Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

« Désacraliser Proust » (Ateliers Mommen) : interview de Nathalie Vanderlinden

Nathalie Vanderlinden lisant Proust à San Francisco - bannière
Bien ancrée dans notre époque, Nathalie Vanderlinden vit dans la fréquentation d'un ami né cent ans avant elle : Marcel Proust. L'ayant déjà lu plusieurs fois en public – à San Francisco, en ligne, à Bruxelles –, elle organise un marathon de lecture collective autour du second volet de « La Recherche » ce week-end dans les ateliers d’artistes de Saint-Josse.

Sommaire

Il y a quelque chose de l'ordre du souffle. L'écriture de Proust, qui pourtant manquait de souffle [l'écrivain souffrait d'asthme], en demande pour la lecture à voix haute car certaines phrases peuvent atteindre la longueur d'une page. Le souffle c'est la vie. Il s'agira de se passer ce souffle durant 24 heures. — Nathalie Vanderlinden


Interview

- Pourriez-vous vous présenter en quelques mots, nous raconter ce que vous faites dans la vie – à part lire Proust –, parler de la place que ce marathon occupe dans votre parcours proustien par rapport à vos performances antérieures à San Francisco et aux Ateliers Mommen ?

- Je m’appelle Nathalie Vanderlinden, j’ai une pratique de lecture à voix haute depuis quelques années, j’écris aussi depuis l’enfance. Durant le premier confinement, j’ai commencé à lire en ligne des extraits de textes littéraires et de la poésie, puis des essais. Je l’ai fait une centaine de fois. En 2019, je suis partie en résidence en Bretagne et j’y ai emporté Du côté de chez Swann, ce livre que je n’avais jamais réussi à finir. J’ai demandé aux autres résidents de m’aider à mémoriser une page, à la fin de la résidence j’ai restitué cette page avec l’aide de mes « souffleurs ». Ensemble, finalement nous avons lu Proust et conduit ensemble la performance. J’ai alors décidé de finir le livre et de le lire en performance continue aux Ateliers Mommen en décembre 2019. Je l’ai réalisé en 19 heures. Ça s’appelait « Je suis Marcel Proust ».

Nathalie Vanderlinden lisant Proust aux Ateliers Mommen

Nathalie Vanderlinen lisant Proust aux Ateliers Mommen

Au terme de [cette lecture marathon de 19 heures], qui se voulait être une expérience physique transformatrice, le fantasme était qu’à mon tour je devienne aussi écrivain. Pour me préparer à cela, j’ai décidé de lire dans les rues de San Francisco, là où je vivais, pour pratiquer au maximum, la lecture à voix haute et avoir un public. J’y ai finalement lu les trois premiers tomes de « À la recherche du temps perdu ». — Nathalie Vanderlinden

J’organise des ateliers de lecture à voix haute avec un public marginalisé, le livre est un prétexte pour se rencontrer, pour sortir de sa zone de confort aussi et rencontrer l’autre et partager par le biais de la littérature. J’organise aussi régulièrement des événements qui lient les gens, comme des tables d’hôtes (je suis cuisinière) ou je convie un artiste à venir performer (musique ou autre) et à se joindre à la tablée. Il se crée, autour de la table, une belle émulsion sociale. J’organise aussi des soirées de poésie « Livresse » où j’invite un public participant à venir lire ses textes (de poésie). Il n’y a pas de hiérarchie entre les invitées et invités, chacun prend la parole quand elle ou il le désire. On peut être poète publié ou pas. Il y a eu de beaux moments où des gens ont lu leur premier poème aux côtés d’artistes qui faisaient le test d’une performance future !

Je suis aussi porteuse de projet d’un collectif éphémère avec Lucie Pinier, que j’ai nommé L’Institut des Ailes. Le prochain événement aura lieu au BRAVE à Schaerbeek (dont le thème sera « la communauté » : le repas, la fabrication, la veillée, l'écriture collective, la danse, etc.). Il s’agit de venir réinjecter du soin dans nos corps fragilisés par la vie contemporaine.

Je fais pas mal de bénévolat, je suis maraudeuse pour DoucheFlux, je rencontre les gens dans la rue, c’est une pratique de lien pour moi. Je donne également des cours de français pour des personnes sans-papiers.

Proust est devenu mon ami, mon compagnon de vie. Ses livres me parlent, se confient à moi et m’apportent des réponses. Quand je les ouvre, un peu comme la Bible (bien que je ne sois pas croyante), ou comme le livre du Yi King, une page (d’une intensité poétique à couper le souffle), il y a toujours quelque chose qui surgit. Qui viendra me marquer. — N. V.

Lire Proust demande un petit effort de concentration. Cela m’ancre également. Il y a un moment d’incidence entre l’ancrage physique et pourtant la déambulation mentale : l’imagination, proposée par la lecture.

- Est-ce que pour imaginer ce marathon Proust vous avez en partie été influencée par d'autres propositions artistiques de très longues durées comme p.ex. les « Placards » (marathons de musique électronique pour petit public organisés sur plusieurs jours) ou les concerts de ragas indiens qui durent toute une nuit, voire 24 heures ou les « 24 Hours of Drone » au festival Le Guess Who à Utrecht ? Ou est-ce plus une idée qui a surgit ex-nihilo ?

