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Focus

KIKK 2019 : Archipelagos of Fragility

Alexi Williams Wynn Line KIKK 2019.jpg
Décrypter les mondes actuels, mettre en relief leur diversité, leurs zones d'ombre, ce qui les relie et ce qui sépare : tels sont les lumineux objectifs que se donne, depuis 9 ans, le festival international des cultures numériques et créatives, basé à Namur. Du 31/10 au 03/11, la ville s'ouvrira à un foisonnement de conférences, installations, expositions, workshops, sans oublier son marché technologique. Avec, en toile de fond cette année, un focus sur les relations Nord-Sud. Parcours de la programmation en compagnie de Marie du Chastel, curatrice du KIKK.

Sommaire

L’archipel représente un tout composé d’une multiplicité d’éléments différents. La fragilité renvoie aux flaws, les failles numériques, points de fragilité dans la technologie. La technologie porte en elle l'image d'un pôle rassembleur, mais ce serait oublier qu'elle se conçoit dans une grande diversité d’éléments parfois clivants. — Marie du Chastel

AfriKIKK

PointCulture : Une des spécificités de cette neuvième édition se présente sous l’étiquette AfriKIKK. De quoi s’agit-il ?

Marie du Chastel : La bannière AfriKIKK désigne un programme d’installations et de conférences mettant en vedette des artistes issus du continent africain et de la diaspora. Ils viennent d’Égypte, du Maroc, du Sénégal, d’Afrique du Sud, du Congo, du Kenya, le point de ralliement étant la technologie et les arts numériques. La sélection a été réalisée en partenariat avec la Dak’Art Biennale et une association locale qui travaille dans les arts numériques, Ker Thiossane. Par ce biais on aborde les principales problématiques actuelles : représentativité, relations Nord-Sud, impact du développement technologique sur l’environnement et sur les pays émergents. Comme tant d’autres pays du Sud, l’Afrique remplit la fonction de poubelle technologique du monde : les vieux téléphones, ordinateurs et tablettes s’en vont y finir leur vie pour être démembrés et recyclés. Ensuite, les pratiques ne sont pas les mêmes. On y trouve des marchés de composants parce que les gens n’ont pas cette habitude de jeter un appareil au premier signe d’affaiblissement, ils rachètent les pièces défaillantes et réparent. La durée de vie d’un produit y est beaucoup plus longue que chez nous. Le rapport avec la technologie n’est pas le même d’un continent à l’autre. En Afrique, les gens utilisent des smartphones plutôt que des ordinateurs, du coup pour communiquer ils utilisent les applications de messagerie instantanée. C’est plus rapide que par mail.

C’est un thème que l’on retrouve dans le travail d’un des artistes invités, François Knoetze, celui de ces objets, ce matériel électronique dont on se débarrasse sans y penser, sans se soucier de ce qu’il en advient par la suite… François Knoetze vient d’Afrique du Sud, son projet vidéo « Core Dump» sera exposé pendant le festival. Ce sont 4 vidéos qui montrent comment l’Afrique voit la technologie, le futurisme et la science-fiction. Avec sa partenaire Amy, chaque après-midi aura lieu une performance où le couple apparaîtra dans les rues de Namur habillé d’un costume tissé de déchets électroniques.

- Comptez-vous intégrer cet événement dans le KIKK de façon récurrente, en vous focalisant sur l’Afrique ou en choisissant un autre continent ?

- Marie du Chastel : Rien n’est encore décidé à ce sujet. Les liens avec l’Afrique, c’est sûr qu’on veut les garder. L’année prochaine l’AfriKIKK reviendra peut-être sous une autre forme. Ce qu’il faut savoir, c’est que la collaboration fonctionne dans un système d’aller-retour. Ils viennent chez nous et nous allons à la Biennale de Dakar, avec des ateliers et des œuvres. Il s’agit vraiment d’un échange. Pour financer ce projet, il y a Africalia, l’OIF , BIJ et WBI, pour continuer nous allons devoir trouver d’autres sources de financement. L’année dernière, avec le Togo, le KIKK a participé à Capitaine Futur, programme conçu pour les enfants et financé par Europe Créative.

L’année prochaine, le KIKK fêtera son dixième anniversaire, plusieurs pays seront mis à l’honneur.

