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Focus

Histoires de labels (2) : Sahel Sounds

Christopher Kirkley - Sahel Sounds
Depuis 2009, le label Sahel Sounds, créé par Christopher Kirkley, défriche les musiques d’Afrique de l’Ouest, et plus particulièrement de la région saharienne. Les disques donnent une image inédite des traditions actuelles du Sahel : ballades touarègues, hip hop de Bamako, boîtes à rythmes du désert…

En 2008, Christopher Kirkley résidait à New York ; un colocataire, connaissant son intérêt pour les jeux de guitare particuliers, lui offre un disque d’Afel Bocoum. Et là commence une passion qui mènera Kirkley à de nombreux voyages et à la création du label Sahel Sounds, basé aujourd’hui à Portland.

« J’ai mis le disque sur la platine. C’était Afel Bocoum, qui était un disciple d’Ali Farka Touré. J’étais captivé. Je voulais jouer dans le même style, mais je n’avais pas la moindre idée du comment. C’est devenu une quasi obsession. J’ai cherché de l’aide sur internet mais je me heurtais sans cesse à des voies sans issue. J’avais épargné un peu d’argent, et j’en avais assez de New York ; j’ai donc acheté un ticket d’avion et je suis parti en Afrique de l’Ouest pour faire des recherches autour de cette musique. » — Christopher Kirkley, interview pour The Vinyl Factory

Kirkley a séjourné un an en Mauritanie, puis est parti à la découverte du Niger et du Mali. En 2009, il a commencé à partager des field recordings – des collectages – sur un blog qu’il nomme Sahel Sounds. Il décrit son travail comme de la guérilla ethnomusicologique : il est en effet ingénieur de formation et s’est lancé dans la recherche ethnomusicologique sans connaissances académiques. Il a été séduit par ces musiques, qu’il décrit de cette manière :

« Le mot ‘hypnotique’ est utilisé à tort et à travers, mais c’est approprié dans ce cas. Il y a une structure de chant à réponse répétitif qui est basé sur la musique traditionnelle saharienne – la musique traditionnelle d’un peu partout en fait. Mais ils modernisent cette musique dans le Sahel et l’adaptation à la guitare est singulière et magique. Il y a aussi cette affinité au blues, et cela résonne en moi, parce que je pratique la musique pour guitare américaine. » — Christopher Kirkley, interview pour The Vinyl Factory

Très vite, il se rend compte que, pour écouter les musiques de la région, il existe un moyen bien plus efficace et rapide que de voyager de village en village : faire comme les locaux et utiliser le réseau underground d’échange de musique par clés USB, bluetooth ou carte mémoire de téléphone. Kirkley commence alors à collecter et archiver ces mp3, allant à la recherche des artistes, par la même occasion. Il est contacté par Mississippi Records et publie en 2010 un LP, Music from Saharan Cellphones Vol. 1.

C’est en écoutant ces fichiers numériques qu’il découvre Mdou Moctar, un guitariste d’Agadez, au centre du Niger. L’artiste avait eu quelques succès dans le réseau de partage par téléphone après avoir enregistré des morceaux au Nigéria (à plus de 1 000 km de chez lui). Le producteur local avait alors ajouté à ses mélodies touarègues de l’auto-tune (un logiciel qui transforme les voix et dont les réglages poussés à l’extrême leur donne une sonorité métallique) et appliqué une production locale, marquée par le goût des Nigérians Hausa pour les films de Bollywood (l’industrie locale qui s’en inspire se nomme d’ailleurs Nollywood).

Kirkley est très conscient du paradoxe des collecteurs de musiques, que ce soit aujourd’hui en Afrique ou dans le passé auprès des populations afro-américaines des États-Unis. Il sait qu’il est un Blanc qui enregistre de la musique noire pour la préserver, dans une logique occidentale de conservation, mais cette prise de conscience est peut-être ce qui le différencie de collecteurs du passé qui n’ont que rarement fait écouter leurs enregistrements aux musiciens. Il fait notamment référence à Alan Lomax, dont il s’est inspiré, mais dont il questionne la manière de travailler.

« Quand j’enregistre des gens et que je prends cette musique d’une culture pour la partager avec une autre, je suis l’intermédiaire entre cultures qui non seulement sont très différentes, mais qui n’ont pas la possibilité d’avoir accès aux mêmes moyens de communication. Un musicien touareg dans un village quelconque n’a pas la possibilité de dire ‘Voici qui je suis’, et donc il me confie cette tâche. Je fais très attention et je tente de présenter les choses d’une manière qui ne soit ni dévalorisante ni exotisante pour la personne sur le disque. » — Christopher Kirkley – interview pour Pitchfork

Aujourd’hui, Sahel Sounds est un label de disques (vinyle, Bandcamp, cassette et cd), un collectif d’artistes, une maison de production de films et une organisation artistique dédiée à la culture du Sahel en Afrique de l’Ouest. Les profits sont partagés avec les artistes, dans des proportions égales, et Kirkley est très transparent par rapport à ces questions. Au fil des années, le label nous a fait découvrir la face cachée de la région, des musiques moins connues que le blues du désert de Tinariwen. Il présente les sons contemporains, souvent chaotiques et bruts, des sons marqués par une technologie nouvelle qui transforme la tradition. Un documentaire, A story of Sahel Sounds, relate une partie de cette histoire et suit Kirkley au cours d'un de ses voyages au Niger, pendant lequel il rencontre divers artistes comme Hama, Etran de l’Aïr, Mdou Moctar, Fatou Seïdi Ghali et bien d’autres.

Parmi les disques importants publiés sur le label, il faut citer Harafin so - Bollywood Inspired Film Music from Hausa Nigeria, qui rassemble des musiques nigérianes accompagnant les films locaux en hausa. Elles s’inspirent des films de Bollywood des années 1960 et sont caractérisées par des rythmes effrénés, des synthés un peu cheap et de l'auto-tune.

Originaire du Niger, Hama joue au synthétiseur des airs traditionnels de la région, des ballades de nomades et des chants de mariage. Une première écoute peut sembler déroutante pour qui est habitué aux instruments traditionnels, mais on reconnaît rapidement les mélodies derrière les sonorités très « jeux vidéo » et « synthwave ».

Dans une veine similaire, le label a réédité de vieilles bandes enregistrées dans les années 1980 par Mamman Sani. Cet artiste du Niger, adepte de l’orgue électronique, a composé de nombreuses musiques, s’inspirant de chansons traditionnelles sahariennes, mais leur insufflant un certain minimalisme d’avant-garde.

Également originaires du Niger, Les Filles de Illighadad, premier groupe touareg uniquement féminin, proposent quant à elles un disque associant voix et guitares. Leur blues du désert est très poétique et marque un renouveau du style touareg dans la veine de Tinariwen ou Bombino.


Le site du label : Sahel Sounds; Bandcamp

Les citations sont extraites de deux interviews pour The vinyl factory et Pitchfork ; l’image vient du documentaire A story of Sahel Sounds.

Texte : Anne-Sophie De Sutter

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