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Focus

Les métiers cachés de l’art du numérique : Isabelle Goydadin, directrice de production

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publié le par Daniel Mousquet

Le numérique a changé notre façon de travailler, y compris dans les métiers artistiques. Dans le cadre du festival Anima, voici une série d’interviews d’artistes œuvrant au studio d’animation belge Waooh!.

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Le studio d’animation belge Waooh!, fondé en 2010 et implanté au sein du Pôle Image de Liège, est aussi une pépinière à jeunes talents en offrant un espace de formation pour jeunes créatifs. Quelques questions à Isabelle Goydadin, directrice de production.


Thierry Moutoy (PointCulture) > Quelles sont les différences entre une production d'un long métrage et d'une série animée ?

Isabelle Goydadin (Directrice de production) > Si les compétences pour réaliser un long métrage ou une série d'animation sont proches et que les étapes de fabrication répondent à une même logique et emploient des postes identiques, les différences se font toutefois sentir dès les premières lignes du projets, dès l'écriture, la constitution d'une bible graphique, la recherche de financements et ensuite dans chaque étape de fabrication production et post-production.

La différence majeure est évidemment la durée de ce qui sera finalisé à l'écran, d'une heure à parfois plus de deux heures pour un long métrage, contre des formats de séries très différents et par saison, par exemple : 52 épisodes de 7 minutes, 26 épisodes de 26 minutes...

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Une série nécessite donc d'optimiser le nombre de ressources graphiques nécessaires dès la pré-production pour les réduire : moins de décors, donc plus de réutilisations (à penser dès le storyboard) avec une technique de création de décors optimisée, un choix de techniques d'animations ou d'effets spéciaux adaptés, par exemple : de l'animation 2D en cut-out plutôt que de l'animation traditionnelle, le recours ou non à la 3D, ... Choisir ce sur quoi nous devons apporter plus de budget pour mettre en avant une spécificité ou quelque chose d'inédit dans la série est un élément que nous planifions et budgétisons.

La série représente des traitements et des échanges de fichiers entre les différents postes colossaux, ce qui se répercute sur chaque acteur : plus de vérifications, de corrections, de logistique. Au niveau artistique, elle requiert que chacun puisse s’adapter au rythme de ce qu'il peut produire dans les temps impartis. On ne peut pas se permettre de perdre trop de temps sur chaque plan, le style graphique est donc pensé pour ne pas être en deçà des attentes du public, tout en étant réalisable sur une période définie, avec un certain nombre de talents.

Quand on travaille sur un long métrage, on peut se permettre de passer plus de temps sur certains détails, mais le travail n'est pas plus léger à la journée, car les plans sont amenés à un niveau plus haut : pour prendre le cas de décors, un décor très long à fabriquer mais qui ne serait jamais réutilisé, une animation pour laquelle on prend le temps de bien régler la synchronisation labiale ou une marche/course en perspective, de l'animation traditionnelle.

Les séries sont tout autant intéressantes mais demandent plus d'adaptation, de dynamisme peut-être, et d'adaptation au style général. Pour simplifier : on a moins le temps d'intellectualiser ce qu'on produit, mais on sait aussi que si on passe plus de temps sur tel ou tel aspect et qu'il sera réutilisé dans d'autres épisodes, on effectue le travail une fois et non deux, on équilibre tout cela à chaque épisode.


> Concernant le recrutement, est-ce que tu travailles en amont en constituant un répertoire ou bien tu fonctionnes par appel à candidature ?

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> Les deux ! Nous recevons chez Waooh (groupe Caribara - Liège), comme dans tous les studios d'animation, de nombreuses présentations spontanées venant d'étudiants fraîchement diplômés ou d'artistes qui ont envie de travailler avec nous, ou encore des personnes avec qui nous avons travaillé qui nous informent de leurs disponibilités à venir. Nous procédons selon le nombre de postes à pourvoir à des sélections par test ou par recrutement suite à certaines formations qui sont co-organisées par le studio au sein de nos locaux (exemple avec Technifutur) et qui nous permettent souvent de fournir la première expérience professionnelle post-formation et de suivre des parcours.
Nous avons aussi un répertoire et je conserve les CV et les liens vers les portfolios, pour les recontacter directement, mais, de manière réaliste, vu la durée des productions, ils deviennent parfois obsolètes. Quelqu'un qui n'a pas trouvé de production durant une année et qui va travailler ou qui va suivre une formation ailleurs ou chez nous peut tout à fait postuler de nouveau avec des ajouts ou avec une autre perspective. Il y a donc un système de conjoncture : être motivé par le projet, être disponible au bon moment, que la durée de la production convienne à tout le monde, se mettre d'accord sur ce que chacun peut apporter selon la technique, la motivation selon le projet, selon l'équipe, etc.
Le Tax Shelter implique aussi que les personnes soient domiciliées en Belgique et même bien souvent en Wallonie, le temps de la production, la priorité va forcément vers le recrutement de personnes locales, très motivées, qui souhaitent travailler en équipe.
Les festivals, écoles et réseaux sociaux entre artistes permettent aussi de voir ce qui est en train de se produire dans les studios, et donc les projets les plus attirants ou ambitieux sont aussi ceux pour lesquels nous recevons le plus de candidatures, avant même une annonce officielle, ce qui s'ajoute à mes recherches.