Politique de la programmation

- En 2013 le festival portait le sous-titre Next Utopia. Puis, en 2014 The State of Play ; ensuite Fold / Unfold, Interferences, Invisible Narratives, Species and Beyond. Cette année c’est Archipelagos of Fragility. Dans la nébuleuse KIKK se signale aussi la revue King Kong qui, à sa façon, décline de semblables intitulés, à la fois poétiques et très contemporains. Les termes sont significatifs d’un regard sur le monde, la société, sur la planète. Le KIKK a-t-il également vocation de faire valoir certains engagements ?

- Marie du Chastel : Tout à fait, on ne s’en cache pas et ça se voit dans la programmation. Le KIKK est engagé, oui. Cette année on fait un focus sur la diversité et le climat. Pourquoi Archipels de la fragilité ? L’archipel représente un tout composé d’une multiplicité d’éléments différents. La fragilité renvoie aux flaws, les failles numériques, points de fragilité dans la technologie. La technologie c’est un pôle rassembleur issu d’une grande diversité d’éléments parfois clivants. Or, en matière de diversité, la technologie n’est pas encore à la page. Les concepteurs de ces technologies que le monde entier utilise sont à plus de 80% des hommes blancs des pays occidentaux, âgés de 30 à 45 ans. La question de la représentativité se pose dès lors pour le reste de la planète si les gens et les groupes concepteurs ne reflètent pas eux-mêmes cette diversité. La conséquence est qu’un bon nombre d’innovations s’avèrent discriminatoires dans leur fonctionnement. La question doit être posée à l’heure où l’IA s’installe un peu partout dans la société via des services en ligne, des demandes de prêt. Les données qui informent les algorithmes amenés à prendre des décisions dans ce cadre-là de façon soi-disant neutre ne le sont dans les faits pas du tout. On ne connaît pas les chemins que prennent les algorithmes pour prendre leurs décisions, sauf qu’on sait que ces chemins sont basés sur l’analyse des données précédentes. Au programme des conférences figurent donc pas mal de groupes féministes ou afro-cyber-féministes.

Invité au KIKK, le collectif international Hyphen Labs regroupe des femmes de couleur dont les travaux croisent technologie, art et science du futur. Elles s’emploient notamment à replacer la technologie dans un contexte afro-féministe.

L’artiste kenyane Jacque Njeri aborde ces questions par le biais de réalités extraterrestres projetées. Par exemple, dans la série MAA-SCI, elle met en scène des Maasaï dans l’espace – une manière originale de déconstruire les stéréotypes. Son travail renvoie au courant afrofuturiste, qui, à la croisée de la science-fiction et des revendications identitaires d’artistes africains et afro-américains, s’exprime à travers diverses disciplines, notamment les arts visuels. C’est vraiment un autre imaginaire technologique résultant de la rencontre entre différentes cultures.

Plus directement politique, l’artiste et chercheuse nigério-américaine Mimi Onuoha, a décidé de mettre en évidence les données absentes. Son projet s’intitule The Library of Missing Datasets. Quelles sont les données sensibles qui disparaissent et pourquoi ne peut-on les retrouver ? Le nombre de Rohingya expulsés, celui d’Américains qui ne possèdent pas de numéro de compte en 2008, etc. Dans un autre travail, elle montre comment le nombre de datas explose quand il s’agit de personnes de couleur aux États-Unis, criminalité par quartier. Cette subjectivité dans le traitement des données est interpellante.

Le terme fragilité se rapporte évidemment aussi à la fragilité des écosystèmes. Des intervenants viendront parler de l’impact du développement technologique sur l’environnement. Les réserves de métaux rares nécessaires pour la conception du matériel électronique ne sont pas inépuisables. Si tout le monde entre dans ce mode de consommation j’achète-je jette, ça deviendra vite intenable.

Décryptage des temps présents

- Quels que soient la taille et le degré de complexité numérique engagée dans les œuvres exposées au KIKK, il me semble que toutes se distinguent par leur sensorialité, interpellante, vertigineuse parfois. Grâce à ces installations, on comprend mieux comment le numérique vient s’incarner dans les objets et dans les systèmes pour en sublimer les qualités, démultiplier les accès et le potentiel. La machine qui amène un surcroît de sensible, selon vous c’est sur elle que se formule aujourd’hui l’hypothèse d’un avenir pas si sombre, pas si désincarné et, finalement, plutôt désirable, pour les humains et pour la planète ? Est-ce ainsi que le KIKK formule sa vision optimiste ?

