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Playlist

Cinéma, cinémaaa !

Le redoutable
Quel regard le cinéma porte-t-il sur lui-même ? Cette médiagraphie réalisée à l’initiative de la Bibliothèque d’Evere propose une immersion dans le monde du septième art par le prisme de celles et ceux qui le font vivre ou en tiennent les rênes, que l’on considère les artistes, leurs agent.es, voire les cadres de studio. A cette fin, la présente sélection s’agence sous la forme d’un triptyque : la mise en abyme du film dans le film, le point de vue créatif et, enfin, celui des dépositaires d’un art qui, comme le rappelait à raison André Malraux, est aussi une industrie…

Sommaire

UN FILM DANS LE FILM

Selon le système des poupées russes, le plateau de tournage, tour à tour lieu d’inspiration créative et de friction d’ego, ainsi que la salle de projection s’imbriquent à merveille dans leur propre matrice : leurs nombreuses représentations par le cinema, auxquelles ce chapitre est consacré, ont enfin permis au profane d’en observer la mécanique de l’intérieur.


François Truffaut : La Nuit Américaine (1974)

Avec La Nuit Américaine, François Truffaut livre une comédie dramatique qui est toujours considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la mise en abîme du cinéma par lui-même. Le scénario dévoile les mésaventures d’une équipe de tournage en train de réaliser le film Je vous présente Paméla, sous la direction de Ferrand (interprété par Truffaut). C’est en conjuguant les intrigues de la vie privée de chaque personnage avec l’histoire du film qui se tourne que se crée la réalité de plateau. Autant de récits qui s’enchevêtrent pour influencer l’œuvre : déprime des acteurs amoureux ou de l’équipe, problèmes techniques et financiers, agenda qui se réduit, accident mortel. Pourtant, rien n’arrête le film qui est en train de se faire. Même si La Nuit Américaine est un hommage annonçant la fin de la Nouvelle Vague, il reste le portrait d’un cinéma qui, malgré ses métamorphoses de style et de genre, reste plus fort que la vie, intraitable et jusqu’au-boutiste. (JJG)

Tom Dicillo : Ça tourne à Manhattan (1993)

Avec Ça tourne à Manhattan, Tom Dicillo, ancien chef opérateur de Jim Jarmusch, livre une comédie hilarante sur le tournage d’un film indépendant à petit budget qui vire au cauchemar paranoïaque. Le film joue avec virtuosité sur les chromatismes et accumule, jusqu’au ridicule, les clichés cinématographiques d’une équipe de tournage, pour créer une œuvre ludique bien plus révélatrice que ne le fut en son temps La Nuit Américaine. En faisant l’économie des discours intellectuels, il plonge dans les affres de la création, conjuguant les doutes et les égos aux contraintes techniques pour dresser le portrait d’un microcosme enfermé dans une réalité qui n’est finalement pas si réelle et surtout pas si dramatique. (JJG)

Olivier Assayas : Irma Vep (1996 et 2022)

Musidora, Maggie Cheung, Alicia Vikander : les incarnations successives d’Irma Vep se distinguent par leur habileté à se jouer de ce qu’on attend d’elles. Elles savent que leur rôle consiste à revêtir l’aura de mystère qui définit le personnage dont le prénom est l’anagramme de vampire. Cette géniale indocilité est l’un des aspects sur lequel insiste Olivier Assayas lorsqu’à deux reprises, d’abord sous la forme d’un long métrage, puis celle d’une mini-série, il filme la conception d’un remake du feuilleton de Louis Feuillade. Plus encore que le film, la série pense le cinéma d’auteur dans son devenir incertain. En double d’Assayas, Vincent Macaigne occupe le centre d’une narration qui tient autant de l’autoportrait que du récit d’initié. Sa présence nerveuse accentue la coordination bancale qui règne sur un plateau entre les divers métiers de l’art. Dans un contexte où les imaginaires sont intensément sollicités, la moindre affaire revêt l’éclat d’une fiction. (CDP)

