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Focus

"Après l’usine" : mélancolie cyclopédique

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vélo, chomâge, travail, retraite, sidérurgie

publié le par Yannick Hustache

Licencié brutalement de l’usine à laquelle il a donné plus de trente années de sa vie, Marc Coton tente de redonner un certain sens à son existence. Entre les lignes d’un quotidien à réinventer au jour le jour, monte l’inévitable besoin de tirer le bilan puis un trait sur cette longue et totalisante aventure humaine et industrielle qui a façonné les vies et les paysages de toute une région. Une balade introspective, parfois un brin magique et à selle de vélo, traversée aussi de la question de l’héritage qu’on va laisser derrière soi.

Sommaire

En 2011, dans son premier long format, Le Geste ordinaire, le réalisateur Maxime Coton partait à la recherche de ce père, à la fois si proche, si différent, si autre, ajusteur fraiseur dans une importante unité sidérurgique de La Louvière.

En 2018-2019, Marc Coton est prépensionné depuis un énième licenciement collectif en 2013 dans cette usine, autrefois cœur industriel de la région du Centre, renommée aujourd’hui NLMK Clabecq, après avoir subi moult changements de propriétaires et de noms (Boël, Duferco, etc.), qui n’ont jamais pratiqué d’autres politiques que celles des profits rapides accompagnés de leurs inévitables cortèges de restructurations successives, qui se poursuivent d'ailleurs depuis le départ de Marc.

Pour le Louviérois, le viatique sera la bicyclette, qu’il pratique en solitaire, en toutes saisons et par tous les temps. Cette « Petite Reine » qu'il possède en plusieurs exemplaires, qu’il entretient et bichonne avec amour et fort de sa dextérité manuelle naturelle, aiguisée par tant d’années de métier.

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Des kilomètres de routes urbaines et campagnardes avalés dans un paysage profondément modelé de la main industrieuse de l’homme – son maillage complexe d’habitations, d’(anciennes) infrastructures lourdes et d’usines mêlées, où s’accrochent des ilots de cette nature qui reconquiert le plus petit espace laissé vacant (les terrils) à la moindre défection d’activité humaine.

En dehors du vélo, Marc occupe son temps comme il le peut : devant l’écran TV, dans l’accomplissement méthodique des tâches ménagères et l’entretien quotidien de sa maison et de ses dépendances, pelouses et abris de jardin, en rythme avec le va-et-vient cyclique des saisons.

Il croise parfois voisins ou ex-collègues confrontés aux mêmes « transitions délicates » (forcées) entre vie active et passage/mise à la pré/pension. Difficile d’échapper à ce sentiment très fort de disqualification sociale une fois éjecté de ce monde du travail, érigé en principe organisateur des existences.

Comme le dit Marc lui-même, le couperet s’est abattu sans qu’il l’ait entendu venir : « Mes collègues et moi, on n’avait pas eu le temps de penser à notre pension, on était trop jeunes... Le jour de l’assemblée générale, on est tous rentrés ouvriers dans l’usine, et quand on en est ressortis, on était chômeurs ou prépensionnés ».

À la Saint Éloi (le 1er décembre), jour théorique de fête dans pas mal de professions liées au travail du métal, les appels aux collègues suppléent quelque peu aux fiestas d’antan. Cinq années ont passé. Le travail de deuil commence à produire ses premiers effets mais on n’échappe jamais tout à fait aux bouffées de souvenirs nostalgiques qui remontent sans crier gare et au sentiment résilient de dépossession et de perte d’identité qui en découle.

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Au Musée de la mine et du développement durable de Bois-du-Luc où a lieu une exposition sur la famille Boël, dynastie fondatrice de la sidérurgie à La Louvière et premiers propriétaires de l’usine qui porte encore son nom pour les gens du coin, Marc prélève ou reprend un outil – une gigantesque clé – de l’exposition qu’il suspend à son vélo « pour qu’elle revive ».

À la croisée des chemins, il se sent à la fois appartenir solidairement aux millions de débarqués du travail (il rejoint un piquet de grève d’anciens collègues) et dans l’obligation individuelle (récente) de faire preuve de sa recherche active d’un emploi.

Si Après l’usine est un film de douleur et de deuil symbolique autour d’une expérience individuelle de sortie du monde du travail, il ne cède jamais à la sinistrose fataliste ou au constat pamphlétaire de la fin toute proche d’une société sans industrie – une vie Après l’usine est possible –, il adopte une forme étrange et bâtarde où le fantastique a des petits airs de fanfare paysagiste et où le témoignage personnel glisse petit à petit vers le testament collectif à l’attention des générations futures. — Yannick Hustache

Un mélange des genres qui peut laisser un tantinet circonspect (la mini-cérémonie finale d’enterrement sur les pentes d’un terril en fleurs) ou donner l’impression de forcer le trait par instants (certaines paroles de Marc semblent très écrites), mais qui, par la qualité de son filmage – cadrage comme éclairage –, son rythme vélocipédique et saisonnier, réduit enfin la distance critique et empathique entre Maxime Coton (cinéaste) et Marc Coton (son sujet).

Yannick Hustache


Maxime Coton : Après l'usine
(Belgique 2019 - 50 minutes)

6 projections en novembre 2019 dans le cadre du Mois du doc

  • Mercredi 6 novembre à la Maison de la Laïcité, Waudrez
  • Jeudi 7 novembre au cinéma Aventure, Bruxelles
  • Mardi 12 novembre à la CSC, Mouscron
  • Mardi 19 novembre à la Bibliothèque provinciale, La Louvière
  • Mardi 26 novembre au Quai 10 - Le Parc, Charleroi
  • Samedi 30 novembre au Musée de la mine et du développement durable (Bois-du-Luc), Houdeng-Aimeries


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