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Portrait

Phil Minton

Phil Minton

publié le

Il y a des artistes qui n'ont pas cessé de créer, de proposer

Sommaire

 

Il y a des artistes qui n'ont pas cessé de créer, de proposer leur art sur la place publique, qui atteignent un âge respectable, jouissent d'une reconnaissance symbolique auprès d'un milieu éclairé, et qui restent toujours inconnus du grand public. Dans le domaine musical contemporain, on peut constater qu'il y a de plus en plus d'exemples de ce genre. La modernité dans sa radicalité expressive est privée de grand public. Vice-versa : le grand public est privé de contacts avec les artistes modernes, qui proposent une confrontation dynamique et radicale avec les éléments constituants de notre vie moderne ? Pourquoi ces clivages ? Pourquoi réserver les connaissances culturelles « poussées » à un petit nombre, à une « élite culturelle » ? Sans la connaissance de ces artistes d'avant-garde, toujours avides d'expérimenter, de questionner par l'art notre relation au monde et à l'autre, une série de notions fréquemment utilisées sont un peu biaisées : artistes et labels indépendants par exemple, formes d'art en émergence, différences culturelles. Mais où peut-on s'informer, prendre connaissance de ce que font ces artistes ? Nulle part ailleurs qu'à la Médiathèque ! Parce que son patrimoine a été constitué dans une optique de prêt public, de mise à disposition objective et représentative de tout ce qui se fait dans une optique de démocratisation culturelle et non dans un esprit de rentabiliser les expressions. Prenons un exemple : Phil Minton. La Médiathèque suit ce chanteur hors normes, sorti tout droit de l'univers beckettien, depuis ses premiers enregistrements. Voilà, une proposition d'une radicalité et d'une réelle différence culturelle dont il est possible de retracer toute l'ampleur grâce à nos collections, sur près de 86 CD ! Pour comprendre les musiques d'aujourd'hui, cerner les enjeux de la différence culturelle, renouer avec les problématiques de la modernité, recentrer la notion d'indépendance esthétique, un détour fréquent par l'œuvre de ces artistes tenus à l'écart de la grande médiatisation est important. Par le biais d'un centre public de prêt, c'est accessible à tout le monde, en dehors de tout élitisme, on essaie, on peut parler et débattre avec les médiathécaires, rendre de la chair citoyenne au fait de consommer des biens culturels. Matérialiser des connaissances culturelles à partager.

 

Pierre Hemptinne

Circui long page 3

 

















Circuit long page 2

 

















Circuit long page 4

 

















circuit court


Les circuits courts vous proposent une sélection de titres parmi les plus représentatifs de nos collections, les « incontournables » selon nous, ceux par où commencer son exploration… Les circuits longs vous donnent la totalité des références discographiques disponibles pour chaque génération, c'est à vous de construire vos itinéraires, vos repères, pour une exploration à votre rythme, aussi loin que souhaité…

 

Par où commencer...












 

Circuit long


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Pour aller plus loin...

 

















Phil Minton, gorge profonde


1. Approche d'un chanteur

 

