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Critique

12H08 À L'EST DE BUCAREST

publié le

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L'Histoire est écrite par les vainqueurs, et chaque révolution amène une relecture du passé, une nouvelle version officielle des faits. Passent alors au pilon les mythes et légendes qui l'ont précédé, les héros anciens sont remplacés par des héros flambant neufs, les statues sont déboulonnées, et rapidement remplacées par d'autres. Chacun de son côté corrige sa propre biographie, censure ses erreurs, repeint aux couleurs du jour sa devanture, se découvre rétrospectivement militant, révolutionnaire. Chacun antidate son engagement, et s'invente des prises de conscience, des faits d'armes. Dès l'annonce d'une révolution, il est capital de se trouver dans le peloton de tête ; le résistant de la dernière heure n'a que peu de temps pour se joindre au combat, il doit se saisir au plus vite d'une arme, d'un prisonnier, d'un drapeau. Le temps passe et la mémoire se délite, s'embrume. Aux mensonges et aux illusions vient s'ajouter l'oubli. Le flou du souvenir vient confirmer les tromperies des uns, les alibis des autres, et semer le doute sur la réalité des événements. La bonne conscience de tous est indispensable à la normalisation. Il est de toute importance que la population entière se place du coté gagnant. Au prix qu'il faut. Dans la nouvelle version de l'histoire, la France entière a pris la Bastille, aucun Allemand n'a voté pour Hitler, et toute la Roumanie s'est soulevée d'un même élan pour chasser le couple Ceauscescu.

 

C’est ce que veut vérifier Jderescu, propriétaire/présentateur/réalisateur d’une station de télévision locale, dans une petite ville à quelques kilomètres de Bucarest. Est-ce que la révolution a bien eu lieu chez eux ? Est-ce que la ville a elle aussi participé à l‘écriture de l’histoire ? Loin du centre de l'action, loin des caméras, lorsque les témoins perdent la mémoire, lorsqu'ils y mêlent leurs excuses, leurs rancœurs, comment encore raconter son passé ? Qui était réellement là, en première ligne ? Qui s’en souvient encore ? Qui s'en souvient vraiment ? Et les héros de l'histoire eux-même commencent à douter. Ils savent la mesure, petite ou grande, de leur propre implication. Ils connaissent leur propre faiblesse, leur propre force, ils savent la peur qu'ils ont surmontée ou pas, mais n’ont que leur parole pour alléguer de leur éventuel courage, de leur bravoure inattendue. Les vainqueurs et ceux qui se rallient à eux n'ont que faire de ce courage, il ne fait que révéler leur propre absence, leur propre lâcheté. Dans la nouvelle version de l'histoire, les vrais acteurs sont des témoins gênants, face au souvenir commun. Ils sont les seuls à pouvoir révéler qui était ou non sur les barricades, qui a pris les armes, et qui a hésité jusqu'au bout, et a attendu l'issue du combat pour choisir son camp. Comme l’a fait de tout temps la majeure partie de la population. La majorité est en effet doté d'une seule force, celle de son inertie. La révolution est un mythe aux places limitées, mais après les faits, il est indispensable que chacun se l'approprie. Et sacrifie ces témoins sur l’autel de la bonne conscience collective.

 

Benoît Deuxant

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