E. Elias Merhige : L'ombre du vampire (2000)

1921, Friederich W. Murnau (John Malkovich) débute le tournage de son chef-d’œuvre fantastique, Nosferatu le vampire, dans un château en Tchécoslovaquie. Le casting est complet mais l’acteur qui incarne le suceur de sang – le comte Orlok (William Dafoe) – se révèle être lui-même un vampire qui se dissimule aux regards des autres. Passant du noir et blanc – pour les plans de l’original d’époque qu’il est en train de tourner – à la couleur, Shadow of The Vampire est une habile mise en abyme, tout autant qu’une métaphore sur le cinéma. Murnau passe un pacte faustien avec Orlok, signé de sa promesse de lui offrir le sang de son actrice principale à la fin du film, quitte à y perdre son âme. D’autre part, Orlok n’est autre qu’un Dracula vieillissant ayant presque tout oublié de ses méfaits passés. Et Shadow of The Vampire de se poser la question de la mémoire dans le cinéma de son époque. (YH)

Icíar Bollaín et Paul Laverty : Même la pluie (2010)

Avec Même la pluie, le scénariste attitré de Ken Loach, Paul Laverty, crée un parallèle entre la réalité des habitants de Cochabamba, en Bolivie, pris dans une lutte sociale contre les multinationales voulant privatiser l’eau avec la conquête de l’Amérique du Sud par Christophe Colomb au nom de l’Empire d’Espagne et de l’Eglise. Par le biais de l’histoire d’une équipe de tournage espagnole venue filmer l’arrivée du conquistador sur le continent, il réalise, avec une fluidité d’une rare intelligence, une quadruple mise en abîme scénaristique qui mélange la réalité sociale des habitants avec celle de l’équipe de tournage, celle du making of réalisé par une documentariste et le scénario du film historique. Ainsi plus le tournage prend forme, plus les quatre histoires se confondent pour dresser un constat sans appel. Même si les conquistadors d’aujourd’hui ont changé d’apparence, l’Amérique du Sud est toujours tributaire des comportements coloniaux et génocidaires de l’Occident. Cette œuvre, véritable exemple d’un système narratif ingénieux, allie la réalité sociale à la poésie du cinéma avec une équipe d’acteurs impressionnante de justesse. (JJG)

James Franco : The Disaster Artist (2017)

À quasi vingt ans d’intervalle, James Franco porte à l’écran le tournage rocambolesque du film The Room, sorte de chef-d’œuvre nanar devenu culte. En 1998, un bellâtre mystérieux, Tommy Wiseau, devient l’ami d’un comédien débutant, Greg Sestero, et décide de financer, monter et réaliser un film dont ils seront les protagonistes principaux. Dans cette comédie, qui elle aussi ne rencontra pas le succès escompté à sa sortie, les deux frères Franco (James et Dave) vont tourner à l’identique une série de plans de The Room. Ainsi, ils reproduisent le jeu plus que perfectible des acteurs de l’époque et sa mise en scène bancale, tout en faisant preuve de respect face à la naïveté du duo Sestero/Wiseau qui, à sa manière, réalisa son rêve hollywoodien. Tout cela au prix de leur amitié, de la carrière de Sestero, le plus doué, et du reclassement du drame personnel The Room en tragi-comédie involontaire. (YH)

Zhang Yimou : One Second (2020)

Avec One Second, le réalisateur chinois Zhang Yimou propose une ode au cinéma d’antan et à la pellicule en celluloïd. Quelque part dans le désert du nord de la Chine, pendant la révolution culturelle (1966-76), un fugitif veut à tout prix consulter la bobine d’actualités n°22 qui montre pendant quelques secondes sa fille qu’il n’a plus vue depuis longtemps. Une bobine qui fera l’objet de nombreuses péripéties, passant de main en main, jusqu’à malheureusement tomber lors du transport. Tout le village s’allie alors pour nettoyer la bande et les images filmées par Zhang Yimou s’avèrent magnifiques, tout en ombre, lumière et transparence. Ce film nous fait découvrir un monde du cinéma différent, dont la représentation a lieu dans des conditions rudimentaires – avec un espace en pierres brutes et des bancs de bois – ainsi que l’amour du projectionniste pour ce projecteur d’un autre âge et pour la pellicule qu’il découpe et remonte au gré de ses envies. (ASDS)

Damien Chazelle : Babylon (2022)

Si Babylon peut être vu comme un film prétentieux et grandiloquent, il reste une excellente introduction au monde du cinéma des années 1920 et 30, un moment où les studios tournaient des films en série et où le passage du film muet au film sonore a provoqué une révolution dans le cinéma. Dans une scène en particulier, Damien Chazelle montre, avec de nombreuses répétitions, la difficulté de tourner avec des caméras trop bruyantes qu’il fallait enfermer dans un caisson surchauffé et sans air, les micros captant le moindre bruit. Ceux-ci devaient être placés à des endroits précis du décor, camouflés derrière un vase ou un meuble ; les acteurs ou actrices étaient obligé.es de se positionner à des emplacements marqués sur le sol. S’il y avait de la musique, elle était jouée simultanément par l’orchestre du studio. Heureusement, ces aléas ont très vite été surmontés par de nouvelles inventions ou technologies, comme le micro placé sur une perche (une idée d’un pêcheur !). (ASDS)