> Quels ont été les grands défis pour toi en temps de Covid ?

> Ce sont surtout des défis en terme d'organisation d'une semaine-type et de communication car le télétravail existait déjà de manière partielle selon les possibilités de chacun.
En 2020-2021, nous avons travaillé sur toute la deuxième partie du long métrage "Les secrets de mon père" en confinement donc en télétravail complet: il a fallu nous adapter et donc prêter du matériel à ceux qui n'en avaient pas, nous avons veillé à ce que les équipes gardent le lien social entre elles par des messageries de groupe, évitent la monotonie ou la perte de sens de ce qu'on est en train de faire, les jours se ressemblant trop.
Tous les transferts de fichiers prennent plus de temps selon les connexions et il est donc encore plus crucial de respecter un planning. Je me suis attelée à garder au maximum la motivation des équipes, être sûre que chacun·e reçoive les bonnes informations et l'attention nécessaire. Mon travail consiste souvent en une recherche d'équilibre entre les réalisateurs et la réalité de ce que vit l'équipe. Et nous encourageons toujours les artistes à être/devenir les plus autonomes possibles, tout en comprenant et en respectant le travail d'équipe – primordial !

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En 2021-2022, les défis étaient proches, à ce moment, de la production des décors de la série Tobie Lolness. Les personnes ont pris goût à quelques jours de télétravail partiel et ont investi dans des tablettes graphiques. Leurs retours d'expérience imposent un constat : si c'est pratique et agréable de se réserver du télétravail, le présentiel reste plus efficace et motivant, malgré des contraintes (transport, précautions, cas contacts). Nous avons eu plus de cas de Covid cette année et donc pas la possibilité en pleine production de faire remplacer quelqu'un pour une à deux semaines, il est donc important qu'on se serre les coudes pour ne pas accumuler du retard sur ce qu'on envoie aux réalisateurs.
Je conserve donc une approche flexible, de confiance réciproque, de travail d'équipe. La finalité n'est pas toujours ce qu'on fait et comment cela sera accueilli par le public, mais plutôt avec qui on le fait au moment où on le fait.


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> Peux-tu nous parler du long métrage "les secrets de mon père" ?

> Bien sûr, Il s'agit d'un long métrage réalisé par Véra Belmont, avec le studio Je Suis Bien Content, qui sortira en salles au premier semestre 2022.
Pour la petite histoire, il est l'adaptation cinéma de la BD autobiographique "Deuxième Génération" de Michel Kichka.

Le film relate les moments d'enfance réalistes, joyeux ou difficiles, de Michel, dans les années 1960, à Seraing, au sein de sa famille, avec son père, Henri Kichka. Henri est rescapé d'Auschwitz et le seul survivant de sa famille. Il est revenu vivre et fonder une famille en Belgique et semble porter seul ce fardeau ainsi que les atrocités vécues. Henri a voué sa vie au souvenir de cette période, il nous a quitté l'année passée, à l'âge de 94 ans.
Au studio, nous avons réalisé la majorité de l'animation traditionnelle en 2D, sous la direction d'animation d'Adrien Gromelle. Il s'agissait du premier long métrage sur lequel nous faisions de l'animation de ce type, sous Adobe Animate. Le plus grand défi était de produire les animations les plus précises et fines possibles, sans grande amplitude, pour servir le propos réaliste et apporter une justesse de jeu d'acteur. C’est rendu possible notamment avec une attention portée sur la synchronisation labiale, les jeux de regards, le respect des proportions réalistes du modèle. Il est aussi difficile d'animer certaines scènes très poignantes, tellement l'implication émotionnelle est là sur des plans qui peuvent être écoutés en boucle pendant plusieurs jours.
Le niveau demandé et atteint par nos équipes a permis de rajouter tout ce bel arc de compétences à beaucoup d'entre nous. L'autre défi était budgétaire : ne pas dépasser le temps prévu tout en apportant la qualité maximale. Nous sommes donc aujourd'hui très fiers ici d'avoir pu réaliser tout cela grâce au talent et aux qualités humaines de l'équipe dirigée sur place par Zoé Hardy, Xavier Hernin et Nayla Vanderweyen, et également très heureux de cette émergence de talents juniors devenus immédiatement très expérimentés en quelques mois, prouvant que nous avons des talents solides et belges, qui aujourd'hui continuent leurs chemins, avec nous ou dans d'autres studios, voir d'autres pays.
Nous espérons que ce travail minutieux se ressentira à travers l'écran.

Interview de Thierry Moutoy

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Lien vers le site du studio Waooh !

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