L'incertitude de la voix est déjà un phénomène assez étrange. S'agit-il d'une voix qui s'utilise comme telle ? A cette incertitude Phil Minton ajoute le besoin de confirmer cette étrangeté des sons qui viennent de la gorge, le besoin de mettre la voix en difficulté de telle façon que l'on arrive vite à l'étranglement, au colossal de la gorge qui n'est plus capable car elle produit un «trop» sonore. Les sons sont sans mesure extérieure, on ne peut pas les mesurer, nature non morte, expansion permanente des sons qui ne sont pas uniquement vocaux mais gesticulatifs, théâtraux et impertinents jusqu'au désastre qui s'installe non uniquement dans la gorge mais dans les gorges, pluriel provoqué par la multiplication inattendue. Autrement dit, il y a des gorges qui se situent généralement entre des montagnes, choses serrées, étroites, comme étroites sont les gorges de Minton. Les appareils, tout d'un coup, ne sont plus bons à rien, à rien même, même à rien. Ils sont en état «Tinguely», ils déclenchent des avaries qui parcourent les autres organes du corps physique et mental de Minton. Il se dé-fait de quelque chose d'impossible à situer, d'un corps «éléphant» qui le prolonge, lui donne une nature déséquilibrée, à tel point que nous ne savons plus si c'est bien la gorge l'appareil utilisé ou si des nouveaux appareils viennent de nous arriver, une compréhension nouvelle de la constitution de l'humain qui nous jette dans une voie d'ouverture du corps constitué, cette fois par des organes et des appareils de fabrication récente, non pas des prothèses efficaces mais tout un assemblage qui égale le mélange possible des organes et la confusion de la fonction de chaque organe. Par exemple: est-ce que le pénis chante ? Ou la rate ? Lequel des deux est le plus chantant ? Ou la rage est-elle visible par la communication des organes qui ont, par dessus tout, une vie active différente de celle de son possesseur ? Les organes n'ont pas de raisons de se manifester contre la gorge, bien qu'il soit possible que ce soit ça qui se passe . Les organes, comme la gorge ou les gorges, sont équipés par Minton pour jouer un rôle sonore. De communication ? Qu'est-ce que l'on entend par communication? Les autres gorges, celles des conseils d'administration, celles qui s'expriment sans mimique, sans mimétisme, ont une fonction orale, elles communiquent. Elles s'appellent gorges. En outre, les gorges de Minton sont en dehors de la «nature morte» car elles ont une durée, elles ne s'exposent pas à côté des fruits et légumes, poissons et viandes qui ont eu une existence, à présent existence morte, car il y manque la durée. Les gorges de Minton se situent-elles proches de la bouche ? On dira que les gorges vont vers la bouche ou loin de la bouche, vers l'interne, vers l'intérieur ? Probablement qu'ici les choses ne sont pas faciles comme en géographie. Les gorges vont dans l'estomac, dans le foie, subissent des pressions respiratoires, souffrent des pressions du palais, sont interrompues par le cerveau qui les veut, non pas au service des codes grammaticaux, mais au service des déformations. L'auditeur en fabrique aussi, forcément, car l'auditeur ajoute à celles de Minton une quantité indéterminée d'organes. Quelques-uns viennent des auditeurs qui déforment ce qui est proposé, souvent par concomitance, d'autres fois par incompréhension. Les deux attitudes, dans ce cas, sont bonnes pour Phil Minton et pour l'expression en soi. Pour l'auditeur aussi ? Peut-être sera-t-il étonné de savoir que d'autres organes l'habitent, se permettent des cheminements internes que le scanner ne découvre pas, parties cachées de plusieurs organes-gorges qui sont ici, ici dedans, ici, par exemple, dedans. D'autres organes sont transportés par Phil Minton, un carrosse d'organes qui vient non pas derrière lui, non pas les tripes habituelles, les usuelles tripes. Phil Minton n'a pas de «tripes»; comme on dirait d'un soldat. Il n'offre pas des plats à l'espagnole, il se concentre sur la constitution discrète des organes, il se concentre sur ce va-et-vient des organes et de leur nouvelle fonctionnalité qui les prépare pour une dramaturgie personnelle. Comme un acteur qui travaille les textes sans savoir si ce serait aux gorges de les dire, s'il faut les dire ou les donner à dire à d'autres organes, à d'autres organes pour le dire, donation d'organe à organe. Les gorges de Minton servent à garantir cette donation.

