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BLUE LINES (10 YEARS)
MASSIVE ATTACK

  • Ref. XM262K
  • CIRCA RECORDS, 1991.

" I know that I've been mad in love before / And how it could be with you / Really hurt me baby, really hurt me baby / How can have a day without a night / You're the book that I have opened /?And now I've got to know much more. " Pour beaucoup, l'histoire de Massive Attack commence par un long travelling dans les rues de Los Angeles, très précisément sur West Pico Boulevard. Une femme vêtue d'une longue robe noire y déambule tout en scandant ces quelques mots sans se soucier des laissés-pour-compte qui l'entourent et qui comme elle traînent leur spleen à travers un monde en perdition. Nous sommes en 1991 et la chanteuse Shara Nelson vient sans le savoir avec ce vidéo-clip très stylisé de faire une entrée marquante dans le petit monde aseptisé de la pop en installant une énième complainte amoureuse (le très hanté " Unfinished Sympathy ") parmi les plus belles chansons de la musique populaire britannique. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, de la musique pour les masses, en provenance d'une ville marquée par les stigmates de la colonisation. Bristol, ville portuaire de l'Ouest de l'Angleterre et ancienne plaque tournante de l'esclavage qui depuis les années Thatcher se pose en victime des dérives du capitalisme sombrant inéluctablement dans un chaos post-industriel. Cette ville qui porte encore aujourd'hui les traces des bombardements de la Seconde Guerre mondiale va sans crier gare refaçonner à sa manière les contours du hip-hop, de la soul et du reggae. L'album Blue Lines comme point de départ d'un genre, le trip-hop, qui vers le milieu des années 1990 va déferler sur les ondes radio avec comme à chaque fois son lot de suiveurs et de copistes plus ou moins inspirés.

Mais Blue Lines ne vient pas de nulle part. Ce disque synthétise à merveille une mutation des musiques noires et blanches qu'il faut aller chercher du côté de l'after-punk et de ses différentes déclinaisons. Si la culture musicale anglaise a pris pour habitude de cloisonner les genres, elle est aussi très souvent la première à s'en émanciper des ceux-ci en les réinventant à sa manière et sans se soucier des barrières érigées entre elles. D'une certaine façon, le mouvement northern soul qui à la fin des années 1960 voyait de jeunes gens du Nord de l'Angleterre se réapproprier le son des disques Motown en provenance de Detroit et le mode de vie qui allait avec est probablement le point de départ de cette évolution. Les ramifications de Blue Lines sont multiples, des défricheurs jusqu'au-boutistes comme Mark Stewart (originaire lui aussi de Bristol) et son incarnation The Pop Group au dub mutant du label londonien On-U Sound de son mentor Adrian Sherwood en passant par l'impact de la déferlante reggae et celle tout aussi capitale de la scène post-punk dont les codes du Do It Yourself étaient devenus pour de nombreux artistes la nouvelle règle à suivre.

New Age Steppers, 23 Skidoo, The Slits, Dub Syndicate, Rip Rig + Panic sont autant de noms de différents projets passés à raison à la postérité mais qui ont préparé le terrain pour des groupes comme Massive Attack et Portishead. S'adressant à un public plus restreint, ces pionniers furent sacrifiés parce qu'ils avaient le tort d'être en avance sur leur temps. Blue Lines est le fruit d'une longue gestation dont le point de départ est la mise sur pied vers 1983 du Wild Bunch (en référence au film de Sam Peckinpah), un sound system hétéroclite et multiracial de différents DJ et MC, Nellee Hooper, Milo Johnson (DJ Milo), Grant Marshall (Daddy G), Robert Del Naja (3D) et les jeunes pousses Andrew Vowles (Mushroom), Willy Wee et Adrian Thaws (Tricky). C'est au Dug Out, un des clubs les plus exaltants d'Europe, que ce collectif fit ses premiers pas en mélangeant avec ferveur punk, reggae, new wave, ska, hip-hop, des musiques de films et les productions de Burt Bacharach faisant ainsi se côtoyer jeunes branchés blancs et noirs dans une ville traditionnellement coupée en deux. Au départ les publics étaient en effet cloisonnés jusqu'à l'arrivée du hip-hop, le disco et la soul étaient les ennemis jurés de la new wave mais pas le reggae qui grâce au groupe punk The Clash mais aussi aux Slits et à Public Image Ltd était parfaitement accepté. Le mouvement punk a permis une connivence presque naturelle avec le reggae et le dub puis, par la suite, avec le hip-hop - si bien que le Wild Bunch est passé d'un sound-system à la jamaïcaine à une sorte de laboratoire fascinant et hors normes.

