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Focus

Retour sur shoegaze

shoegaze, Shoegaze

publié le

Un moment rock pluriel (fin des années 80) qui brouille les pistes généalogiques dans les guitares et le mur du son. Un instant d’intensité extrême qui fait toujours question. Et inspire des renouveaux divers…

Sommaire

Le terme, l’origine polymorphe

S’il n’existe qu’un vague consensus mou, tant sur la définition, l’origine et la typologie musicale du mouvement shoegaze que sur les groupes qui peuvent y être associés et ceux qui s’en revendiquent les légitimes héritiers, le mot revient avec une telle régularité parfois porté par les vents tournants de la hype, qu’une tentative d’éclaircissement s’imposait !

sgEt à rebours, il est même amusant de remarquer que l'acte de naissance du shoegazing (régulièrement raccourci en shoegaze et usité à parts égales) à la fin des années 1980, début 1990, peut être assimilé au constat d'un instantané d'une scène émergente sur un mode dépité, voire méprisant, rapidement assorti d'un faire-part de décès qui revenait à dire ceci : « vite autre chose ! ». La toute puissante presse rock anglaise de l'époque (N.M.E, Melody Maker…) ne sait que penser de ces jeunes gens (les filles y ont une quote-part présence plus significative que de coutume), au (non) look informe, qui tirent les limites du décibel traité au larsen par la queue et qui font le choix du groupe sur l'individu - se préservant au passage des accès de fièvre égotiste et du diktat de l'image à tout prix comme de toute inclinaison au « glam » - et leur accole un néologisme peu flatteur qui va les habiller comme une seconde peau. Né de l'adossement du mot « shoe » (chaussure) au verbe « (to) gaze » (fixer ou action de fixer quand on y ajoute « ing »), le shoegazing ou shoegaze désigne(rait) cette façon qu'ont les Ride, Lush, Telescopes, Swervedriver, Pale Saints, Chapterhouse, Moose, Slowdive et autres Boo Radleys (...) de jouer recroquevillés sur eux-mêmes, comme indifférents au monde qui les entoure, au centre d'un maelström sonore assourdissant. La mélodie est toujours présente, mais noyée sous les distorsions (fuzz) et les effets de guitares - arsenal de pédales à l'appui - qui remplissent l'espace dans une perspective 3D, empilant les couches les unes sur les autres et en raffermissant leur échafaudage saturé d'une foule de boucles de rétroaction et de nappes stridentes. Par contraste, les voix, le plus souvent ramenées à leur seule condition instrumentale demeurent angéliques et mélancoliques, quand elles ne se dissolvent pas tout simplement dans l'éthéré ou tâtonnent les frontières floues du diptyque féminin-masculin. C'est un rock qui n'affirme rien, pas plus qu’il ne véhicule de sens caché, ne prétend qu’à être et n’offre pour seul spectacle que la moue renfrognée de quelques ados, à peine post-pubères pour certains d’entre eux, cramponnés à leurs instruments et dépendances (collections de pédales d’effets) dans un détachement à peine forcé. Pour une presse musicale déjà en crise (plusieurs hebdos vont bientôt déposer le bilan) qui se repaît des frasques chics et fracas chocs d’apprentis stars (ou déjà déchues) du rock et en épie le moindre épiphénomène pour souscrire à son impérieux besoin de nouveauté, le shoegaze s’avère un bien mauvais cheval à jouer. D’autant qu’il n’a ni héraut temporaire (sauf peut-être Mark Gardener de Ride) et encore moins de scies radiophoniques pour imprégner rétines et oreilles. Heureusement, le grunge US et ses gueules de ploucs magnifiques aussi blasées que désespérées, et leurs bien involontaires rivaux britanniques fièrement emmaillotés dans l’Union Jack et le souvenir d’un passé 60’s musical révolu sous la triste appellation « britpop », pointent déjà leur nez.

 

 

