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Focus

Ramen | une histoire des nouilles japonaises à travers trois films

Hakata tonkotsu, ramen de Hakata (Kyushu) – Anne-Sophie De Sutter
Plat japonais simple et nourrissant, les soupes ramen ont inspiré les cinéastes : Jūzō Itami a marqué les esprits en 1985 avec Tampopo ; Eric Khoo montre dans La Saveur des ramen les liens entre nouilles japonaises et chinoises, tout en contant une histoire familiale de réconciliation ; le documentaire Ramen Heads part à la recherche des meilleures soupes du Japon, suivant Osamu Tomita, désigné plusieurs années successives comme le meilleur chef de ramen du pays.

Sommaire

« - Maître, d’abord la soupe ? Ou d’abord les nouilles ? – D’abord tu examines le tout. – Oui. – Avec soin, tu observes le bol et apprécies les condiments, les perles de graisse étincelant à la surface, la brillance des pousses de bambou, les algues qui sombrent peu à peu, les oignons flottant fièrement… et surtout, vedettes incontestables, mais modestes : les trois tranches de porc rôti… » — Tampopo

Les origines chinoises des ramen

La soupe ramen est un plat composé de bouillon, d’un tare (une base aromatique qui apporte l’umami, et qui peut varier : miso, sauce soja…), de nouilles et d’une garniture, souvent des tranches de porc grillées à la chinoise chashu, mais également du negi, un genre d’oignon de printemps, quelques légumes et condiments, et très souvent un œuf mollet mariné dans de la sauce soja.

À partir de 1635, le Japon a fermé ses frontières et est resté fermé aux influences étrangères, à part à Nagasaki, sur l’île de Kyūshū . Cette porte entrouverte a permis l’arrivée de certaines innovations venant du monde extérieur : les missionnaires portugais ont introduit le tempura et le christianisme, les Coréens ont apporté leur riche culture de la céramique, et les Chinois ont amené leurs soupes de nouilles, notamment le champon, qui est toujours aujourd’hui une spécialité de Nagasaki, composée de porc, crustacés et nouilles aux œufs et qui est parfois considéré comme précurseur des ramen.

En 1868 débute l’ère Meiji et l’ouverture du pays. Au tournant du 20e siècle, des marchands ambulants commencent à vendre des bols de nouilles dans les villes portuaires de Yokohama, Hakodate et Nagasaki. Ces nouilles sont différentes, dérivées des lamian venues de Chine, à base de farine de blé, et les bouillons sont à base de poisson ou de viande, contrairement aux subtils dashi traditionnels agrémentés de larges nouilles udon ou de fines nouilles soba au sarrasin.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon en ruines est forcé d’accepter l’aide alimentaire américaine et la voie est ouverte à l’importation de grandes quantités de blé. Les nouilles ramen deviennent immensément populaires : elles sont nourrissantes et peu chères. Mouvement qui s’accélère encore quand, en 1958, Momofuku Andō, un Japonais né à Taïwan, invente les nouilles instantanées, vendues dans un paquet. Il faudra cependant attendre les années 1980 pour que des chefs s’y intéressent et appliquent certains principes de la gastronomie japonaise aux humbles bols de nouilles. Comme son histoire sur le sol nippon est plutôt courte, ce plat se prête bien à l’innovation et à l’interprétation. Depuis le milieu des années 2000, les ramen ont entamé leur conquête du monde entier et on trouve aujourd’hui des soupes de ce style dans toutes les grandes villes du monde.

Dans La Saveur des ramen, le jeune Masato part à Singapour après le décès de son père avec qui il tenait un restaurant de ramen. Il souhaite découvrir les secrets culinaires de sa mère, d’origine chinoise, décédée quand il était jeune et parcourt la ville, guidé par une blogueuse culinaire locale. Il fait par la même occasion connaissance avec sa grand-mère qui avait renié sa fille. Elle n’avait pas accepté que celle-ci épouse un Japonais, peuple qui représentait pour elle l’ennemi depuis de la Seconde Guerre mondiale.

La Saveur des ramen est une interprétation de ce retour aux sources chinoises des ramen : Masato apprend la recette du bak kut teh, une soupe de nouilles à base de travers de porc, typique de Malaisie et de Singapour et qui trouve ses origines dans les communautés hokkien (les Chinois du Fujian et du Guangdong au Sud-Est de la Chine). Le nom signifie « viande – os – thé » et fait référence au bouillon épicé et au thé oolong qui accompagne le plat. Contrairement aux bouillons japonais, il y a une multitude d’épices : anis étoilé, cannelle, clous de girofle, graines de fenouil... Masato mélangera cette tradition à sa recette de ramen, créant un hybride aux arômes sino-japonais.