" Comme beaucoup d'autres gosses, j'ai suivi les Clash du début à la fin, ce qui m'a fait aller du punk au hip-hop en passant par le reggae et le dub. Sur la vidéo de " Radio Clash ", on pouvait apercevoir le graffeur de Brooklyn Lenny McGurr (alias Futura 2000) et The Rock Steady Crew. J'ai immédiatement accroché à cette image. C'était si neuf, presque extraterrestre. Au départ, on suivait à la ligne les pochettes de disques qui arrivaient de New York : on parlait avec des accents américains, on s'achetait des vêtements Calvin Klein, des chapeaux Kangol... Mais très vite on s'est approprié cette culture. C'est nous qui avons inventé le hip-hop britannique. ". (3D)

Le rapprochement entre les trois personnalités au parcours musical assez différent que sont 3D, Daddy G et Mushroom va être déterminant. Vers 1987 et sous l'impulsion de Cameron McVey le compagnon de route de la chanteuse Neneh Cherry (elle-même liée à ses débuts au Slits et Rip Rig + Panic) ils prennent leur destin en mains sous le patronyme de Massive Attack. Ils mettront encore quatre ans pour finaliser leur premier album pendant que leur acolyte Nellee Hooper ne mettra lui que deux années pour accoucher d'une première production qui fera date avec son projet Soul II Soul. Les succès de " Keep on Movin' " et " Back to Life " sont l'amorce d'un changement qui culminera avec ce Blue Lines aux accents multiples. Pour ma part, prendre cet album de plein fouet à l'âge de quatorze ans avec une culture hip-hop soul et reggae proche du néant fut salutaire et une porte d'entrée idéale vers ces différents genres musicaux.Si je compris assez rapidement que le disque utilisait l'art du sampling comme outil principal de création de ses chansons, j'étais loin de me douter que cet album était truffé de références aux collections de disques respectives de ces créateurs. Les membres de Massive Attack n'oubliaient pas d'où ils venaient et qu'ils étaient avant tout des fans de musique qui sélectionnaient et passaient la musique des autres à travers un sound-system.

L'exemple le plus emblématique reste le morceau d'ouverture de Blue Lines, la ligne de basse de " Safe From Harm " est un emprunt basé sur un segment du morceau " Stratus ", standard jazz-fusion du batteur Billy Cobham. Le break en question fait abstraction de toutes les improvisations vaines et superflues des musiciens Jan Hammer, Lee Sklar et Tommy Bolin en se focalisant uniquement sur le groove hypnotique généré par la section rythmique de ce titre datant de 1973. Sur " Safe From Harm " le groupe échantillonne aussi des éléments méconnaissables de chansons de Lou Rawls et Funkadelic et permettent ainsi à la voix de Shara Nelson de se poser sur un tapis sonore idéal et confortable. L'art de créer avec de beaux restes de nouveaux éléments n'est pas aussi simple qu'on pourrait le croire, on est même assez proche d'une forme de prestidigitation dont les secrets ne seraient dévoilés que par des amateurs plus pointilleux encore que ces DJ avertis. Il est si facile aujourd'hui de savoir d'où proviennent ces samples, le mystère s'est évaporé depuis que sont apparus blogs et autres sites encyclopédiques à la Wikipédia. À l'époque il fallait encore scruter, chercher, se renseigner et surtout écouter pour espérer deviner que sur le morceau " Five Man Army " le chanteur vétéran de la scène reggae Horace Andy alors en manque de paroles part dans une fausse improvisation où il reprend des bribes de mots issues d'une chanson, " Money Money ", qu'il a lui-même écrite en 1974. Horace Andy sera d'ailleurs l'invité le plus régulier de Massive Attack avec pas moins de douze morceaux à son actif sur les cinq albums du groupe. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard de le retrouver là. Vers 1990 les membres de Massive Attack le contactent pour qu'il pose sa voix sur le riddim (le rythme en jamaïcain) de leur chanson " One Love ", c'est un juste retour des choses pour lui car même s'il a toujours été respecté par la scène reggae il n'en demeure pas moins qu'à cette époque Horace Andy est pratiquement réduit au silence par l'apparition, dès le milieu des années 1980, de sons numériques et donc moins roots qu'à ses débuts. Grâce à sa voix haut perchée (il refuse qu'on parle de falsetto à son sujet) et à ses paroles évoquant tout à la fois la condition sociale du ghetto de Kingston et la dimension biblique du rastafarisme, Horace Andy avait su dès la fin des années 1960 se démarquer des autres chanteurs tout en suivant la voie tracée par des crooners au timbre atypique comme Ken Boothe, John Holt et Delroy Wilson. Après des 45-tours produits par Clement " Coxsone " Dodd il réalisera durant les années 1970 ses meilleurs albums avec le producteur Bunny Lee puis il s'expatriera à New York pour enfin atterrir à Londres où il travaillera avec le fondateur du label Wackie's, Lloyd Barnes, lui aussi exilé dans la capitale britannique. Cette voix à la Al Green a de toute évidence accompagné les soirées au Dug Out animées par le Wild Bunch et en arrivant à convaincre Horace Andy de participer à leur premier album c'était à la fois un rêve qui se réalisait et une très belle occasion de rendre justice à une carrière de l'ombre, mais irréprochable, qui ne demandait qu'à renaître de plus belle. Présent sur les titres " One Love ", " Five Man Army " (reprise d'une composition de Dillinger datant de 1982) et sur " Hymn Of The Big Wheel " chanté avec Neneh Cherry, Horace Andy se pose en gardien de l'héritage reggae et deviendra un repère vocal indissociable des albums du groupe.

