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Focus

Quand l'opéra du XIXème siècle parlait de la tuberculose

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publié le par Nathalie Ronvaux

L’opéra romantique, forme dramatique s’il en est, aime faire mourir ses héros et ses héroïnes. Mais si les morts violentes dominent largement, suivies de près par les suicides, les morts par maladie, bien moins spectaculaires, se comptent sur les doigts de la main. Nous nous sommes penchés sur les deux opéras qui ont le plus clairement abordé la tuberculose pulmonaire, cette maladie contagieuse qui nous semble – à tort ! – d’un autre temps.

Sommaire

Un peu d'histoire

La tuberculose pulmonaire est une maladie infectieuse causée par une bactérie de forme allongée : le bacille de Koch. Son existence pourrait dater de près de trois millions d'années. Elle est en tout cas attestée depuis le néolithique. On en a aussi trouvé traces sur des momies égyptiennes vieilles de 4500 ans. Hippocrate, Galien et Avicenne en ont décrit les symptômes. Jusqu'au XXème siècle, on la nomme phtisie, peste blanche, consomption et, dans le courant du XIXème, tuberculose. D'abord considérée comme contagieuse par les Anciens, les médecins du Siècle des Lumières la traitent comme une maladie incurable, freinant ainsi la thérapeutique. Saignées, fumigations, ingestion d'arsenic ou de lait de femmes, vomitifs ont été longtemps de bien inefficaces remèdes. Ce n'est qu'en 1882 que Robert Koch découvrit la bactérie. Le caractère contagieux est scientifiquement reconnu. Les premiers sanatoriums sont ouverts, avec ses cures au grand air, l'invention de la chaise longue et du crachoir de poche, ainsi qu'un type d'architecture pensé en fonction des besoins hygiénistes de ces lieux. La recherche d'un vaccin prendra un quart de siècle et ne sera pas entièrement fiable. Ce n'est qu'en 1944 que le premier antibiotique, la streptomycine, voit le jour.

Depuis une cinquantaine d'années, l'épidémie a reculé, principalement dans les pays industrialisés, mais frappe encore les pays les plus pauvres. Rien que pour l'année 2014, l'Organisation Mondiale de la Santé annonçait encore un million et demi de décès.

En son temps, l’Europe a été durement touchée, particulièrement entre la Révolution française et le milieu du XXème siècle. Dans la première moitié du XIXème siècle, on estime qu’une personne sur quatre était contaminée et la mortalité était importante. Il est donc naturel d'en retrouver la trace dans les arts, la littérature et l'opéra.

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Edvard Munch, L'Enfant malade- Musée National d'Oslo

Giuseppe Verdi - La Traviata

Créé en 1853, l’opéra de Verdi a été écrit sur un livret de Francesco Maria Piave, lui-même basé sur La Dame aux Camélias (1848) d’Alexandre Dumas fils.

La trame de l’intrigue est quasiment identique à celle du roman : Violetta, une courtisane qui aime la vie trépidante de la société mondaine est atteinte d’une « maladie de poitrine » - comprenons, de la tuberculose – et se sait condamnée. Lors d’une fête, elle rencontre Alfredo Germont qui lui avoue être tombé amoureux d’elle un an auparavant et lui fait une cour empressée. Après une première rebuffade, Violetta accepte de quitter sa vie frivole pour se donner tout entière à ce jeune homme de bonne famille qui l’a sincèrement conquise. Après quelques semaines d’un bonheur sans nuage, Giorgio Germont, le père d’Alfredo vient demander à Violetta de rompre avec son fils afin de sauver la prochaine union de sa fille avec un aristocrate. Son mariage serait en effet compromis si le futur époux apprenait la présence d'une ancienne courtisane dans le cercle familial. La mort dans l’âme, Violetta accepte de sacrifier son bonheur et promet de laisser croire à son amant que son amour pour lui s’est éteint. Elle retourne à sa vie de fête, subissant sans sourciller le mépris public qu'Alfredo lui infligera. Mais le remords ronge Giorgio qui finit par avouer à son fils le pacte qu’il a passé avec Violetta. Hélas, c’est sur son lit de mort que père et fils la retrouveront pour de poignants adieux.

