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Critique

Trois films sur le post-partum : une vérité qui dérange

Emily Atef - "L'Étranger en moi" 1
Le post-partum est l’un des impensés de la maternité : comment le cinéma s’en empare-t-il ? C’est l’objet du quatrième volet de notre série sur le cinéma et la maternité.

Sommaire

Parler du post-partum, choisir de le montrer à l’écran, c’est revenir non seulement à l’origine, à la naissance d’un enfant et d’une mère, mais aussi aux premiers instants qui, pour la jeune mère, peuvent être très fragilisants. Cette période qui suit l’accouchement est encore mal connue, peu documentée, peu politisée aussi. Malgré une parole qui se libère de plus en plus, les témoignages se multipliant sur les réseaux sociaux, comme le besoin de montrer l’envers du décor d’une maternité fantasmée. C’est Ilana Weizman, sociologue et féministe française, qui a la première en février 2020 lancé le hashtag #monpostpartum, pour déconstruire le tabou qui entoure les symptômes physiques et les difficultés psychiques que rencontrent les femmes après l’accouchement. Et parfois pendant de longs mois puisqu’on estime que le post-partum peut durer jusqu’à deux ou trois ans. « Si on parlait davantage de ces sujets, si on ne les invisibilisait pas de façon systématique, les mères se sentiraient moins isolées, moins démunies », commente-t-elle. Des milliers de femmes se sont ensuite reconnues dans son témoignage et ont à leur tour révélé leur vécu, plus proche de la vraie vie que de l’image d’Epinal. Une période éprouvante qui voit parfois les jeunes mères vaciller.

Une toute récente étude de la Ligue des familles réaffirme haut et fort que l’accompagnement du post-partum est un enjeu de santé publique. Dans cette étude, nous apprenons que le post-partum constitue, avec la grossesse, la phase la plus à risque pour la santé des femmes : près de 20% des mères vivent une dépression post-partum. Or la prise en charge de cette période sensible n’est pas ou très peu investie politiquement. Mieux informer autour de ces questions, visibiliser la problématique et la représenter culturellement sont des outils significatifs pour une meilleure compréhension sociale de ces phénomènes.

C’est pourquoi nous avons sélectionné trois films, réalisés par trois femmes, qui abordent la question du post-partum en tentant de changer le regard sur cette “vérité qui dérange”.


L’étranger en moi (Das Fremde in mir, 2010) : l’instinct maternel n’existe pas

Emily Atef - "L'Étranger en moi" 2

Emily Atef - "L'Étranger en moi" (Das Fremde in mir, 2010)

Une femme en pyjama erre, hagarde dans la forêt. Son corps semble lourd d’un poids invisible. Sa détresse, palpable, peut se confondre avec les ombres hostiles des arbres. A l’image de cette première scène, le film de l’Allemande Emily Atef aborde la dépression post-partum sous l’angle de l’étrangeté, presque à la lisière du fantastique. Ainsi de ces plans qui jouent de la véracité des images, plongeant le récit dans une réalité inquiétante et trouble où la mort n’est jamais loin.

Rebecca (Susanne Wolff) est une jeune femme épanouie qui, en couple avec Julian, attend son premier enfant. Rien ne pourrait ternir son bonheur de carte postale. Jusqu’à l’accouchement, et la mise au monde d’un être qu’on lui pose sur le ventre. Un étranger. Car Rebecca ne ressent pas l’amour maternel inconditionnel qu’elle est censée éprouver pour son enfant. Et chaque jour qui passe l’éloigne non seulement de lui, mais aussi de l’image de la mère douce et aimante qu’elle aurait dû être. Sa vie devient peu à peu un enfer. Démunie, isolée, Rebecca n’arrive pas à s’occuper de son fils, calmer ses pleurs est une torture... La déconnexion est absolue. Emily Atef réaffirme ici combien l’attachement d’une mère pour son bébé n’est ni automatique ni naturel, et qu’il demande parfois un long apprentissage. Un tabou que le film brise allègrement.

Ressaisis-toi, c’est pas compliqué. — le mari

Le mari de Rebecca rentre tard le soir et ne voit pas ce qui crève pourtant les yeux. « Ressaisis-toi, c’est pas compliqué », lui assène-t-il. Elle sombre dans la culpabilité. Toujours plus seule, l’héroïne, à force de comparaison avec sa belle-sœur si tendre et maternelle, se sent jugée. Une descente aux enfers que la cinéaste détaille froidement, presque sans affect. Au désespoir, elle fuit sa maison, symbole de son aliénation. La violence, latente, finit alors par éclater. D’abord symbolique lorsqu’elle retourne son bébé pour ne pas qu’il la regarde, puis bien réelle lorsque la limite de la maltraitance est franchie. Pourtant c’est bien contre elle-même qu’elle retournera cette violence dans un geste expressionniste et métaphorique saisissant.

C’est alors le récit d’une longue remontée vers la lumière qui s’amorce. Soignée, entendue, Rebecca devra réapprendre les gestes à poser pour prendre soin d’elle et de son bébé. Reprendre contact avec la matérialité des corps. Et, par le toucher, réapprivoiser son propre corps puis, petit à petit, celui de son enfant. A travers le récit de cette rédemption, la réalisatrice plaide littéralement pour un meilleur accompagnement du post-partum et des dépressions post-natales, et en fait un objet de cinéma particulièrement puissant.


