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Focus

GO ! - Parcours jeunes artistes à Mons

GO - Parcours jeunes artistes Mons - Dominique Stallone
Cinquième édition relevée et tonique du parcours montois. Wallons, flamands, français, professionnels ou étudiants, des artistes soucieux d’agir sur le sensible pour changer le monde, conjurer la catastrophe qui vient.

Sommaire

Ce sont pas moins de 17 points d’arts, provisoires, répartis dans la ville. Durant deux week-ends ils invitent à créer des itinéraires singuliers, selon les émotions de chacun·e face aux œuvres présentées, en suivant l’ordre du parcours ou en traçant un chemin plus irrégulier. Les cartographies subjectives suscitées par le travail des artistes se superposent à celles de la ville, ainsi revisitée. — Pierre Hemptinne

Le point de départ est la Salle Saint-Georges, sur la Grand-Place. Il s’y installe une belle tension, notamment, entre les fresques d’Iris Terdjiman et les photos raffinées de Chrystel Mukeba. De grandes toiles sans support ni cadre fixées au mur, une peinture agitée, figurative et abstraite, une écriture picturale racontant crûment les tragédies humaines, les horreurs au fil des siècles, et l’espoir, malgré tout, en une humanité à venir. Dans les photos, les ténèbres sont lumières et c’est en ces lueurs sombres, aux rares reflets, que gisent les sujets photographiés, figés dans une nuit quasi post-humaine. Ou pré-humaine ? Des portraits. Des natures mortes aux fruits craquelés comme en certaines toiles flamandes. Un rideau crépusculaire d’arbres parcouru de lianes comme un réseau de nerfs à vif. La peau inquiète d’une forêt vierge, menacée. En une même salle, le souci du monde et la recherche esthétique, « pure », mais comme une planche de salut dans l’obscurité.

Pour ces étudiants, l’art pour l’art n’est pas à l’ordre du jour, créer doit permettre de changer le monde sensible

Les travaux d’étudiants (ARTS²), présentés dans la chapelle du Conservatoire, sont exemplaires de ce croisement entre aspirations artistiques et désir, par le biais de l’art, d’agir sur les sensibilités, en faveur d’un monde meilleur.

Ainsi, Selen Eldogan, dont la pratique associe l’instinct du chineur, l’intuition du ready made, le penchant pour les arts modestes, l’attrait pour le recyclage de matériaux qui ont déjà leur histoire, toutes formes en faveur d’esthétiques peu arrogantes, ouvertes aux bifurcations et aux infra-mondes pluriels, non univoques. Ces « petites œuvres » illustrent un regard attentif à tout ce qui grouille à la surface du réel ordinaire.

Noémie Roland plonge dans le tourbillon des individualismes où la recherche du bonheur ou de l’épanouissement personnel se conjugue souvent avec relations de pouvoirs et interactions malsaines. Notamment en ce qui concerne les relations entre genres. La foule de bustes qu’elle éparpille au sol est représentative de ces jeux de pouvoirs informels en quoi consiste, dans notre société, l’affirmation des identités singulières. Visages patibulaires. Visages craintifs.

Dominique Stallone réalise des empreintes fragiles du corps. Des traces éphémères, même si certaines semblent têtues, acharnées à rester. Un vocabulaire mouvant de la présence corporelle dans le monde, des marques qui défilent comme des nuages. Nora Goyalde, originaire de Bilbao, est étudiante Erasmus à Mons. Ses peintures avec personnages masqués, d’êtres humains reptiliens avalant la tête d’autres semblables, mais de couleur différente, documente le fait de se retrouver « ailleurs », avec des gens « qui ne savent pas qui je suis » et rituels pour arriver à s’entendre, se comprendre. Inévitablement, ce travail et ces images renvoient à la situation actuelle des migrants.

Aurore Lebutte, avec humour, exprime la volonté radicale d’un monde meilleur : elle a compilé, dans notre culture cinématographique, plus d’une centaine de scènes de meurtres qui ne cessent d’abreuver notre imaginaire collectif. Mais au lieu de les montrer telles quelles, elle les diffuse, enchaînées les unes aux autres, à rebours. La mise à mort est annulée, effacée, n’a pas eu lieu. Au lieu d’un monde cultivant les imaginaires de violence, quel serait le mental social avec une autre culture de l’image ? Où sont les responsabilités ?

Toile, peinture à l’huile, rien de mieux pour saisir la mélancolie de ces rideaux entre ville et forêt, macadam et nature

La conscience de la nature, du paysage, de notre environnement, c’est ce qu’explorent les toiles de Mathieu Arfouillaud et Clémence Arnold, complétées par l’installation immersive de Charlotte Cuny. L’ensemble est présenté sous le titre générique « De la forêt à moi ». Ce sont de grandes « visions nocturnes » que peint Clémence Arnold. Des murs végétaux sauvages, tourmentés, aux agitations paralysées, comme au cœur du cyclone. On pense aux représentations romantiques des ruines, actualisées, aux végétations qui recouvrent les bunkers abandonnés et peu à peu les digèrent, les transforment en autre chose. Parmi les branches, les feuillages, on distingue des murs d’habitations retranchées, structures de béton, fenêtres éclairées. Pas des bunkers, de l’architecture moderne, des villas branchées. Les pans lumineux évoquent des vies recluses, barricadées.

