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Critique

AMOURS SUPRÊMES

publié le

Il n’a pas fière allure Daniel Rozum (son nom pour l’état civil) sur la pochette d’« Amours Suprêmes ».

 L’œil darde encore de vaillants éclairs de fierté, le regard demeure altier, mais le reste du visage n’a plus que l’élégance des ruines, la beauté des vestiges, chez un jeune homme qui fut, il y a longtemps déjà (au sein de Taxi Girl, 1978-1980), et presque contre son gré, une incarnation de « nouveaux romantiques », ces élégants jeunes gens (Elli & Jacno) qui vivaient leurs chocs esthétiques (la Beat Generation, le punk) comme des remises en question existentielles. Il ne s’est écoulé que quatre années entre ce disque et « Crève-Cœur », l’album du retour que d’aucuns attendaient, mais à comparer les documents photographiques de ces deux périodes, on jurerait que c’est le triple! L’homme a retrouvé, outre une certaine régularité discographique, un semblant de stabilité, confirmé par le port ostentatoire d’un tatouage de croix chrétienne, symbole de la conversion au Protestantisme de ce juif d’origine russe. Mais bien que l’intéressé nous ait toujours gratifiés de la plus élémentaire des discrétions dans l’exhibition consentante de ses plaies intérieures, il n’est de mystère pour personne que le parcours de Daniel Darc contient tout le potentiel dramatique d’un biopic trash qui serait comme un remake inversé (et solitaire) de « La Vie est un long fleuve tranquille » tourné par Gaspard Noé (« Seul contre tous », « Irréversible »). Mais de ce passif du malheur, de cette ligne de vie sans cesse brisée, de ce jeu de cache-cache avec ses démons intimes, le Français n’en tire aucune fierté teintée d’auto-complaisance malsaine et qui aurait pour conséquence de le figer «ad vitam» dans la posture pathétique du héros adulescent maudit et/ou incompris. Tout juste une écriture vaguement gainsbourrienne (le registre chanté a définitivement cédé le pas au parlé), ayant troqué son efficacité métrique sans pareille contre une sorte de touchante simplicité, d’élégante fragilité. Quel autre chanteur que Daniel Darc pour déclamer « La vie est mortelle » sans tomber dans la jérémiade post-pubère à la Damien Saez? Expédier un sentencieux « Ça ne sert à rien » sans flirter avec le nihilisme confortable d’un AqME ou d’un Indochine? Il y a quelque chose de littéralement funambulesque, voire de miraculeux chez le Français, cette propension à faire mouche à chaque coup sur des (ou plutôt un) thèmes aussi rabâchés que (les affres de) l’amour et l’existence et en recourant à une syntaxe circonscrite à un vocabulaire arraché au langage commun.

On peut y voir les conséquences d’une adéquation profonde entre l’homme et ses écrits, tout juste séparés par un recul aussi mince que salutaire, mais on ne peut négliger la finaude et subtile musicalité de chansons qui ont le don de planquer leur filiation au rock derrière leurs atours tranquillement Chanson Française. Et bien que Frédéric Lo, architecte sonore du précédent opus, ait été placé en retrait de cet « Amours Suprêmes » qui n’aura plus l’effet de surprise pour lui, l’album offre quelques moments forts qui contrebalancent la relative déception du morceau partagé avec Bashung (« L.U.V. »). « Un an et un jour » vient presque refermer la parenthèse spleen ouverte à la fin de son disque (oublié) de 1994 « Nijinski »; les « respirations » de Robert Wyatt à elles seules suffisent à démentir l’intitulé de « Ça ne sert à rien » et « Environ », sur une mesure de guitare chipée à (« Kiss Me ») Sixpence None The Richer, prend, en beauté, la porte de sortie façon « L’insoutenable légèreté de l’être ».

Yannick Hustache

 

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