Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Focus

Havana underground – les musiques urbaines à Cuba

DJ Jigüe
À l'occasion de la programmation Cubalandz à Bozar ce 18 mai (partenaire d'Africa is/in the Future), un panorama des nouvelles scènes musicales - hip hop, rap, techno et électronique - d'aujourd'hui à Cuba.

Avec la globalisation de l'information, hip hop, rap, techno ou autres musiques électroniques sont présentes dans presque tous les pays du monde. Cuba n'est pas en reste, malgré un régime communiste toujours présent: une génération entière a grandi avec ces musiques urbaines. Leur diffusion est cependant compliquée: l'état contrôle les productions artistiques par l'intermédiaire de divers instituts (y compris un institut consacré au rap, fondé en 2002) et il n'existe qu'un seul studio d'enregistrement et label officiel (Egrem). Ceci n'a pas empêché l'émergence d'une scène underground dès la fin du 20e siècle.  

Les Cubains découvrent le hip hop au début des années 90 grâce aux émissions des radios de Miami. De jeunes artistes s'y intéressent et commencent à se produire dans ce style. Les premiers concerts sont censurés parce que le gouvernement trouve que le hip hop a trop de connotations américaines. Il survit cependant dans l'underground, autant que possible. Il en va de même pour les musiques électroniques inspirées de la house et de la techno. Cette époque est particulière, elle est nommée "période spéciale". L'Union Soviétique devenue la Russie a arrêté de soutenir Cuba après le démantèlement du bloc de l'est et tout vient à manquer: pétrole, médicaments, nourriture… tandis que l'embargo américain reste d'actualité. Mais cette période de pénurie a de bons côtés: elle provoque une envie irrésistible de faire la fête et de danser et la musique prend une importance de plus en plus grande pour les jeunes Cubains.

Les artistes qui se lancent dans la musique, tout particulièrement les styles plus "urbains" doivent s'armer de patience et d'ingéniosité; il leur faut utiliser des matériaux de récupération et chercher à acquérir des instruments au marché noir. DJ Jigüe – aka Isnay Rodriguez – raconte que pour fabriquer des enceintes, il utilisait de la mousse de matelas volée par des étudiants des pensionnats de l'état ainsi que des fibres de canne à sucre. Lors des concerts, les rampes qui tenaient l'éclairage étaient fabriquées avec des restes de métal venant de sites de construction; les lampes étaient volées sur les pistes d'atterrissage de l'aéroport. Tout était de la récupération, rien ne jouait son rôle d'origine. Les platines étaient un produit de luxe mais DJ Jigüe avait imaginé un système avec des cassettes, ralentissant ou accélérant la bande manuellement – avec les doigts – avant de trouver un système électronique. Quelques DJ européens, allemands surtout, de passage dans le pays pour quelques concerts, y laissent des cassettes de leurs enregistrements ainsi qu'un peu de matériel. Tout ceci a créé une esthétique DIY assez particulière.

Aujourd'hui encore, produire de la musique est compliqué: l'internet est un outil de transmission incontournable dans une grande partie du monde mais il reste problématique à Cuba qui n'est couvert qu'à 30%. Il y a moyen de se connecter dans de nombreux lieux publics mais la vitesse est celle d'une connexion par téléphone - il faut s'armer de patience - et les connexions privées sont excessivement chères. Partager de la musique est quasi impossible mais il existe d'autres solutions comme l'échange via des réseaux underground de clés USB ou de disques durs, nommés El paquete, et contenant divers fichiers de chansons, vidéos, photos, magazines ou applications. Les fêtes et concerts sont annoncés à l'ancienne, par affiches et flyers, et aussi par sms. Mais c'est encore le bouche à oreille le meilleur moyen de communication.

Les ordinateurs sont peu répandus parce qu'il faut aller à l'étranger pour s'en procurer. Les médecins ont joué un rôle particulier: ils allaient parfois en mission dans d'autres pays et pouvaient ramener un ordinateur. Beaucoup ont été revendus sur le marché noir et se sont retrouvés entre les mains des musiciens.

Il y a parfois des passerelles inédites: dans les années 2000, un rapprochement se crée entre le Laboratorio Nacional de Música Electroacústica fondé dans les années 1960 par Juan Blanco sous les auspices de l'état central et des musiciens de la scène électro. De nombreuses pièces y avaient été composées, utilisant du matériel moderne comme des Moogs, des oscillateurs, des ordinateurs. Les "anciens" y rencontrent la jeune génération, comme Wichy de Vedado et D'joy de Cuba et se battent pour une reconnaissance par l'état de ces musiques underground. Ces jeunes dj s'inspirent aujourd'hui du travail de leurs prédécesseurs.