- Mon désir d’organiser cet événement vient d’un marathon organisé tous les ans à San Francisco autour de la lecture de Moby Dick et aussi des 24 heures de la BD organisées par l’Employé du moi à Bruxelles. Il y a clairement un désir de vivre une expérience physique forte et de longue durée . Pour moi Proust est vraiment à propos par rapport à ça.

Dans la performance physique de longue durée, le temps se confond. L’attention demande d’être dans le présent et le temps pourtant se déroule et on s’y perd. Dans ce temps lu et vécu. Il y a quelque chose aussi de la pratique de la méditation. — N. V.

- On nous a soufflé à l'oreille que vous avez parfois organisé de petits événements où il s'agissait, pour un nombre restreint de personnes invitées, de profiter d'un repas en écoutant très attentivement (dans le noir ? sans parler ?) la proposition musicale d'un DJ... Cherchez-vous particulièrement dans ces expériences que vous proposez à des publics à les mettre dans des situations inhabituelles qui leur font vivre des émotions particulières ?

- Je ne cherche pas à mettre les gens dans des conditions particulières à vrai dire. Ce qui m’intéresse c’est de rassembler. Il est vrai que pour ce repas auquel vous faites référence, il s’agissait surtout de l’attention. Comment la musique peut-elle être écoutée avec plus d’attention ? Cela venait de mon expérience en retraite de méditation bouddhiste où l’on mangeait ensemble en silence. Ne pas parler durant un repas cela ouvre les sens à d’autres propositions qui sont peut-être plus justes. Enfin, la dimension sociale du repas avait été cette fois évacuée. Silence et pas d’alcool.

- Quand d'autres organisent le genre de lectures-marathon que vous mettez en place, il y a souvent, à des fins de promotion et de communication, la mise en avant de quelques lectrices et lecteurs célèbres (écrivains, autrices, acteurs, comédiennes, personnalités publiques, etc.). Dans votre événement à venir, cela m'a l'air plus « démocratique », plus égalitaire : moins (ou pas du tout) séparé entre public et lectrices et lecteurs ?

"Désacraliser Proust" - Ateliers Mommen, février 2022 - bannière

- Le titre de la performance collective est « Désacraliser Proust », il n’y a aucune hiérarchie entre les lecteurs et lectrices. Il vaut mieux s’inscrire au préalable pour des raisons d’organisation mais, sur place, il y aura des livres à disposition et le public peut participer s’il y a des tranches horaire libres.

On peut être proustien ou proustienne ou venir s’essayer seulement à la lecture. Le but est que toutes et tous qui n’ont jamais lu Proust viennent s’y essayer. — N. V.

- Pourquoi avoir choisi, pour cette performance, la lecture du deuxième tome, À l’ombre des jeunes filles en fleurs ?

- J’ai lu le premier tome seule. Le deuxième tome sera lu à cette occasion-ci et l’année prochaine je pense à une autre forme, puis l’année suivante à autre chose, etc. Chaque année, selon l'endroit où je me situe dans mon parcours littéraire ou artistique, je proposerai quelque chose.

Ce livre m’accompagne. J’ai le désir de moi-même suivre le trajet de la Recherche, pour peut-être retrouver ce temps dont Proust parle. Je désire traverser et être traversée par cette œuvre qui confond l’art et la vie. La lecture, l’écriture et la vie vécue, ressouvenue et anticipée. — N. V.
Nathalie Vanderlinden - Marcel Proust, page ouverte

« ce livre m’accompagne » - (c) Nathalie Vanderlinden

- « Désacraliser Proust », pourquoi ? La Recherche vous semble-t-elle une boussole encore pertinente pour comprendre le monde actuel sous l’angle politique, social – et bien entendu amoureux ?

- « Désacraliser Proust » car il a été érigé en monument littéraire. Certes, nous en avons besoin mais peu l’ont lu car malheureusement les dieux ne sont pas nos égaux : ils impressionnent, on ne les connait pas vraiment, ils sont enfermés dans des codes. Beaucoup disent que « c’est trop difficile et trop long ».

Je propose donc un jour pour entrevoir que ce n’est pas si difficile que ça ! Qu’il faut y passer du temps, certes. Je propose donc de prendre ce temps-là collectivement.

Même si le livre nous parle d’un temps passé, de classes sociales bourgeoises que nous ne fréquentons pas, les passions humaines y sont identiques aux nôtres. — N. V.

Les passions amoureuses n’ont pas changé, même si nos sociétés actuelles ont – d’une certaine façon – évolué, les passions restent les mêmes. Proust est un peintre de l’intériorité humaine. La façon dont notre regard se perd sur un paysage, sur un visage, le monde qui s’y ouvre, c’est toujours le même monde mental.

Interview : Catherine De Poortere et Philippe Delvosalle


Agenda

« Désacraliser Proust »

Ateliers Mommen (Saint-Josse)

Du Samedi 12 février 2022 à 18h au lendemain Dimanche 13 février 2022 à 18h

"Désacraliser Proust" - Ateliers Mommen - flyer explications

Proust dans nos collections

Documentaire :

Maniquerville de Pierre Creton (2009) (lecture de Proust par des personnes atteintes de maladies neurodégénératives)


Cinéma de fiction :

Le Temps retrouvé de Raoul Ruiz (1999)

La Captive de Chantal Akerman (2000)

À la recherche du temps perdu de Nina Companeez (2011)

Lecture de La Recherche

par André Dussolier (en plusieurs volumes)

Portrait de Marcel Proust