DU CÔTÉ
DES ARTISTES

Par « artistes », il faut entendre tant cinéastes, scénaristes qu’actrices et acteurs. Les films proposés dans cette catégorie retranscrivent, entre autres histoires rocambolesques, l’ascension et le déclin de carrières aussi glorieuses que fugaces. Est également de rigueur une hiérarchie entre des professions qui, si elles ne jouissent pas d’une considération à la hauteur de leur apport créatif, apparaîssent dans toute leur complémentarité, par-delà les jeux de pouvoir.

William A. Wellman : Une étoile est née (1937)

Une étoile est née, c’est l’histoire du rêve américain, de la jeune inconnue qui devient une grande star. Esther Blodgett part à Hollywood, rêvant d’une carrière d’actrice, mais elle doit très vite déchanter. Elle prend alors un boulot de serveuse et, par chance, peut travailler lors d’une soirée où toutes les célébrités du moment sont présentes. La suite est connue : elle est remarquée par l’acteur Norman Maine qui la prend sous son aile et devient par la suite son mari. Elle fait carrière, mais sa vie est assombrie par l’alcoolisme de son époux. William A. Wellman signe ici un film de facture très classique, où tout semble aller de soi. Même si le sujet de l’alcoolisme rend le film assez sombre, il montre une image assez positive du fonctionnement des studios des années 1930, sans la moindre once de harcèlement sexuel, alors qu’il est bien connu que le monde du cinéma d’Hollywood était riche en péripéties. Les règles strictes du Code Hays n’auraient pas autorisé de tels débordements. (ASDS)

Federico Fellini : Huit et demi (1963)

Le réalisateur Guido Anselmi est sous pression, le tournage de son prochain film doit démarrer sous peu, mais il a un problème : il ne sait plus ce qu’il voulait raconter, ni pourquoi. Réfugié dans une station thermale pour se reposer et réfléchir, il est continuellement assailli par les membres de la production qui logent dans le même hôtel. Acteurs, actrices, techniciens, assistants, se succèdent pour lui demander conseil. À ces tracas professionnels s’ajoute une vie sentimentale difficile, partagée entre sa femme et sa maitresse. Perdant pied, il se réfugie dans un monde onirique où se mêlent souvenirs, rêves et bribes de films. Il enchaîne les rencontres insolites et les conversations imaginaires avec les fantômes de son passé et les héroïnes de ses hallucinations. Dans cette époustouflante mise en scène d’une crise existentielle, qu’on devine être celle de Fellini lui-même, une centaine de personnages se pressent dans une farandole où l’avenir du tournage et surtout celui de Guido est de plus en plus incertain. (BD)

Joel & Ethan Coen : Barton Fink (1991)

Vainqueur d’une Palme d’or à Cannes en 1991, Barton Fink apparaît comme le film autoréférentiel par excellence. Mais loin de dépeindre consensuellement le faste d’Hollywood sous les oripeaux qu’on lui connaît, Joel et Ethan Coen optent pour une esthétique poisseuse et vermoulue, à l’image du papier peint de l’hôtel miteux avec lequel le protagoniste, qui donne son nom à la réalisation, jure par son raffinement de dramaturge new-yorkais. Ce jeu de contrastes dans la facture des costumes et des décors est mis au service du propos. Ce sont en effet les conditions de travail des auteur.trices de cinéma qui sont ici quelque peu caricaturées. Ne nous parviennent alors que les tourments psychiques d’une profession solitaire et largement déconsidérée par un milieu assujetti à l’argent et aux attentes supposément stupides d’un public écervelé. (SD)

Spike Jonze : Adaptation. (2002)