Figures tutélaires, composantes historiques, sommet et générations

sp3Si historiquement, le shoegaze peut être compris comme une réponse anglaise à la vague américaine des Dinosaur Jr et autres Sonic Youth de la fin des années 1980 et à ses tempétueuses mélodies généreusement encrassées de bruit blanc (« du S.Y. croisé de tout ce qu’on connaissait », Gardener à Libération en 1990), il ne manque pas, dans ses rameaux porteurs, de figures tutélaires indigènes, loin de là. En 1985 déjà, les Écossais de The Jesus & Mary Chain livraient, dos au public, leurs mélodies archétypales viciées de larsens et inspirées du Velvet Underground, compensant leur menue technicité par une panoplie d’effets sonores entendus deux ans plus tôt sur les premiers Cocteau Twins. Plus ténue est l’influence de la génération spontanée regroupée sous le sigle C86 (nom d’une cassette audio publiée par le N.M.E) avec comme figure de proue les Pastels, qui a dû, par son amateurisme décomplexé, libérer bien des énergies. Enfin, difficile d’occulter que les longues spirales d’accords psychédéliques aux doux relents narcotiques des Spacemen 3 et Loop n’aient pas joué un rôle (sur)déterminant dans la maturation autistique d’une portée générationnelle qui est après tout celle de l’après « madchester » et ses gueules de bois des lendemains d’Extasy. Si le shoegaze pouvait se résumer à un sentiment, il serait celui du désenchantement que connaît celui qui, expulsé brutalement du paradis chimique, se réveille désemparé dans l’implacable et froide indifférence du monde.

En filigrane, il y a le malentendu My Bloody Valentine qui trouve dans le bref embrasement shoegaze les ressources nécessaires à une impensable maturation (le groupe existe depuis des années). Auteurs de deux albums essentiels, le mésestimé Isn’t Anything (1988) et le mythique Loveless (qui les mettra au tapis en 1991), les Irlandais campent sur cette position singulière qu’ils ont à la fois donné le top départ et sifflé la fin de la partie d’une effervescence avec laquelle ils ne peuvent être confondus.

 

 

Descendances composites, le shoegaze revendiqué et transformé

Une distance que prend aussi bon nombre de shoegazing kids qui changeront radicalement de propos à leur second disque (la plupart) ou décident d’en rester là (Chapterhouse…).

Mais à peine enterrés, les halos de grésil sonique du shoegaze gagnent les profondeurs de l’inconscient collectif musical et remontent en catimini au mitan des ‘90s via les guitares expansives du post-rock de Mogwai et consort; infiltrent l’electro (Third Eye Foundation puis Matt Elliott); font l’unanimité auprès des enfants de la new wave du label electronica teuton Morr Music qui commettra, en 1995, un bel album de reprises (Blue Skied an’Clear) entouré de tous ses poulains; et se trouvent des affinités sur les terres plombées du metal avec, en chef de proue, les Américains de Jesu (nouveau jouet d’un ex-Godflesh). Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique, par ses incrustations insistantes sur des disques aussi variés que ceux de Lift To Experience (2001), Amusement Parks On Fire (GB, 2004), Besnard Lakes (2006), Deerhunter (2008), Lotus Plaza (2008), The Big Pink (2009) et comme leitmotiv de reconnaissance d’un label hype (Slumberland, maison mère des Crystal Stilts, The Pains of Being Pure at Heart…) que la prégnance tardive et littéralement métamorphique du shoegaze semble la plus manifeste.

Quelques exemples

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Une constante qui dépasse d’emblée la question superflue du simple revival. Sur Logos, seconde plaque du spectral leader de Deerhunter, Bradford Cox (qui souffre du syndrome de Marfan), sous la bannière Atlas Sound, les brouillards de notes en suspension ne sont que l’un des ingrédients d’une pop psychédélique et nuageuse faite maison, qui sublime dans son invraisemblable quête de beauté malade des climats naturellement diffractés qui tanguent sans cesse entre mirage post-anxiolytique (Cox subit en permanence le contrecoup d’une médication chimique légalement prescrite !) et hébétude amoureuse tendrement dépitée (entêtante « Sheila »). Des armatures rythmiques bricolées et plantées dans un rhizome de nappes synthétiques qui portent encore la trace des premières amours musicales de Cox (Beatles, Beach Boys) complètent cet assemblage qui donne chair, consistance et profondeur à ce corps (flétri) de lumière (voir pochette) hanté par sa propre dissolution.

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À l’opposé, le deuxième album (pour l’Europe) des New-Yorkais d’adoption de A Place To Bury Strangers suinte d’une frustration quasi pathogène qui ne trouve d’exutoire que dans l’édification d’un rock crasseux et frustre qui porte en lui l’écho du bruit de fond des jungles urbaines (« Deadbeat » paie son tribut à Sonic Youth et The Liars) qui ne s’interrompt jamais et l’urgence nécessaire pour s’y mouvoir. À la fois plus américain et industriel dans ses soubassements (le rythme d’« Ego Death » est pompé sur le « Rocket USA » de Suicide), Exploding Head ouvre grand la porte à ses influences britanniques toutes circonscrites entre 1978 et (?)1990 (les incunables Joy Division, Cure et Jesus & Mary Chain). La purée de pois shoegaze dopée à l’énergie sans calcul du nouveau monde du précédent (éponyme) cède la place à un magma noisy glacial, mais qui rappelle au passage que les albums de Swervedriver et leurs mélodies goudronneuses valaient bien autre chose que le dédain dont elles firent alors généreusement les frais !