De l’importance du bouillon

« Notre philosophie du goût : un bouillon riche mais clair, copieux et corsé. Uniquement porc rôti, pousses de bambou et oignons. » — Goro dans Tampopo

Chacun des films s’attarde sur le bouillon ; il est en effet primordial pour un bon bol de nouilles. Il permet de relier les textures et goûts différents qui composent la soupe. Il demande une sélection particulière d’ingrédients mais surtout du temps (un minimum de 24 heures), et c’est le bouillon qui distingue chaque chef. Une scène est récurrente dans les trois films : la plongée d’une volaille entière dans une immense marmite. Mais ce n’est qu’un ingrédient parmi d’autres et il est compliqué d’obtenir le juste équilibre résultant dans un bouillon savoureux, plus ou moins gras, plus ou moins opaque selon le style de ramen.

Dans Tampopo, la cuisinière (nommée Tampopo, ce qui veut dire « pissenlit ») peine au début du film à réaliser un plat mangeable : son bouillon n’a pas de goût, ses nouilles sont cuites dans une eau tiède, la garniture est quelconque... Prise sous l’aile d’un chauffeur de camion, Goro, au look de cow-boy (Tampopo est un genre de western spaghetti, d’ailleurs qualifié de « premier western ramen » dans l’accroche du film), Tampopo va apprendre à cuisiner grâce aux conseils de personnes aussi diverses que la petite frappe du coin (qui est aussi entrepreneur en bâtiment), le chauffeur (qui est aussi un spécialiste des nouilles) d’un riche vieillard que Tampopo et Goro sauvent de l’étouffement, un sans-abri (qui connaît les secrets des chefs). Tous donneront des conseils judicieux et aideront Tampopo à créer le meilleur bouillon de la région.

« Un coup d’œil à la marmite révèle un liquide qui ressemble à une potion de sorcières dans les livres pour enfants. » — Ramen Heads

La recherche du meilleur bouillon tourne à l’obsession dans Ramen Heads, documentaire japonais réalisé par Koki Shigeno en 2017. Le chef Osamu Tomita nous emmène dans sa cuisine envahie d’immenses marmites, où il prépare ses bouillons. La soupe qu’il sert à ses clients est un mélange de plusieurs de ces décoctions qui ont frémi et bouilli pendant trois jours sur le feu. Il explique qu’il recherche les meilleurs ingrédients, des têtes de porc aux sardines séchées de tailles diverses venant de diverses régions du pays (sardines hirako de Kumamoto, anchois de Kujūkuri, petites sardines iriko de Setouchi, mais aussi de la poudre de maquereau). Son bouillon est riche, opaque, extrêmement aromatique. Le documentaire suit également d’autres chefs de la région de Tokyo et montre la diversité des recettes, allant du bouillon le plus léger à base de produits de la mer, dans une tradition de simplicité très japonaise, à des concoctions bien plus élaborées.

« Tout se résume à la concentration du bouillon. Pas nécessairement à sa viscosité mais plutôt à la densité du goût. Certains jours, il est plus léger ; d’autres, il est vraiment riche. Le truc est de les mélanger pour qu’ils acquièrent le bon équilibre chaque jour. » — Tomita Osamu dans Ramen Heads

De l’importance des nouilles

« Les nouilles sont le riz des ramen, elles doivent donc être parfaites. Si le riz est bon, il est possible de manger un délicieux repas composé juste de riz et de pickles, non ? Mais si votre riz est dur et sec, même si le plat principal est génial, le repas est gâché. » — Tomita Osamu dans Ramen Heads

Autre ingrédient primordial d’un bol de ramen : les nouilles. Elles doivent posséder la juste élasticité et la bonne longueur. Osamu Tomita les fabrique lui-même, à la main, utilisant des farines de blé qu’il change selon les saisons. Une scène le voit étirer une nouille presque à l’infini pour montrer sa résistance. Elles doivent également posséder une certaine alcalinité qui leur donne leur couleur jaunâtre mais leur permet également de résister à la chaleur du bouillon et de ne pas se décomposer. Elles sont cuites pendant un temps précis, calculé à la seconde près, puis rincées et refroidies pour capturer les saveurs, selon un procédé également utilisé pour les nouilles udon et soba.

« - Je veux que les gens prennent du plaisir à ingurgiter les nouilles. Qu’elles soient servies comme tsukemen (à côté de la soupe) ou comme des ramen dans une soupe, l’emphase doit être mise sur « l’aspiration bruyante ». – L’aspiration bruyante ? - Oui, c’est pour ça que nos nouilles sont en fait un peu plus longues que la moyenne. Si les nouilles sont trop courtes, elles sont avalées d’un coup. Nous voulons que les gens les aspirent avec tout le bruit et la puissance possibles. Et donc elles sont plus longues, épaisses et lisses. Elles sont comme un feu d’artifice de goût dans la bouche ! Elles produisent un claquement quand on les aspire. » — Tomita Osamu dans Ramen Heads