À la vie (2021) : une sage-femme en plein travail

Aude Pepin - "À la vie" 3

Aude Pépin - "À la vie" (2021)

Clé de voûte de cet accompagnement plus humain, la sage-femme joue un rôle essentiel mais souvent bridé par le “tout médical” des hôpitaux d’aujourd’hui. L’ambition de ce documentaire d’Aude Pépin est de la remettre au premier plan, grâce à la personnalité généreuse de Chantal Birman, sage-femme libérale et féministe. La jeune réalisatrice française en croisant, au hasard de l’existence, la route de celle qu’on appelle la « sage-femme des banlieues », , a voulu la suivre dans ses dernières consultations à domicile avant la retraite. À presque 70 ans, celle qui a milité toute sa vie pour les droits des femmes, écume la banlieue de Seine-Saint-Denis pour prodiguer ses bons soins aux jeunes mères de retour chez elle après leur accouchement.

Aude Pépin filme sans filtre les corps meurtris, les cicatrices, les seins abîmés, les agrafes, mais aussi les âmes fatiguées, perdues, chamboulées de ces femmes à un tournant de leur vie. À travers des gestes simples mais désappris, Chantal Birman leur montre comment mettre le bébé au sein ou soigner une cicatrice de césarienne, en même temps qu’elle s’inquiète de l’isolement d’une maman ou comprend le rapport problématique à la nourriture d’une autre. Toujours à l’écoute, elle explique, rassure, conseille, inébranlable dans son entrain presque juvénile, pleine de la passion qui l’habite. Celle d’aider les femmes et de les rendre plus autonomes dans un monde où la périnatalité est forcément pathologisée. Où les hôpitaux sacrifient plus aux logiques économiques qu'aux objectifs de santé publique. Où la rentabilité a pris le pas sur la prise en charge globale des individus. Néanmoins, la sage-femme martèle cette vérité qui fait frémir : le suicide est la deuxième cause de mortalité maternelle devant l’hémorragie de la délivrance... pourtant objet de toutes les attentions dans les facs de médecine.

Aude Pepin - "À la vie" 1

Aude Pépin - "À la vie" (2021)

Le regard du bébé pourrait te faire croire que tout dépend de toi, mais non. — Chantal Birman, sage-femme

À rebours des idées reçues, la “sage-femme des banlieues” distille à ces femmes en post-partum une vraie dose d’humanité et de bienveillance en même temps qu’elle leur rend une place centrale dans leur propre vie, leur apprend à se faire confiance et à faire confiance à leur bébé. Une transmission des savoirs si précieuse qu’on s’étonne presque qu’elle soit jugée exceptionnelle, figurant dans un documentaire émouvant et engagé, porté par une héroïne solaire au grand cœur.


Post-partum (2013) : de la dépression à la psychose

Delphine Noels - "Post partum" 1

Delphine Noels - "Post partum" (2013)

Le dernier film abordé ici déconstruit comme les deux autres le mythe de la maternité comme l’idéal absolu de la féminité, mais dans un registre beaucoup plus sombre. Difficile de passer à côté de ce premier long-métrage réalisé par la Belge Delphine Noels dont le titre annonce la couleur. Le post-partum dont il est question ici est celui de Luce (Mélanie Doutey), vétérinaire de campagne avec son mari (Jalil Lespert). Elle semble avoir une vie parfaite jusqu’au jour de son accouchement, ligne de faille vers une lente plongée dans la démence. C’est plus spécifiquement de la psychose puerpérale que traite le film, une pathologie psychiatrique grave qui concerne une accouchée sur mille en moyenne. Si cette maladie réaffirme que devenir mère ne va pas forcément de soi, elle enferme celles qui en sont victimes dans une prison mentale dangereuse qui les pousse au délire.

Dans le film, elle se traduit par une perte de contrôle violente de tous les repères : l’héroïne, en proie à des hallucinations, ne distingue plus le réel de l’imaginaire. Surtout Luce ne semble pas prête à faire le deuil de l’enfant rêvé et sublimé durant la grossesse : son bébé n’est pas la souriante petite fille qu’elle a fantasmée, mais un bébé prématuré intubé auquel elle n’arrive pas à s’attacher. Comme pour Rebecca dans L’étranger en moi, les processus d’attachement font défaut. D’abord peu visible, la maladie gagne ensuite rapidement du terrain vers une issue qu’on devine tragique. L'intrigue, construite comme un thriller, ne fait alors plus qu’un avec la psyché de l’héroïne et ses visions de plus en plus cauchemardesques. Une mise en scène parfois ampoulée est servie par des éléments fantastiques où le glauque se dispute au malaisant.

Si l’on a peu parlé de l’entourage jusqu’ici, c’est pourtant l’un des facteurs déterminants dans l’accompagnement d’une dépression post-partum, et a fortiori d’une psychose puerpérale. Dans Post-partum, le mari démuni fait tout ce qu’il peut pour aider son épouse bien qu’il soit lui aussi enfermé dans des schémas de pensée cadenassants. Par contre, il mandate sa propre mère, interprétée par Françoise Fabian, comme outil de surveillance de la jeune mère, qui ne fait qu’aggraver culpabilité et confusion. Auprès de sa belle-mère, l'héroïne se sent obligée de performer la maternité heureuse. L'impossibilité de se confier à qui que ce soit - l'absence de sa propre mère aura des retentissements sur la résolution finale du film - renforce forcément sa perte de contrôle progressive.

Solitude, deuil de l’enfant rêvé, défaut d’attachement, épuisement, surveillance de l’entourage, … Ces trois réalisatrices ont choisi de mettre en image la dépression post-partum de façon variée, tantôt d’une noirceur sans nom, tantôt politique, tantôt rédemptrice, mais toujours nécessaire.

Sandrine Guilleaume

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