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A priori, le second Blank Dogs (Under And Under) n’est pas plus à sa place sur le label qui le publie (In The Red, LaMecque du garage) que replacé dans la filiation historique des contemplateurs de chaussures. Mais si le disque empile les références new wave comme on se prépare à un quiz sur un thème connu, il donne à entendre de manière très étonnante (l’effet du décalage temporel ?) une idée de la subtile géographie des chemins et sentiers détournés du rock qui débouchèrent à un moment sur la terra incognita (?) shoegaze. Une cartographie aux allures de radioscopie tant les « Slowing Down », « The New Things » et autres « Nothing UGC » ressemblent à des chansons de l’époque 89-93, passées aux rayons X, presque entièrement débarrassées de leur gangue dissonante.

 

Tous shoegazing kids dès lors ?

Yannick Hustache

 

 

 

 

Loop, un groupe prophète

Forgé quelque part dans la mouvance shoegaze
Adepte des tangentes et divergences radicales
Réédition de poids

 

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Drôle de destin parfois que d’être reconnu ainsi à titre quasiment posthume. Si la critique aujourd’hui reconnaît à Loop un statut de précurseur, de groupe fondateur, tous s’accordent pour dire que leurs souvenirs de cette époque sont au mieux flous et imprécis et que sans doute on était alors passé à côté de quelque chose. Durant ses cinq petites années d’existence, entre 1985 et 1990, Loop était une curiosité; trop brut pour les uns, trop répétitif pour les autres, le groupe n’a jamais reçu qu’un accueil poli et une réputation de second derrière ses collègues shoegaze, Jesus & Mary Chain, Spacemen3, Slowdive et autres. Là où ceux-ci se débrouillaient à travers le brouillard de leur réverb’ et de leur fuzzbox pour quand même au final écrire une chanson et y inclure une progression vers un refrain un peu épique, vers une certaine apothéose, Loop faisait figure de spartiate, sévère, rigoriste et incapable d’écrire une mélodie accrocheuse. L’aridité des compositions, les rythmes monomaniaques et les drones obsessionnels le tenaient, à l’exception d’un noyau de fans, à l’écart du courant. La base de la musique était pourtant la même, en apparence, un son de guitare saturé, tout en vibrato, hérité des années soixante, joué très fort sur une rythmique simplifiée, avec des allusions de bon ton au Krautrock et au post-punk de la génération précédente. La différence tenait sans doute dans l’atmosphère recherchée par ces différents groupes, les uns rêvant d’espace, pourchassant l’emphase. Rien de tout ça chez Loop qui au contraire semblait faire du surplace, s’enfoncer dans des climats quasi oppressants, chercher la pesanteur à tout prix et maintenir un profil ascétique presque douloureux. Le mur du son est chez eux totalement immobile, pétrifié, écrasé par la gravité. Le caractère inexorable, implacable de leurs boucles répétitives, faisait passer la musique de leurs contemporains pour des arabesques baroques. La suite de leurs aventures confirmera ces tendances à la tangente lorsque le groupe quittera le bastion shoegaze en pleine « envolée » pour se lancer dans des projets de collaboration avec Godflesh, puis dans les carrières successives de John Wills et Neil Mackay, sous le nom de Hair & Skin Trading Company, ou celle de Robert Hampson sous le nom de Main. Les choses sont bien sûr souvent plus claires a posteriori, et on sait à présent que la musique a évolué dans leur sens, via la vague ambient qui allait suivre, jusqu’aux drones brumeux d’un Sunn O))) aujourd’hui.

Et si l’époque actuelle semble lorgner, par-dessus son épaule, sur cette période à la charnière des années nonante et en remettre les acteurs au goût du jour, il faudra cette fois penser à inclure Loop parmi les prophètes. C’est donc avec un timing parfait - quoiqu’involontaire - que débarque ce projet de réédition, retraçant l’œuvre du groupe avec une exhaustivité scrupuleuse. Le présent album reprend une compilation sortie pour la première fois en 1987 et qui est ici élargie pour remplir trois CD avec des pièces rares du groupe, leurs singles, leurs maxis, quelques morceaux épars sortis isolément sur des compilations et quelques remixes signé par Daniel Miller, le patron de Mute. La volonté de Robert Hampson est claire, revenir une dernière fois sur cette période, pour ne plus jamais avoir à y revenir par la suite. Il faut en profiter maintenant.

Benoit Deuxant

 

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