Aspirer les nouilles bruyamment, tout un art

Les soupes de nouilles, au Japon, ça se mange en faisant du bruit. Si le mangeur ne montre pas sa satisfaction en aspirant bruyamment les nouilles, le chef pensera que son plat n’est pas bon. C’est un exercice compliqué pour un Occidental à qui on a appris à manger sans émettre le moindre son. Une scène d’anthologie dans Tampopo illustre cela avec une belle dose d’humour : dans un restaurant chic, un groupe de jeunes filles de la bonne société apprend à manger des spaghettis à l’européenne, en tournant les pâtes autour d’une fourchette et en avalant le tout en une fois, silencieusement. À une autre table est assis un Occidental qui mange son spaghetti à la japonaise, en aspirant bruyamment les pâtes. Les jeunes filles prennent vite exemple sur lui, niant les conseils de bienséance de leur professeur.

Aspirer les nouilles est aussi une manière de manger relativement vite des pâtes trempant dans un bouillon brûlant. Cette action permet de les refroidir quelque peu et de savourer tous les sucs. Dans les bars du Japon, manger des ramen est souvent une activité solitaire, la tête penchée sur un bol au bouillon brûlant. Quinze minutes suffisent, le temps d’une pause avant de retourner au travail ou de prendre le train.

À la recherche des meilleurs ramen

« C’est un sentiment qui ressemble à la mémoire réconfortante et rayonnante d’un amant. Les ramen. Chuchoté avec anticipation, ou ravissement. Ils ravivent les émotions. Même si les sushis et les tempuras peuvent évoquer des sentiments similaires, ils sont trop raffinés, trop précieux. Ils exigent trop d’une personne. En comparaison, les ramen sont une histoire décontractée. Peu onéreux, immédiats et profondément gratifiants. On ne peut jamais s’en passer. » — Ramen Heads

Au Japon, le ramen a la cote aujourd’hui. Des concours ont vu le jour et de nombreux blogueurs s’intéressent au sujet. Certains, comme Toshiyuki Kamimura, mangent jusqu’à 400 bols par an. Sur son blog Junction 9 (en japonais uniquement), il décrit des centaines de bars à nouilles sur l’île de Kyushu (l’île du Sud), présentant des analyses détaillées à propos des bouillons, nouilles et garnitures. Ces blogueurs créent de nouvelles modes et déterminent les nouvelles stars du moment. C’est ce qui est arrivé à Osamu Tomita, la star de Ramen Heads – c’est d’ailleurs le nom donné à ces fans obsessionnels de ramen au Japon.

Le documentaire lève le voile sur certaines des meilleures soupes de la région de Tokyo, mais il existe plus de vingt-deux traditions fort différentes dans l’ensemble du pays. Pour le touriste ou le consommateur local, il n’est pas nécessaire d’aller physiquement de Kagoshima au sud à Sapporo au nord pour goûter les versions locales : de nombreux « food courts » ont créé des « ramen street » où il est possible de goûter les nouilles dans des bars situés côte à côte (je pense notamment à ceux de la gare de Kyoto). Mais il est évidemment très agréable de se retrouver dans un petit bar local, souvent au décor un peu désuet, pas toujours facile à trouver même en ayant une adresse et une carte, et d’y déguster les meilleures nouilles qu’on ait jamais mangées – jusqu’au bol suivant !

Ces trois films ont une approche différente de la question. La Saveur des ramen est une histoire familiale, parfois un peu trop sentimentale, sur un fond culinaire. Les diverses spécialités de Singapour sont tout autant mises en avant que la recherche d’une recette de soupe alliant traditions chinoises et japonaises. Tout le monde se souvient de Tampopo pour sa recherche du meilleur bouillon, mais le film est avant tout une comédie « eastern spaghetti » qui raconte diverses histoires parallèles, comme celle de ce yakusa en costume blanc adepte de « food porn » (dans son sens premier), ou comme ce jeune employé qui bluffe tous ses supérieurs en commandant sans souci dans un restaurant haut de gamme de cuisine occidentale, avec menu uniquement en français. Quant à Ramen Heads, ce documentaire utilise des procédés qui pourraient sembler parfois un peu excessifs à un public occidental, accumulant les ralentis sur une musique dramatique. Mais ce qui compte au final, est le degré de salivation occasionné par la vision de ces trois films et l’envie immédiate de manger un bol de ramen.


Les bandes-annonces:

Où trouver les trois films ?

Ramen Heads a été présenté lors de nombreux festivals dans le monde entier, notamment celui d’Amsterdam et est disponible sur certaines plateformes de streaming.


Deux suggestions de lecture (en anglais)

Matt Goulding, Rice, noodle, fish (Roads and Kingdoms / Hardie Grant Books)

Hugh Amano & Sarah Becan, Let’s make ramen ! A comic book cookbook (Ten Speed Press)


Texte : Anne-Sophie De Sutter

Crédits photos : images des films

Photos de bannière et carrousel : Anne-Sophie De Sutter (en creative commons, 2018 & 2019)

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