Les voix de Daddy G, 3D et Horace Andy ne suffisant pas à mettre Blue Lines sur une orbite soul dont les bases sont pourtant déjà là, la chanteuse Shara Nelson est de ce fait le contrepoint idéal à ces timbres masculins omniprésents. " Safe From Harm ", " Unfinished Sympathy ", " Daydreaming " et " Lately " sont complètement habités par cette personnalité qui hante les sens sur des samples éclectiques. Sur ces chansons, l'art du sampling permet de passer d'une section rythmique empruntée à Isaac Hayes à des arpèges du guitariste John McLaughlin pour une fois sobre dans son jeu et, comme si tout devenait possible, on entend çà et là les hommes de mains de James Brown (John Jabo Starks et Jimmy Nolen) se faire la malle avec Wally Badarou, Sade et Lloyd Robinson sur des paroles de prolos ancrées dans le quotidien et scandées dans un rap frénétique d'un autre temps. Le jeune Tricky est aussi parfait dans son rôle de petite frappe aux allures de boxeur fan tout autant des Buzzcocks, des Cure et de Kurt Cobain que de Dr. John, de Kate Bush, des Specials et d'Eric B. & Rakim ! Parfait mais ingérable et surtout la tête ailleurs que dans le music business qui se dessine, Tricky prendra la poudre d'escampette pour le meilleur et pour le pire après la sortie du deuxième opus de Massive Attack, Protection. Il est difficile de prendre congé de Blue Lines tant cette pop lascive teintée de soul opulente enfumée par le dub et l'électro subjugue. Une alchimie qui culmine sur la reprise très fidèle du " Be Thankful For What You've Got " du trop méconnu chanteur soul William DeVaughn. Tous ces éléments réunis vont rendre dépendante une scène dance anglaise qui n'en demandait pas tant. En définitive ce disque n'est sans doute pas le premier à utiliser des emprunts de ce genre, It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back et Fear of a Black Planet de Public Enemy mais aussi Paul's Boutique des Beastie Boys sont déjà passés par là - à la différence notable qu'ils sont intimement liés au hip-hop alors que Blue Lines élargit le champ des possibles vers d'autres types de musique. Une fois de plus en mal d'inspiration, les journaux et les amateurs d'étiquettes auront vite fait d'appeler cela trip-hop, une tromperie supplémentaire qui, comme à chaque fois prendra de court ceux qui ont engendré une telle lignée de projets. Ceux-ci tentant en vain de reproduire ces sons tendus en les réduisant à quelques tics ressemblant plus à de la musique décorative pour bars à la mode qu'à un mouvement musical digne de ce nom.

" Même à l'époque de Blue Lines on pensait juste avoir enregistré un disque potable. Et quand on a commencé à le faire écouter aux maisons de disques, leurs réactions enthousiastes nous ont vraiment étonnés car on se contentait juste de continuer le travail du Wild Bunch. La seule progression, sur notre premier album, c'est qu'on samplait les disques au lieu de les jouer. " (3D)

(David Mennessier)

Écouter les extraits

Interprètes

Pistes

  • 1 Safe from harm
  • 2 One love
  • 3 Blue lines
  • 4 Be thankful for what you've got
  • 5 Five man army
  • 6 Unfinished sympathy
  • 7 Daydreaming
  • 8 Lately
  • 9 Hymn of the big wheel