Dans l’ouvrage de Piave/Verdi, la maladie est en filigrane tout au long de l’opéra, subtilement, à peine effleurée. Le personnage du médecin, le Docteur Grenvil, n’apparaît que de manière fugace, en de rares moments. Le livret nous indique sa présence au tout début du prélude, au milieu des admirateurs de Violetta. Au deuxième acte, lors de la soirée dans l’hôtel particulier de Flora, il se mêle encore aux invités, toujours sans aucune allusion à un rôle de soignant. Ce n’est qu’au troisième acte qu’il intervient en tant que praticien, tentant de rassurer Violetta (« Courage donc..., votre convalescence n'est pas loin. ») mais informant sans détours sa camériste Annina de son état désespéré : « Elle n’a plus que quelques heures à vivre », « Mais avec un tel mal, toute espérance est vaine. ». Il est bon de rappeler qu’à cette époque, l’idée que l’on se faisait de la phtisie était proche de celle que nous avons aujourd’hui des tumeurs malignes : celle d’une maladie incurable et non contagieuse. La dernière scène nous en offre une illustration, lorsqu’au dernier souffle de Violetta le père et le fils Germont la prennent dans leurs bras, l’embrassent sans l’once d’une hésitation. Notons au passage que Violetta va connaître un subit regain d'énergie, qui correspond à une poussée d'adrénaline précédant souvent de peu la mort.

La tuberculose est ici le résultat de la vie dissolue, immorale que la jeune femme a menée – traviata signifie dévoyée – et est donc une forme de punition qu’elle doit subir, malgré son renoncement et l’abnégation dont elle a fait preuve.

Giacomo Puccini - La Bohème

Tout autre est l’approche de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica, librettistes de l’opéra de Puccini, écrit entre 1892 et 1896. C’est la pauvreté et le froid qui affaiblissent et mèneront la jeune Mimi au tombeau. Tiré de Scènes de la vie de bohème (1851) du romancier français Henry Murger et de La Vie de bohème (1849), pièce de Théodore Barrière, La Bohème intègre plus franchement la tuberculose à l’intrigue. Dès l’apparition de Mimi dans l’appartement de Rodolpho apparaissent les signes d’une phtisie, sans doute aggravée d’un cœur pulmonaire : étouffement, manque de souffle, pâleur, évanouissement. La froideur des mains de Mimi « Che gelida manina » souligne plutôt les conditions de vie des quatre artistes qui se partagent une triste mansarde, manquant de vivres, de bois pour se chauffer, de vin, mais avides de liberté et plein d’enthousiasme. Les symptômes se marquent dans l’écriture musicale par des silences, rubatos orchestraux, sforzandos, rallentandos, phrases entrecoupées…

Bien vite, Mimi lie son sort à Rodolpho et partage ainsi ses conditions de misère. Au troisième acte, tandis qu’elle décide de le quitter pour échapper à sa jalousie, Rodolpho projette de rompre pour sauvegarder sa santé chancelante, elle qui tousse et s’affaiblit de plus en plus. Ils se séparent donc, jusqu’à ce que, quelques mois plus tard, Musetta ramène Mimi dans leur refuge, mourante cette fois. Dans ce dernier acte, la musique réutilise les airs du début de l’œuvre en version écourtée et haletante : « Mi chiamano Mimì » et « Che gelida manina ». Rodolpho la supplie de ne plus parler afin de préserver ses forces. Et pendant que leurs amis tentent de réunir suffisamment d’argent pour s’offrir l’aide d’un médecin, Mimi expire sans bruit.

Dans La Bohème, il n’est jamais stipulé que la maladie dont souffre Mimi est incurable. Seuls le froid et la pauvreté sont en cause.

Nathalie Ronvaux

Image de bannière: Tuberculose mycobacterium. Auteur: Ronald W. Smithwick, USCDCP



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