  
Alberto Velho Nogueira,
Janvier 2004
                              

2. Une voix du social, une voie vers le social

Phil Minton est une entité qui présente un positionnement par rapport non uniquement aux expressions mais aussi à la situation du monde actuel. Il fait référence - vieille histoire de l'art pour l'art ou de l'art engagé – à cet environnement qui le place en même temps qu'il se place à l'intérieur d ‘un social qui n'est pas occulté par l'expression de Phil Minton. Le personnage est un agent d'expression et, comme tel, il se place ici, le moment est celui-ci, son expression est bien la formulation de cette permanence de Minton comme agent d'expression non séparable du corps qui lui donne origine. Il est bien le résultat de la place qu'il occupe, du langage qu'il fait fonctionner, qu'il met en fonction, sans pour autant s'affilier dans une idéologie – d'ailleurs, elles se ferment , le terme le plus approprié, selon moi, pour définir ce qui se passe avec les idéologies aujourd'hui – ou partir de la nécessité d'affirmer socialement ce qu'il préfère voir actionné par l'expression elle-même. Cependant, il y a un problème, souvent invoqué par moi dans d'autres commentaires et écrits : le problème de savoir comment se vérifie le social à l'intérieur de l'expression musicale, qui fait la lecture de l'expression de Phil Minton, qui en déduit les résultats.
Une société qui se dit libre devrait pouvoir s'approcher des expressions les plus radicales et les comprendre sans aucun problème. Une partie très considérable d'auditeurs de Phil Minton devrait venir à la surface, dans une institution comme la Médiathèque, en louant les CDs, preuve d'un intérêt certain pour ce qui se passe en société, par la voie des expressions sonores, dans notre cas. Nous ne disons pas assez que les difficultés apportées par Phil Minton ne sont pas une charge uniquement venue de lui mais une situation sociale qui préexistait déjà, avant lui et à son corps défendant. Une situation qui continue sans remède social, car une plus grande connaissance des expressions qui ne proposent pas de s'inscrire, d'un côté dans l'institutionnel et de l'autre dans le commercial, n'augmente pas. Les pays où les expressions sont libres (plus ou moins libres, la liberté complète n'existe pas), là où elles veulent répondre d'une façon autonome, il n'y a pas de reconnaissance de cette particularité importante pour l'indépendance des agents d'expression et pour les auditeurs. Le fait qu'une expression se propose ouvertement, en essayant de créer un vocabulaire plus indépendant du vocabulaire social déjà admis, ne demande pas de la part des personnes auditrices une curiosité capable d'augmenter le nombre de demandes de ce type d'expression, malgré, je le répète, le fait qu'en Belgique nous soyons libres. Mais comment libres ? Sans repères musicaux ? Je crois bien que nous sommes mis aux courant (formés) par les circuits industriels qui nous classent, qui nous forment, qui décident – eux – de notre opinion et de nos besoins, donc. Il ne s'agit pas d'une demande idéologique, mais d'un constat évident : les musiques comme celles de Minton ne font pas partie de la connaissance sociale des personnes ; celles-ci peuvent vivre sans lui.

Le paradoxe est évident : une société qui forme les Minton les démentie aussi très rapidement. Il ne s'agit pas d'une ignorance absolue, mais bien d'un éloignement chaque fois plus grand entre les auditeurs et les Minton, ici de la musique, ailleurs d'autres formes d'expression. Il faut insister sur le fait que les formes ne soient pas plus faciles ou difficiles sans plus ; elles peuvent être plus complexes ou plus complexifiées, elles demandent des attentions propices à la connaissance et à la confrontation entre les expressions et le social. Celui-ci ne peut donc pas abandonner la situation à quelques-uns – ceux qui se considèrent capables de reconnaître les formes de Minton – tout en laissant la plupart des personnes sans une possibilité de savoir comment vont les choses dites artistiques.            

Il n'est plus suffisant de dire que les expressions difficiles sont uniquement destinées à quelques-uns. Ceci n'est pas une solution aux problèmes de l'audition dans notre social. Nous ne pouvons pas laisser tomber la situation par une vision fataliste qui dirait que ceux qui ne veulent pas savoir ce qu'est Phil Minton peuvent esquiver les formes mintoniènes. Ou peut ne pas savoir ce qui se passe, malgré le fait qu'il ne soit pas uniquement en rapport à Minton mais en rapport avec toute forme d'expression qui soit, un tant soit peu, une prédisposition à la difficulté. Les publics s'enracinent dans le fait que tout ce qui est incompréhensible est définitivement à éloigner comme difficile à interpréter. L'interprétation ne dépend pas de la situation de la personne par rapport aux « expressions exigeantes » mais elle est le résultat de la volonté de l'auditeur, fermé définitivement à la compréhension de l'œuvre et de la matière. La capacité de l'interprète n'est pas souvent mise en cause, par une approche déficiente de l'auditeur lui-même. Il ne se place pas souvent dans la position de celui qui vérifie avant tout comment fonctionnent les systèmes de connaissance par rapport aux expressions considérées difficiles. L'auditeur   est bloqué (on le bloque) par les nomenclatures existantes. Il ne sortira pas de ce ghetto.

Cependant, en le faisant, les auditeurs ne font que tomber dans les organisations faciles, celles qui ne feront que suivre le « déjà fait », malgré le fait qu'ils évoquent l'honnêteté des artistes qu'ils veulent (ou savent) suivre.
La situation des « Phil Minton » ne date pas d'aujourd'hui, malgré le fait que les personnes seraient aujourd'hui en état de pouvoir suivre plus facilement les informations. Ne sommes-nous pas dans un système très avancé d'autoroutes de l'information ? Les informations que l'on nous propose sont celles qui devraient nous arriver ? Comment confronter le problème de l'ignorance provoquée par les systèmes d'information ? Entre-temps les équivoques sont vastes. Les « Phil Minton » sont dans un tiroir, considérés comme des « outsiders ». C'est quoi un outsider ? Par rapport à quoi ? Qui l'a placé comme outsider, qui légitimise cette position ? Comment se confronter avec les outsiders ? Comment se confronter avec les insiders ? A cette série d'interrogations nous ne pouvons qu'essayer de changer les positionnements déjà acquis.

