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Focus

Dr John, The Cramps, etc. : rock, vaudou et cinéma de monstres

Dr John pochette Gris-Gris
À l'heure où on apprend la mort de Dr John (1941-2019), nous republions un article écrit en 2011 sur les rapports entre vaudou, zombies et musiques rock (autour, entre autres, des quatre premiers albums du musicien de la Nouvelle-Orléans, publiés entre 1968 et 1971).

Sommaire

Imagerie ou imaginaire ?

Noms de groupes (The Zombies, White Zombie, Zombie Zombie, Voodoo Queens, Voodoo Child, Voodoo Muzak, etc.), titres d’albums ou de morceaux, paroles de chansons, dessins ou photos de pochettes, costumes de scène ou de vidéoclips : les rapports entre le monde du rock (au sens large) et celui des monstres et du cinéma fantastique en général – et des zombies et du vaudou, en particulier – sont multiples et éclatés. Pour l’exprimer par une formule de circonstance, ça tire dans tous les sens.

Iron Maiden - pochette Iron Maiden par Derek Riggs

Mais au-delà de symptômes tels que le célèbre clip (ou court métrage) de quatorze minutes de John Landis pour la chanson « Thriller » de Michael Jackson, y a-t-il autre chose qu’un catalogue de codes, qu’un recueil de formes, qu’une imagerie ? Si un groupe comme Iron Maiden traîne sur plus de dix ans (1980-1992) sa collaboration graphique avec le dessinateur Derek Riggs, c’est bien sûr en partie par calcul commercial (le personnage d’Eddie « The Head » est devenu, au même titre que la typographie du nom du groupe, un signe de ralliement pour ses fans), mais aussi le signe d’une adéquation profonde entre un univers pictural et un propos musical. Plus qu’une simple imagerie, sans doute un imaginaire. Et au moins autant un univers de signes, de personnages et de postures face au monde qu’un stock de déguisements interchangeables.


Dr John : He Walked on Gilded Splinters

S’il y a un musicien rock dont l’intérêt pour ces matières se rapproche un peu en intensité de l’approche au long cours des rites vaudou haïtiens par la cinéaste Maya Deren, il s’agit probablement de Dr John.

Né à La Nouvelle-Orléans en 1941, Dr John va, de 1968 à 1971, sur les quatre albums Gris Gris, Babylon, Remedies et The Sun, Moon & Herbs, donner une impressionnante relecture syncrétique personnelle des rites, rythmes, systèmes de représentation mentale et musiques de la grande ville la plus caraïbe des États-Unis. — Philippe Delvosalle

Dans des morceaux tels que « Gris-Gris Yumbo Ya Ya », « Mama Roux », « I Walk on Gilded Splinters » ou « Zu Zu Mamou », se mêlent de nombreuses composantes hétéroclites du folklore local : percussions d’inspiration africaine passées au filtre de Congo Square, emprunts aux cérémonies vaudou, costumes du Mardi Gras, discours et imprécations des harangueurs de Medicine shows, etc.

J'suis the Grand Zombie / (...) / Walk thru the fire / Fly thru the smoke / See my enemy / At the end of da rope — Dr John, paroles de « I Walk on Gilded Splinters »


Michael Weldon (Mirrors) : Psychotronics

Michael Weldon - The Psychotronic Video Guide - couverture

Quelques années plus tard, au sein des scènes proto-punk et punk américaines, les liens entre groupes rock et films fantastiques de série B ou Z vont se multiplier, marqués à la fois du sceau de l’évidence (une inclinaison, une curiosité, une affaire de goûts) et de celui d’un acte de refus et de contestation (un ennemi commun : la culture dominante, sa tiédeur, son côté prévisible et ronronnant).

Parallèlement à la redécouverte de leurs ancêtres musicaux du côté du garage et des branches les moins domestiquées du rock'n'roll, certains punks américains vont dénicher, archiver, documenter une histoire parallèle du cinéma de genre de leur pays. Ainsi, c’est Michael Weldon, batteur des Mirrors (formation-clé de la très importante scène de Cleveland, aux côtés de groupes tels que les Electric Eels, Rocket from the Tombs, les Dead Boys ou Père Ubu) qui, dès 1980, publie à New York le fanzine (puis le magazine et, enfin, l’encyclopédie) Psychotronic dédié « aux films traditionnellement ignorés ou méprisés par la critique mainstream » : les cinémas d’horreur, d’exploitation, de science-fiction, les films projetés dans les grindhouses et les drive-in.


The Cramps, Suicide : Give Them Danger

À Cleveland, à partir de 1975, officie au sein des Electric Eels un musicien, Nick Knox qui, deux ans plus tard, va devenir batteur des Cramps, un groupe qui, de « Zombie Dance » à « Voodoo Idol » et, de sa participation à la bande originale de Return of the Living Dead (O’Bannon, 1984) à celle de The Texas Chainsaw Massacre 2 (Hooper, 1986), va entretenir de nombreux liens avec le monde du cinéma d’horreur.

Le 13 juin 1978, alors que le groupe n’a encore sorti qu’un seul single, il donne, en compagnie des Mutants de San Francisco, un concert au State Mental Hospital de Napa, en Californie. Le concert est filmé en vidéo et, au-delà de l’approximation d’une image qui en est encore à la préhistoire de son perfectionnement technologique, ce qu’il y a à voir est unique. Lux Interior ne met absolument pas d’eau dans son vin, il hulule et se contorsionne comme pour n’importe quel concert. Des patients montent sur scène, en descendent, sont pris de spasmes, se figent face aux musiciens ou crient dans le micro, d’autres restent immobiles dans la fosse (un homme lit même le journal).

L’hostilité en moins (ce qui, certes, n’est pas rien), il y a dans cette danse de Saint-Guy psychobilly comme la trace d’un réveil d’une autre humanité, avec d’autres corps mus par d’autres desseins, comme pour nous rappeler au passage que le zombie et le fou sont des concepts boomerang. Si le zombie c’est toujours d’abord l’autre, le miroir ne tarde jamais à pivoter sur son axe et à nous présenter sa face réfléchissante. — Philippe Delvosalle

Au-delà d’un brin de démagogie (« Nous sommes les Cramps. Nous avons roulé 3000 miles pour vous. Certains vous appellent des fous, mais, nous, nous n’en sommes pas sûrs »), il y a cette idée implicite que la musique et les gens sont plus excitants du côté des freaks, des monstres et de la marge qu’au centre de la majorité silencieuse. Comme ce concert de Suicide et des Cramps en 1976, dont Thurston Moore se souvient dans le documentaire Looking for a Thrill, au cours duquel le public avait basculé des tables sur leurs flancs en guise de barricade pour se protéger d’Alan Vega ! « Gimme Danger! »

Philippe Delvosalle
article écrit à l'origine pour La Sélec n°19 de décembre 2011 consacrée aux zombies et au vaudou


- merci à Yves Poliart et Emmanuel Levaufre -