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Portrait

Pole

Pole

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Berlin (52°30’ N 13°24 W) : température moyenne mensuelle oscillant entre 0°C et 18°C, total des précipitations annuelles : 570 mm ; 3 500 000 habitants (3 900 hab/km²), PPA (parité de pouvoir d’achat) en Allemagne : 38 000 $/habitant.

Kingston (17°59’ N 76°48 W) : température moyenne mensuelle entre 25°C et 30°C, total des précipitations annuelles : 1 690 mm ; 660 000 habitants (26 500 hab/km²), PPA (parité de pouvoir d’achat) en Jamaïque : 9 000 $/habitant.
On aura beau essayer de chasser bien loin ces clichés tenaces sur, d’une part, « le pays des trains qui arrivent toujours à l’heure » et, d’autre part, « des rastafaris ramollis par la ganja vingt-quatre heures sur vingt-quatre », ça ne sera pas non plus dans les données froidement statistiques qu’on trouvera une bribe d’explication à l’émergence à Berlin, à la fin des années 1990, d’une forme mutante et électronique du dub, notamment autour de musiciens tels que Moritz von Oswald et Mark Ernestus (Rhythm & Sound) ou, mettant en jeu une approche un peu différente, Stefan Betke (Pole).

Il y a, comme souvent, une part de « mythologisation », d’histoire qui commence à vivre sa propre vie au risque d’un peu – ou d’un peu plus – s’éloigner d’une réalité des faits désormais difficile à reconstituer mais, il semble bien, qu’en Jamaïque à la fin des années 1960, le dub soit né du reggae plutôt par accident, et selon une première impulsion de nature soustractive. Les experts et les fans se crêpent les dreadlocks sur la date de naissance (1967 ou 1968 ?) et l’identité du père (King Tubby, en première ou en seconde ligne, géniteur ou oncle adoptif, présent au jour J ou au jour J+1 ?) mais peu ont envie de se fendre le cœur en remettant en cause cette si belle histoire selon laquelle la première suppression des voix d’un morceau reggae (qui allait très vite mener au dub par un retour de balancier rétablissant l’équilibre des morceaux en compensant cette perte par de nouveaux éléments tels qu’un renforcement du riddim, c’est-à-dire de la batterie et des lignes de basses, ainsi qu’une multitude d’effets de dédoublement, d’écho, de réverbération ou de stéréophonie panoramique) proviendrait de la distraction d’un ingénieur du son qui aurait tout simplement oublié de monter les potentiomètres des pistes de chant au moment de la gravure de la matrice du disque. Mais, comme le dit un personnage dans The Man Who Shot Liberty Valance de John Ford, « When the legend becomes fact, print the legend. »
Le début du parcours menant Stefan Betke (né à la fin des années 1960 à Düsseldorf) au premier album de Pole en 1998 est aussi marqué du sceau de la soustraction (et de l’accidentel). À la fin des années 1980, il quitte sa ville natale pour Cologne et tourne le dos à un apprentissage très… allemand du piano (Allemagne et discipline martiale : encore un cliché, mais cette fois c’est le musicien lui-même qui se souvient avec quelque effroi de cette interdiction formelle de la part de ses professeurs de jouer toute autre musique, dite « non sérieuse », qui aurait pu pervertir sa formation académique). Enfin libéré dans sa nouvelle ville, Betke jouera de 1988 à 1995 dans Perlen Vor Die Säue, un groupe entre rock et jazz (dérivant ensuite même vers le hip-hop) inspiré par Fred Frith et John Zorn. Au cours de ces années, le groupe se dépeuple et se démantibule et, en parallèle, Betke y introduit de plus en plus d’instruments, d’équipement et de sons électroniques. Le batteur part. Puis le guitariste. Et, enfin, le bassiste. Qu’à cela ne tienne : Betke continue un moment tout seul, remplaçant les lignes de basse électrique du dernier démissionnaire par des lignes de basses électroniques au synthé Minimoog.
En 1995, le musicien déménage à nouveau. Il quitte Cologne qu’il considère comme une ville relativement petite, familiale et conviviale pour une grande métropole chaotique, en chantier, en pleine effervescence (urbanistique mais aussi culturelle et musicale) suite à la réunification de l’Allemagne en 1989-1990 : Berlin. Une ville que, quelques années plus tard, il décrira par une fort belle analogie onirique avec sa musique du moment comme un organisme dub :  « Berlin est un peu comme de la musique dub, je trouve. On a un bâtiment à l’avant-plan, puis un énorme tunnel à l’arrière. Tu peux emprunter ce tunnel, y marcher pendant vingt minutes, puis refaire surface et voir la lumière loin derrière le bâtiment suivant… Tu cours dans cette direction et tu trouves encore quelque chose de complètement différent. Comme une réverbération. » (Entretien avec Rob Young, The Wire, 2000). Berlin, aussi ville techno, de Maurizio/Moritz von Oswald, du label Basic Channel, du magasin de disques Hard