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Focus

Histoire de labels (13) : Nyege Nyege Tapes & Hakuna Kulala

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En moins de six ans, Nyege Nyege a réussi à construire un pôle d’attraction dirigeant sur Kampala, la capitale de l’Ouganda, l’attention des artistes est-Africains comme de la presse internationale. Avec un festival annuel, un studio d’enregistrement et deux labels, Nyege Nyege tapes et Hakuna Kulala, le collectif représente un réseau de musiciens originaires de dizaines de pays différents, représentant les centaines de styles contemporains d’Afrique et de la diaspora.

L’aventure commence par la rencontre à Kampala de Arlen Dilsizian et Derek Debru, deux expats, l’un ethnomusicologue greco-arménien, l’autre belge né au Burundi, enseignant à la Kampala Film School. Ensemble ils vont commencer à organiser, vers 2013, les soirées Boutiq Electroniq, proposant gratuitement des projections de films, des concerts, des dj-sets, des jam-sessions. Très rapidement, de cet incubateur va émerger un groupe d’artistes partageant les mêmes envies, Don Zilla, Rey Sapienz, DJ Decay, DJ Hibotep et bien d’autres. Le duo devient alors un collectif, rassemblant les habitués des soirées mais aussi un réseau de plus en plus important de musiciens, de djs et de cinéastes. Les connexions vont s’étendre à toute la région et aux pays voisins, explorant des styles musicaux underground ignorés par les médias officiels et les circuits commerciaux.

Festival sur le Nil

L’étape suivante sera la création en 2015 du festival Nyege Nyege, installé non pas à Kampala, mais à Jinja, une ville au nord du lac Victoria. Là le collectif a découvert un complexe hôtelier abandonné, au bord du Nil Blanc, qu’ils ont reconverti en piste de danse permanente où se succèdent pendant quatre jours des centaines d’artistes sur les cinq scènes du festival. Le programme est avant tout basé sur l’envie de découvertes. Il n’y a pas réellement de tête d’affiche et le public est ouvert aux différents styles proposés, souvent très hybrides et très mélangés. Le pari a été de miser sur cette diversité, sur la volonté d’offrir une visibilité à tous les genres et micro-genres que compte l’Afrique. L’accent est mis sur la musique électronique et la danse, mais beaucoup d’artistes ont également un ancrage dans les rythmes et les traditions locales de leurs régions. Les grands courants sont présents, comme le kuduro, l’afrobeat, le kwaito ou plus récemment le gqom, ainsi que le dancehall ou le hip hop de la diaspora, mais de nouveaux genres émergents sont présentés là pour la première fois en dehors de leurs frontières : le singeli de Tanzanie, le balani du Mali, l’électro-acholi du nord de l’Ouganda, et un très grand nombre d’autres.

Le festival a rapidement obtenu un énorme succès, malgré les nombreuses difficultés qu’ont connues ses organisateurs. Les problèmes rencontrés sont en partie politiques, dans un pays excessivement conservateur comme l’Ouganda (où l’homosexualité est punie de prison à vie), un festival dédié à la fête, à la musique et à la danse tombe rapidement dans la ligne de mire des censeurs, même si l’enthousiasme du ministère du tourisme tempère la volonté de celui « de l’éthique et de l’intégrité » d’interdire purement et simplement l’événement. Les autres problèmes sont de nature économique, ou tiennent aux difficultés locales de subsides et de déplacement. Il est en effet parfois plus facile de faire venir des artistes d’Europe que de faire se déplacer les groupes à travers l’Afrique. Néanmoins, grâce à leur ténacité et à de bonnes connexions avec les médias (plusieurs radios, ainsi que le Boiler Room ont ainsi régulièrement relayé l’événement), les éditions successives n’ont cessé de grandir en importance et en visibilité. Le collectif a régulièrement fait appel à des artistes, des labels et des collectifs étrangers (càd non-ougandais) pour servir de curateurs et proposer des showcases de leurs différentes musiques.

Le collectif et ses labels

En 2016, le besoin s’est fait sentir de documenter et de diffuser toutes ces musiques, ce qui a mené à la mise sur pied d’un label, Nyege Nyege Tapes, rapidement suivi par un deuxième, Hakuna Kulala, consacré à des musiques (encore) plus expérimentales. Le focus est mis sur les musiques électroniques, mais aussi les musiques hybrides comme les percussions de Nihiloxica et du Nilotika Cultural Ensemble, l’association trompette/percussions/synthétiseurs de HHY & the Kampala Unit ou l’afro-metal de Duma. Beaucoup de ces artistes sont enregistrés dans les propres studios du collectif, où sont organisées des résidences permettant non seulement d’alimenter le label mais aussi de favoriser les contacts et les collaborations entre les artistes.

Les deux labels s’inscrivent dans la tradition locale et sortent avant tout des cassettes, mais aussi quelques vinyles et surtout diffusent leur musique en format numérique via bandcamp. Leur choix éditorial est complexe, d’autant qu’il est réalisé par deux expats conscients de leur « privilège blanc » mais ayant la volonté de représenter la scène musicale underground locale en trouvant un équilibre entre les deux extrêmes que sont le mainstream local et les attentes du public international. Leur principal souci est ainsi d’éviter les productions trop commerciales de la bourgeoisie urbaine sans pour autant verser trop facilement dans le goût occidental pour l’exotisme ou pour la soi-disant authenticité de sons plus rudes, plus ruraux. Les artistes choisis représentent la jeunesse des villes africaines, eux aussi à cheval entre les courants électroniques contemporains internationaux, les ruptures et continuités avec la musique locale, les influences des voisins immédiats comme des courants underground occidentaux.

Les relations entre l’Afrique et l’occident sont au cœur de la réflexion du collectif tant au sujet du festival que des labels. Tout en étant conscient du poids de l’apport du public étranger dans les relations avec les différents ministères, la crainte de voir le festival « gentrifié » par les touristes reste présente. De même pour le label, il reste hors de question de « calculer » les signatures ou les sorties en fonction d’une adaptation au goût européen. La plupart des artistes de Nyege Nyege ont avant tout une vision personnelle de leur musique, et la conscience d’une communauté, fusse-t-elle réduite, de pairs et de fans. Ils ne s’orientent ni à la balise de la sensibilité occidentale, ni à celle de la musique officielle de leur région, institutionnelle ou commerciale. Leur seule unité de mesure est sans doute à trouver dans la traduction de Nyege Nyege, qui signifie en swahili « une envie irrésistible de bouger et de danser ».

(Benoit Deuxant)

Le bandcamp de Nyege Nyege Tapes se trouve ici

Le bandcamp de Hakuna Kulala se trouve ici

Dans le cadre d'Africa is/in the future, une exposition consacrée au label est visible au PointCulture Bruxelles,
du 24/09 au 06/11, du Mardi au Samedi de 11h00 à 18h00

Le label Nyege Nyege sera également présent au Cinéma Nova, lors de la soirée rencontre/projection/dj-set,
consacrée à la culture club africaine le 2 octobre à 20h00, avec un concert de MC Yallah & Debmaster, et
deux dj sets, avec DJ Decay et DJ Diaki.

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