnelle, et celle de sa ruine par la mondialisation. (BD)


Une médiagraphie de l'équipe rédactionnelle de PointCulture : Anne-Sophie De Sutter, Philippe Delvosalle, Benoit Deuxant, Nathalie Ronvaux et Marc Roesems.

Un feuilleton estival en 8 épisodes

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