Wax et du légendaire studio de mastering (ou matriçage) Dubplates & Mastering. Betke y travaillera un an vers 1996, initié et formé par Robert Henke (Monolake) aux secrets de ce savoir artisanal d’alchimie sonore : « Si j’avais la possibilité de refaire de la gravure de matrice, je le ferais tout de suite. Quand on écoute le son sur un support numérique comme un CD ou une DAT, il sonne de manière très dure, droit dans ta tronche, avec des fréquences très hautes et très dures. Puis, tu enclenches la gravure en temps réel de la matrice du vinyle et tu vas bientôt pouvoir entendre ce merveilleux changement physique du son : les basses deviennent plus chaudes, un rien diffuses ; les aigus sont très légèrement distordus, ce qui les rend beaucoup plus agréables à l’oreille. » (The Wire, op.cit.). Un peu après cet entretien du printemps 2000, Betke réalisera d’ailleurs son rêve en mettant sur pied Scape Mastering, une officine de mastering (qui travaillera pour Dntel, Biosphere, T.Raumschmiere, Apparat, Josh T. Pierson, Bill Wells… et bien sûr Pole) liée à son label  scape (Jan Jelinek, Kit Clayton, Deadbeat) fondé l’année précédente avec la DJ Barbara Preisinger. Pour Betke, ce studio de mastering représente beaucoup plus qu’un coûteux joujou : c’est surtout, dans la chaîne de production de la musique, la dernière étape artisanale avant de passer, pour le meilleur comme pour le pire, le flambeau à l’industrie (le pressage en usine du disque). Pour quelqu’un qui, par l’expérience accumulée, se met à comprendre comment les différents presseurs de disques industriels font, amoureusement ou « par-dessous la jambe », leur métier, il y a moyen, en amont, au moment du mastering voire de la composition, d’en tenir compte pour arriver au final au meilleur résultat possible.
Stefan Betke s’est entre-temps rebaptisé Pole pour ses activités musicales, du nom d’un équipement électronique, le filtre Waldorf 4-Pole. Pour aller vite sans entrer ici dans des détails techniques inutiles, ce genre d’appareils permet (ici par un voltage-controlled filter) de modifier un son en bloquant ou en laissant passer certaines fréquences. En l’espace de deux ans (1998, 1999 et 2000), Pole va sortir les trois albums d’une trilogie (en trois volets, sobrement intitulés 1, 2 et 3 ; parfois rebaptisés par les fans « le bleu », « le rouge » et « le jaune » , de la couleur de leurs très sobres pochettes presque monochromes) entièrement construite autour des sons sortant de ce filtre. Mais – et c’est là qu’intervient l’élément accidentel dans la naissance du dub de Pole – alors qu’il aura travaillé neuf ans (soit environ toute la décennie 1990) en chambre sur sa musique avant de la proposer à un label, en 1996 le Waldorf 4-Pole glisse et vient violemment heurter le sol de son appartement. Le filtre ne fonctionnerait plus jamais comme avant. Et Pole allait vraiment pouvoir devenir Pole : « Au début je n’avais que des sons de batterie dans ma musique. (…) Mas, cela ne me satisfaisait pas. Puis, quand j’ai entendu cette machine, mon filtre cassé, pour la première fois, j’a pris conscience du fait qu’il y avait peut-être là une possibilité afin de changer mes morceaux et mon son – donner une nouvelle qualité à ces craquements. Cela m’a pris quelques semaines avant de le reconnaître, parce que dans mon studio ces crachotements étaient à l’arrière-plan, derrière les rythmiques. Puis, j’ai coupé le canal de la rythmique et je les ai vraiment entendus et pensé “OK, voilà l’idée.“ »
Quand on réécoute aujourd’hui les trois premiers albums de Pole, on est frappé par leur richesse et leur variété, qui va bien au-delà de ce qu’on pourrait craindre d’une musique à concept ou à une seule bonne idée. On en est bien loin. L’origine des sons utilisés relie les morceaux entre eux, comme par des racines communes, mais au-dessus de la surface du sol, la manière dont ils ont poussé, fleuri et souvent porté des fruits est généreuse et somptueuse. Certaines plages sont calmes, presque ambient, jouant la carte d’une certaine stagnation, d’une fausse monotonie et d’une narration en pointillés. D’autres, par contre, sont des hits imparables, des invitations à des danses sensuelles et chaloupées, des hymnes lyriques instrumentaux qu’on se surprend pourtant presque à chantonner. Une qualité mélodique qui nous donne envie d’utiliser pour une fois un autre qualificatif musical en trois lettres, beaucoup moins utilisé que dub pour évoquer cette musique : pop. Même si, bien sûr, la filiation dub demeure une évidence et se marque dans un sens assez époustouflant de la complémentarité entre les sons de différentes fréquences (les craquements et grésillements, plutôt dans les hautes fréquences et les lentes et bourdonnantes lignes de basses). Ces différents so

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