Il ne faut pas oublier que certaines formes d'expression musicale sont encore liées aux théories esthétiques qui préservent le beau ou qui se basent encore sur la vérificabilité du beau et tout ce que cela comporte comme autres concepts que l'on assimile au beau en permanence. Cela veut dire que les publics aussi sont attirés par cette suggestion directe, facilement analysable et suivie. Quand cette particularité - et je l'appelle particularité quand pour les systèmes esthétiques basés sur le beau il s'agit de la raison fondamentale - aujourd'hui non fondamentale, mais toujours au service de la facilité d'écoute et de compréhension de l'appareil musical, est annoncée, elle sert aux règles commerciales les plus évidentes tout en garantissant la compréhension et ayant la certitude que les auditeurs seront capables de les apercevoir sans difficulté ». Comme si la difficulté était une ajoute non nécessaire, une complication sans accord préalable avec les conditions de l'écoute. En revanche, les expressions qui ne sont plus en contact avec les concepts de beau, et tout ce qui en dérive, sortent des esthétiques du beau (et de la beauté, l'un n'est pas l'autre) pour revendiquer d'autres langages et d'autres bases problématiques sur le comment interpréter une œuvre ; d'art, j'allais dire, en me servant de la terminologie du passé, même récent.  

De là, un vide causé par les expressions mintoniennes, celles qui depuis déjà de belles années (un siècle, au moins!) proposent des prédispositions formelles qui s'expriment et expriment des tentatives pour changer le rapport entre les œuvres et les agents d'expression face aux auditeurs. Et ceci est valable pour toute forme d'expression, musicale ou pas.
Si les publics n'adhèrent pas facilement cela veut dire qu'ils n'y sont pas préparés ni ne veulent entrer dans un terrain pourtant nécessaire à la compréhension de la société actuelle. Le fait de manquer des expressions actuelles positionne l'auditeur dans un manque inévitable. Mais il semble que ceci ne soit pas un problème des sociétés démocratiques ! Alors c'est un problème de qui ? Qui gouverne cette problématique chaque fois plus éloignée des personnes ?

Le fait de penser qu'il y a maintenant plusieurs manières de s'exprimer ne veut pas dire qu'elles sont toutes « actuelles » en rapport avec le social d'aujourd'hui. Plusieurs formes d'expression ont abdiqué de leur principale caractéristique   - il ne s'agit pas de fonctionnaliser les expressions car elles ne devraient pas obéir à des stratégies fonctionnelles   - celle qui les faisaient parallèles aux phénomènes sociaux, non pas d'une manière explicative mais   de manière à créer les autonomies dont chacun a besoin. Donc, un besoin prioritaire a disparu, remplacé par les restes de beau et de beauté qui continue, par la force des marchés dominants à prévaloir. La plupart des expressions ne le sont plus, car il s'agit de propositions commerciales avec un usage d'un fond musical de tendance vers le beau. D'ailleurs on confond aujourd'hui le mot esthétique avec le beau tout court. On emploi souvent le mot esthétique pour dire qu'il s'agit de quelque chose de beau. Cela veut dire que les expressions sont réduites à leur existence la plus simple quand, philosophiquement et historiquement parlant, ces mots font appel à des concepts multiples.

Il n'y a pas la possibilité d'éliminer quoi que ce soit. Mon souhait n'est pas de substituer le beau par des perspectives nouvelles contraires au beau, mais de parler de la multiplicité de laquelle personne s'en occupe. Plusieurs musiques sont en question, elles ont des développements très différents selon leur genèse et leur chronologie propre ; elles ont des rythmes de changements selon plusieurs facteurs propres.
On ne peut pas demander à toutes les expressions la même chronologie des faits. Cependant, on a « mélodisé » toutes celles qui pouvaient en supporter la « mélodisation », de manière à les rendre plus rentables. Cf. mon texte sur le « complexe de Carmen ».
L'étude de l'esthétique devrait être suivie par l'étude des méthodes les plus récentes - celles qui facilitent l'approche à la connaissance non uniquement contemporaines - qui n'évoquent plus le beau de la même façon (ou qui ne l'évoque pas du tout) et que, surtout, traitent de la matière expressive comme d'un langage à comprendre et duquel dépend aussi notre autonomie.  

             

Alberto Velho Nogueira,
Août 2004