Mathieu Arfouillaud peint les frontières entre urbain et forêt, ces zones incertaines où même la nature semble artificielle, domestiquée, copiée. L’étrangeté subtile qu’il restitue rappelle qu’il faut se méfier des eaux dormantes. Le sauvage, l’imprévisible reste en germe, peut resurgir, perturber ce que l’homme a mis en place pour tout figer. C’est la menace dans la silhouette d’un sapin insoumis. C’est surtout, au sein de ces paysages saturés de contrôle, une destruction chromatique, des éraflures de pigments révulsés, crus, des fuseaux de couleurs révulsées.

Virus de céramique, cendre et charbon, singe l’explosion de la civilisation humaine

En quelque sorte, dans la Chapelle des Telliers, Ina Leys poursuit le propos avec un autre matériau, sous d’autres formes. C’est une installation évolutive qui se module selon ses lieux d’apparition. Faite d’une structure en céramique, figurative, nouant plusieurs éléments qui évoquent les convulsions d’une civilisation perdue, les paroxysmes d’une société autodestructrice. On songe autant à des monuments célébrant les horreurs des grandes guerres, à des maquettes rappelant l’effondrement de tours de Babel ayant cristallisé le rêve de cultures réunies par le dialogue, à des sites industriels ayant explosé par la surchauffe de leurs machines infernales. Le tout est enseveli sous le charbon, entrailles de la terre, symbole de la folie extractive et de l’énergie fossile. Tout est noir, très Idées noires de Franquin. Ce n’est pas statique, au contraire, ça grouille. La désagrégation et la fermentation ont projeté des bouts de cette fin de monde alentour, sur le carrelage, sur les murs blancs. L’explosion est virale. Ce qui ronge et détruit ce monde, s’échappe et réinvente d’autres mondes. Seront-ils semblables, les germes migrants vont-ils essayer d’autres constructions culturelles ? L’installation est complétée par des masques et des visages « fossiles », de céramique et de cendre, figurant les physionomies, exhumées longtemps après la catastrophe, de ceux et celles ayant vécu l’effondrement.

La poésie fascinante des astres disparus, encore lumineux au loin, et de leurs adieux, ainsi que le soin désespéré, méticuleux, pour photographier les ultimes rivages

L’effondrement en cours, au fond, c’est peut-être ce que Samuel Coisne nous montre, mais sous un autre angle, selon des visions poétiques, enchanteresses. À la manière dont un spectacle terrible, vu de loin, peut sembler beau et subjuguer. C’est la magie de ce qu’il réussit dans sa chambre noire, nous faire admirer les signes d’un monde qui s’éloigne, s’éteint peu à peu, brille de ses dernières lumières, et nous faire oublier, en même temps, que ce monde qui s’éteint est le nôtre, celui qui nous traverse, dont nous vivons. On contemple des astres disparus, les reflets de mondes engloutis, des astres bactériologiques en train de migrer dans l’espace, vers d’autres lieux où réinventer la vie sans nous.

Explorer la vie ailleurs, tenter de s’y implanter, c’est le sujet d’Hélène Petite et des quelques éléments qu’elle ramène d’une résidence en Norvège. Avec ces remarquables petites photos que l’on dirait dessinées au crayon, des rivages, des contours de collines, la façade d’une maison, un fjord, dans la brume, des espaces frontières, incertains. Ou cette grande photo de rocher dont elle triture le papier pour lui restituer une troisième dimension, un vrai relief caillouteux de falaise abrupte, tout un processus qui montre combien elle a intériorisé la montagne photographiée, au point de l’extraire de soi comme un paysage mental, un fragment de sa corporéité imaginaire.

Les vies ambigües dans les caves

Dans les caves voûtées de La Biche (Institut Saint-Luc), changement d’ambiance. Le couple Nelly Ghelab et Émilien Simon associe installation vidéo et sculptures. L’écran est envahi de parasites et perturbations qui ont pris le contrôle de nos programmes télévisuels. Ça ressemble aux déchirures chromatiques des toiles de Mathieu Arfouillaud. De petits dispositifs projettent des tourbillons d’ombres et lumières au plafond de briques. Suspendu à un crochet, attaché à un bloc béton, un drôle d’organisme, blafard et cireux, évoquant ces formes étranges du vivant que l’on retrouve dans les fosses océaniques, ou n’ayant jamais vécu qu’au fond des cavernes les plus ténébreuses. Sans queue ni tête. Comme résultant d’une culture aléatoire de cellules et tissus, fruit d’une expérience loufoque. Le soumet-on à des tests ou à la question. Il est agité de sursauts, sporadiques. Un entrelacs de tuyaux plastiques, suspendu, est lui aussi parcouru de secousses, heurte un grillage qui protège d’un précipice. Entre deux murs, une forme – humaine, animale – emballée de toiles plastiques et de tape brun. Momie. Chrysalide. Le tout peut être perçu sous un jour sordide ! Mais peut-être que ces sortes d’embryons absurdes, de formes atrophiées, de parasites sans cesse projetés par l’écran cathodique déboussolé, essaient de nouvelles formes de résistance, minimales, se mettent en veilleuse en attendant des jours meilleurs pour remonter à la surface.

Voilà, ce n’est qu’une petite partie de ce qui est visible dans ce parcours. L’expérience est bien plus large et diversifiée. Je n’ai pas trop spoilé, il vous reste l’essentiel à explorer. Pour bien tout voir, comptez trois à quatre heures. En vous ménageant des haltes dans l’un ou l’autre établissement montois… — Pierre Hemptinne


GO !
Cinquième parcours jeunes artistes à Mons

17 lieux montois

Encore accessible le samedi 11 et dimanche 12 mai 2019
De 10 à 18 heures

www.polemuseal.mons.be

065/40 53 25

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