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Focus

Un Théâtre participatif et intimiste ? Gurshad Shaheman a relevé le défi !

Silent-Disco-1-light©-Alice-Piemme.jpg
« Faire culture en commun » ? Créer une œuvre originale, participative et citoyenne, aux expressions libres et intimes sans aucunement dénoter d’un travail théâtral d’envergure, est-ce vraiment possible ? Avec Silent Disco, Gurshad Shaheman l’a fait. Le respect et l’élégance comme premiers atouts.

Silent disco, définition et constructions

Apparu en Hollande en 2002, le « Silent disco » est un nouveau concept de clubbing, sans tapage nocturne, où chaque noceur est équipé d’un casque sans fil dans lequel lui est diffusé la musique du DJ. Un concept dans l’air du temps puisqu’il permet de morceler encore plus nos liens sociaux dans des lieux normalement propices à la convivialité et la rencontre.

C’est sur ce canevas plutôt étriqué et symbolique que Gurshad Shaheman décide de construire la dramaturgie de cette œuvre participative avec une seule question : comment raconter le monde, aujourd’hui ? S’étant toujours servi de son vécu intime et de celui des autres comme plasticine matricielle de son écriture théâtrale, c’est en collaboration avec neuf jeunes non-professionnels, de 17 à 26 ans, qu’il se met au travail.

Par le biais d’ateliers d’écriture et de jeu, il leur demande la mise à nu : raconter leurs vies, mettre en perspective, sans pudeur, les moments graves, les tendresses, les incompréhensions et les failles. L’écriture devient précise et communautaire. S’ensuit un travail de sculpture : des témoignages subulés qui, juxtaposés judicieusement, forment le tableau réaliste d’une génération en ruptures, involontaires ou pas : identité, relations parentales, rapports sociaux, incompréhensions générationnelles, désirs d’ailleurs.

La poésie du réel

La mise en scène, faite de blocs sur lesquels chaque personnage danse individuellement en silence, le casque sur les oreilles, mélange d’entrée l’étrangeté à la poésie. L’envie de se livrer devient pressante. Palpable. Les casques tombent un à un. Ce silence autistique s’interrompt de confessions en confessions. L’une raconte sa relation avec son père, tendre mais emplie d’incompréhensions profondes. L’autre doit annoncer sa sexualité pour finir par prendre ses valises. Une troisième raconte la rupture avec sa mère. Un quatrième répète : « Pour être heureux, il me faut juste moi ». Ainsi de suite, ces jeunes, l’adolescence dans le dos, mais pas encore tout à fait adultes, donnent à penser : qu’est-ce que le monde est devenu ? Dans cette réalité, il n’est plus simple d’avoir 20 ans…

Jamais, dans le spectacle, Gurshad n’oblige à des conclusions préfabriquées. Avec élégance, il tire des fils, ajuste des questions sous-jacentes en laissant au public la liberté entière d’interprétation. On sent dans son travail le respect inconditionnel des mots et des parcours. Tout comme l’artisan luthier, il accorde avec passion son Stradivarius scénique criant de vérité. L’intimité installée est envoutante, privilégiée, et l’œuvre, une élégie du vivant.

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Portrait de Gurshad Shaheman, par Jeremy Meysen

Bien peu d’artistes aujourd’hui peuvent s’enorgueillir d’avoir réussi à construire une œuvre citoyenne avec autant d’originalité et de justesse. Ce théâtre de témoignages polyphoniques n’est pas sans rappeler la construction fellinienne d’Amarcord, un scénario choral qui dresse la réalité d’une époque par le croisement des récits et des points de vue. Il est vrai qu’il serait tentant de comparer, ici, le talent du metteur en scène à celui du maître du néoréalisme italien mais, sans aller jusque là, Gurshad Shaheman est, sans aucun doute et à plusieurs titres, l’un des talents les plus intéressants du théâtre contemporain. Silent Disco ouvert, cette fois, aux seuls professionnels, sera à voir, sans masque ni fard, en mai 2022. D’ici là, patience !

(Pour ceux qui n'auraient pas la patience d'attendre, Silent Disco sera en streaming sur Auvio à partir du 28 mai... mais, en vrai c'est toujours mieux !)

Jean-Jacques Goffinon

Théâtre des Tanneurs : https://www.lestanneurs.be/

Crédit photo : Alice Piemme

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