D’une mise en abyme à l’autre, Adaptation. réécrit la trajectoire du scénariste Charlie Kaufman, eu égard à son incapacité à porter à l’écran une enquête journalistique commise par l’autrice Susan Orlean : Le Voleur d’orchidées. Un ouvrage basé sur l’histoire vraie de l’horticulteur John Laroche, alors accompagné d’un groupe d’Américains natifs séminoles, arrêté pour le braconnage d’une orchidée rare au sein d’une réserve naturelle protégée de l’Etat de Floride. Résigné quant à son impuissance à muer le livre en film, Charlie Kaufman s'associe à nouveau au réalisateur Spike Jonze, avec lequel il a récemment travaillé sur Dans la peau de John Malkovich, afin d’accoucher d’une œuvre avant tout pensée comme une réflexion de soi. Par-delà l’évident double sens que recèle son titre au regard du terrain botanique sur lequel il s’aventure, la substance narrative dont s’inspire Adaptation n’est jamais plus qu’un prétexte pour questionner la pratique du métier d’auteur.e. (SD)

Justine Triet : Sibyl (2019)

Immortalisée par le chef-d’œuvre de Rossellini, l’ile de Stromboli où se déroule la seconde moitié du film concentre en une image ce que le cinéma a de plus désirable et de plus dévorant. A défaut de laisser le mythe intact, le tableau offre matière à une tragi-comédie. A travers son personnage de psychanalyste-romancière interprété par Virginie Efira, Justine Triet met en abîme un monde dominé par les affects tristes où champ et hors-champ ne cessent de se contredire. Interrogé dans son rapport avec la vie, le travail de création apparaît aussi fascinant que toxique. C’est un fait que les manipulations, mensonges et luttes pour le pouvoir qui naissent sur un plateau ne compromettent pas nécessairement le succès d’une œuvre. Néanmoins, ces dérives ordinaires font du cinéma un lieu à part, faussement accessible, caractérisé par un entre-soi volcanique. (CDP)

Quentin Tarantino : Once Upon a Time in Hollywood (2019)

Parangon du cinéma autoréférentiel, Once Upon A Time in Hollywood verse pourtant moins dans la veine parodique que l’ensemble de l’œuvre de Quentin Tarantino. Usant de l’uchronie comme procédé narratif, et considérant les circonstances tragiques dans lesquelles l’actrice Sharon Tate et son enfant à naître trouvèrent la mort le 9 août 1969, le cinéaste réputé pour la surenchère propose ainsi une œuvre empreinte d’une sensibilité à laquelle il n’avait pas habitué son audience. En dehors de son climax à l’occasion duquel l’appétence de Quentin Tarantino pour l’hémoglobine et la caricature se manifeste presque malgré elle, le film propose, pour une large part, des personnages authentiques et nuancés dont les motivations nous apparaissent légitimes. Et pour cause, dans un univers Hollywoodien où, hier encore portés aux nues, les tenants du star-system se voient soudainement déclassés, les masques tombent et ne subsiste ainsi plus que le dépouillement d’une commune humanité. (SD)


LE CINÉMA, UNE INDUSTRIE...

Autour de celles et ceux qui convertissent les flux financiers en objets d’art tournent les tenants de l’industrie : productrices et producteurs, agent.es d’actrices et d’acteurs, ainsi que cadres de majors. Souvent dépeint.es par le cinéma comme des parasites – sinon des individus franchement nuisibles – desquels on ne peut pourtant se passer, iels font la pluie et le beau temps de l’écosystème du cinéma, sans rechigner à endosser le mauvais rôle une fois porté.es à l’écran.

Vincente Minnelli : Les Ensorcelés (1952)

De la part d’Hollywood, il y a quelque chose de savoureux et de machiavélique dans le fait de soumettre au jugement une de ses éminentes figures, fût-elle fictive. Savoureux car le résultat est un chef-d’œuvre dont le style novateur fut récompensé par cinq Oscars. Machiavélique car le « méchant » de l’histoire, producteur visionnaire, n’est pas sans rappeler quelques personnalités-clé de l’âge d’or des studios. Si la construction en flash-back expose les raisons de sa disgrâce, le charisme de cet homme déborde des propos de ses accusateurs. Ils sont trois : un réalisateur, une actrice et un écrivain. Motivé par la trahison et la conscience de s’être laissés manipuler, le ressentiment dont iels font état met à jour la duplicité d’une industrie dont la splendeur repose sur l’exploitation de sa main d’œuvre. Ce faisant, Minnelli plante les germes d’une critique du cinéma en tant que produit du capitalisme. (CDP)

Jean-Luc Godard : Le Mépris (1963)