- Marie du Chastel : Ni optimiste ni pessimiste. Deux sortes d’œuvres seront exposées et cette dichotomie traverse aussi le programme des conférences. Les premières, par un dispositif interactif ou ludique, conduisent en effet à une exploration ou une augmentation de la sensorialité. Sans être à proprement parler optimistes, elles nous permettent d’illustrer quelques nouvelles possibilités qui s’offrent par la technologie. Les secondes sont nettement plus critiques envers l’innovation. Beaucoup d’œuvres s’appuient sur la technologie pour la critiquer. On essaie d’atteindre un équilibre entre ces deux tendances. En tant que curatrice, je veille à varier au maximum les approches et les points de vue pour susciter des questionnements. L’idée du KIKK n’est pas de se projeter dans l’avenir mais bien de faire comprendre l’instant présent, de donner des pistes de lecture sur ce qui se vit actuellement et les conséquences que ça peut avoir sur l’avenir.

Sur ce volet éthique, la chercheuse belge Marie-des-Neiges Ruffo de Calabre viendra parler des robots tueurs, des drones minuscules équipés d’une caméra et d’un dispositif de reconnaissance faciale conduit par une intelligence artificielle. Il suffit de programmer une cible, ensuite l’appareil devient autonome : la mise à mort ne passe plus par la validation d’un humain. Les problèmes générés par cette technologie sont multiples dans les usages et les éventuels détournements. Ces armes létales ne sont pas encore au point, seuls les philosophes et les journalistes s’y intéressent, la recherche n’est pas un processus transparent et démocratique. Lorsque ces armes arriveront sur le marché, ce sera trop tard pour faire machine arrière.

L’innovation comporte énormément de zones d’ombres que le grand public ignore : la recherche militaire en est une, mais il y a aussi, pour prendre seulement deux autres exemples, l’enfouissement des câbles sous l’océan et le nombre exponentiel de satellites privés en orbite autour de la Terre, avec le problème afférent des débris spatiaux. La raison pour laquelle ces sujets ne me sont pas étrangers c’est qu’il y a des artistes qui en parlent, ils peuvent avoir ce rôle-là, révéler des pans de réel qui se dérobent à nous du seul fait que ça se passe ailleurs, dans des zones lointaines ou inhabitées : le désert, l’espace, le fond des océans… Ce que tu ne vois pas n’existe pas.

Tout le paradoxe de cette technologie, c’est qu’elle s’incarne autant dans le positif que dans le négatif. Our Planet on the Edge – Can Technology Really Save Us? (Notre planète sur le point de s’effondrer – La technologie peut-elle réellement nous sauver ?) : c’est le titre de la conférence que donnera au KIKK Victor Galaz, directeur adjoint du Stockholm Resilience Centre de l’Université de Stockholm et directeur de programme du Beijer Institute of Ecological Economics à l’Académie royale suédoise des sciences. En faisant le lien entre politique, environnement et technologie, il va évoquer l’impact de la technologie sur le climat et les réponses éventuelles qui peuvent en ressortir, notamment sur le terrain de l’IA. Pour le côté exploratoire de cet impact, on recevra Unknown fields, un studio de recherche en design nomade dirigé par un couple d’Anglais, Kate Davies et Liam Young. Leur objectif est de documenter, visuellement et narrativement, les nouveaux paysages industriels reliés à la ville.

Liens

KIKK Festival 2019

Archipelagos of Fragility

Du jeudi 31 octobre au dimanche 3 novembre à Namur

Programme complet

KIKK galaxy

kingkong magazine


Questions et mise en page : Catherine De Poortere

Image en bannière : ©Line, Alexi Williams Wynn : artiste britannique vivant et travaillant entre Londres et Gand. Son travail explore les deux frontières majeures de l'humanité – les animaux et les plantes. Œuvrant avec des moulages en cire, résine et plâtre de Paris, Williams Wynn crée des installations organiques qui paraissent naturelles mais dérivent de viscères animales. Sa pratique sonde les dualités inhérentes à ce processus, exposant la fragilité et la relation de l'homme au monde extérieur. La façon dont la beauté et la mort sont perçues dans la société moderne sont des thèmes récurrents dans son travail.

Cartels : Marie du Chastel

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