Il existe à Cuba une scène électronique et hip hop très vivante malgré toutes ces difficultés et grâce à une grande persévérance, de même que des studios d'enregistrements indépendants. Certains artistes voient leur musique se diffuser internationalement grâce à des plateformes comme Soundcloud ou Bandcamp, et se voient même offrir des tournées internationales.

Revenons à Isnay Rodirguez aka DJ Jigüe: il est le fondateur de Guampara Music, un label ni légal ni illégal – juste alegal comme cela se dit en espagnol, en dehors de la loi. Guampara veut dire machette et c'est le symbole du combat pour la liberté. Rodriguez a installé son studio dans sa maison de La Havane, utilisant les moyens du bord. Son label présente de nombreux artistes contemporains qui jouent des musiques actuelles et hybrides, non sans liens avec les traditions. Des musiques qui ne passent que difficilement à travers le filtre des canaux gouvernementaux mais qui commencent à être connues dans le reste du monde. Des musiques que Rodriguez décrit comme "afrofuturismo tropical", un terme qui renvoie à une nouvelle esthétique techno futuriste de la diaspora africaine et aux ambiances caribéennes de Cuba.

Un des groupes signés sur Guampara est Golpe Seko qui mélange les influences, utilisant le hip hop comme base mais en y intégrant des rythmes traditionnels cubains ou afro-cubains et des instruments traditionnels comme la petite guitare tres. Du chant à réponse issu des anciens rituels africains est souvent mêlé à du rap.

Guampara a également sorti en avril 2017 une compilation nommée AfroRazones qui est un projet multimédia présentant la nouvelle identité afro-cubaine au travers du hip hop, du r'n'b et de spoken word. L'état communiste a toujours nié l'existence du racisme dans le pays mais il est pourtant bien présent, les Afro-Cubains étant souvent mis en marge de la société. Cette constatation est à la source de revendications qui se traduisent dans les nouvelles musiques urbaines et qui rejoignent le mouvement plus global d'afrofuturisme.  

Cette nouvelle scène très active a attiré le Britannique Gilles Peterson qui depuis quelques années s'intéresse à la musique cubaine en sortant les disques Havana Cultura et en mettant en avant des artistes comme Danay Suárez ou Dayme Arocena sur son label Brownswood Recordings. Havana Cultura est à la base une affaire commerciale, dépendant du département marketing européen du rhum Havana Club, mais les compilations présentent de jeunes artistes de la scène locale qui n'ont pas eu l'occasion de sortir un disque via les circuits officiels. La prochaine sortie sera en grande partie consacrée à Guampara Music.

Un nouveau festival a vu le jour à Santiago de Cuba, le festival MANANA. Il a été co-créé par les Britanniques Harry Follet et Jenner Del Vecchio ainsi que par le rappeur cubain Alain Garcia Artola. A l'origine, ils voulaient juste enregistrer un album mais ils se sont rendus compte du potentiel musical de la ville et ont voulu montrer comment les musiques traditionnelles et électroniques pouvaient se rencontrer, en invitant artistes locaux (Wichy de Vedado, Rumba Ache, Obbatuké, Pauza) et internationaux (A Guy Called Gerald, Quantic, Dengue Dengue Dengue). Un label a finalement vu le jour. 

Les nouveaux labels et festivals sont une preuve certaine que l'underground cubain est très actif et que le futur prépare encore de belles découvertes. Les concerts organisés lors de Cubalandz dans le cadre de Africa is/in The Future à Bozar sont une belle occasion de venir voir quelques-uns de ces artistes en concert.

Anne-Sophie De Sutter

Image du bandeau issue du clip de DJ Jigüe et El Menor



Vendredi 18 mai 2018 - 18h à 2h du matin
Bozar (Bruxelles)

programmation Cubalandz

partenaire d'Africa is:/n The Future


Les vidéos : 







Africa is/in the future 2018

Africa is/in The Future 2018

Du Jeudi 17 mai au Samedi 19 mai
à PointCulture Bruxelles, au Cinéma Nova, à Bozar et à la Bellone.

En partenariat avec le Goethe Institut. Avec la collaboration de XamXam, la Gaîté Lyrique, PanAfricanMusic | PAM, URCA asbl, Camarote asbl, Cubalandz Festival, Scènégal éthic, Hélico, KAANI, Rebel Up !, SEMETt Bruxelles, MuntPunt, Café Congo, le Collectif Mwanamke, la Maison du Livre asbl, le Centre Librex, Afropean Project et les librairies Les Yeux gourmands, Tulitu, Joli Mai.

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et Wallonie-Bruxelles International.

En lien