En adaptant le troublant roman d’Alberto Moravia, Jean-Luc Godard saisit l’occasion de réaliser un film dans un film. Le producteur américain Jeremy Prokosch invite à Capri le scénariste français Paul Javal, et son épouse Camille, dans la villa Malaparte, pour réviser le film qu’est en train d’y tourner le réalisateur Fritz Lang. Son adaptation de l’Odyssée est au point mort et des désaccords profonds apparaissent entre la vision du cinéaste et celle du producteur. Camille, pendant ce temps, se sent délaissée par son mari et le soupçonne de la jeter dans les bras de l’américain, par lâcheté, faiblesse, voire arrivisme. Les malentendus et les maladresses s’accumulent et la colère laisse progressivement la place au mépris du titre. Associant le minimalisme des prises de vue à un technicolor resplendissant, Godard et son cadreur Raoul Coutard tirent parti du décor, de la villa et de la Méditerranée, et des touches de couleurs primaires dont ils parsèment les plans. (BD)

Robert Altman : The Player (1992)

Réputé pour des convictions personnelles qui l’ont régulièrement opposé à Hollywood, Robert Altman signe, avec The Player, une satire aboutie de l’industrie cinématographique étatsunienne. Le film est introduit par un plan-séquence de plus de huit minutes par lequel le cinéaste, immergeant le spectateur dans la réalité d’un studio de cinéma, sème d’ores et déjà la plupart de ses éléments constitutifs. Depuis un échange entre deux silhouettes qui fustigent l’emploi intempestif du cut dans les productions contemporaines – créant par-là une imbrication entre fond et forme –, à un plan rapproché sur une lettre de menace que recevra bientôt Griffin Mill, le personnage principal, en passant par l’évocation du licenciement de ce dernier par des cadres du studio, ce parti pris aussi bien technique qu’esthétique donne le ton du film en une seule prise de vue. A l’image de la scène d’amorce de La Soif du mal, chef-d'œuvre d’Orson Welles auquel Robert Altman rend ici un hommage aussi appuyé qu’explicite. (SD)

Fanny Herrero : Dix pour cent (2015-2020)

Dix pour cent, c’est traditionnellement le montant de la commission prise par les agents sur le cachet d’un acteur ou d’une actrice. C’est le monde de ces intermédiaires et les relations avec leurs clients que raconte cette série. Célébrités installées ou en devenir viennent consulter la prestigieuse agence artistique ASK pour décider de leur prochain engagement, décrocher un casting ou obtenir la lecture d’un scénario. Chaque épisode de la série est un prétexte pour inviter une vedette, une vraie, qui joue son propre rôle, souvent avec un certain décalage, forçant le trait sur leur réputation, leur caractère, leurs manies. Leur jeu alterne avec les petites et grandes histoires de l’agence. Le succès de dix pour cent a révélé de nombreux comédiens et comédiennes, comme Camille Cottin ou Laure Calamy, et a lancé une vague de déclinaisons internationales avec des adaptations espagnoles, allemandes, québécoise ou encore turques. (BD)

David Simon : The Deuce (2017-2019)

1970. Time Square et la 42ème avenue. Une bacchanale, aussi rouge et flamboyante que peuplée d’une foule bigarrée. Dans ce quartier, se croisent mafia, souteneurs, prostituées, tenanciers de bars ou de salons de massage. Au-delà de la reconstitution parfaite d’une époque, The Deuce dresse le portrait d’une galerie de personnage dont l’essor économique dépend d’un capitalisme informel et hors taxes, celui de la monétisation des corps. Un capitalisme qui, peu à peu, voit dans la pornographie une nouvelle manière de quitter le trottoir et ses affres, d’accéder à un peu de notoriété et pourquoi pas, retrouver un peu de dignité. Mais, là aussi, ce n’est qu’une aliénation de plus, un autre proxénétisme. A travers cette chronique franche, le showrunner David Simon, épaulé par le jeu de Maggie Gyllenhaal et James Franco, raconte la naissance presque fortuite d’un cinéma X qui n’élude ni la domination masculine ni les clichés racistes et interraciaux. D’une grande virtuosité feuilletonesque, c’est tout un pan du cinéma qui se raconte avec ses contraintes sociales et économiques. Un chef-d’œuvre qui, ô bonheur, fait l’économie de tout discours didactique. (JJG)


Une médiagraphie réalisée par Benoit Deuxant, Catherine De Poortere, Anne-Sophie De Sutter, Jean-Jacques Goffinon,Yannick Hustache et Simon Delwart à l'initiative de la Bibliothèque d'Evere.


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