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Focus

Albédo au Mac's : le musée mis à nu

oeuvre de Jean Glibert - exposition Albédo au Mac's - été 2018
Albedo, ce sont quelques œuvres de Jean Glibert et Ann Veronica Janssens mises en reflets au Mac’s, sans peur du vide. Une occupation onirique qui révèlent les volumes muséaux toujours prêts à retrouver l’état vierge, en jachère, espaces de liberté pour un imaginaire renouvelable.
L'albédo, ou albedo (sans accent), est le pouvoir réfléchissant d'une surface, c'est-à-dire le rapport de l'énergie lumineuse réfléchie à l'énergie lumineuse incidente. — Wikipedia

La présence des artistes invités est minimale, elle laisse une grande partie des structures et des volumes vacants. Du coup, le visiteur y avance avec l’impression d’un bâtiment qui lui est largement abandonné, une sorte de carte blanche. C’est un peu une visite décalée, comme de pénétrer là en-dehors des heures d’ouverture et de découvrir l’âme du musée sous un autre angle.

Le regard cherche, arpente les salles de manière plus précise, scrute les spécificités de l’architecture. Ce qui devient ainsi flagrant agit en fait lors de chaque visite mais dans le nouvel agencement très aéré, peu intrusif, c’est beaucoup plus central : le musée se remplit autant de ce qu’y projette les visiteurs face aux œuvres que des productions artistiques exposées. Il est le miroir de l’espace intérieur, infini, où chacun construit son musée personnel, cherchant à placer les images virtuelles de ce qui a suscité une émotion, de la manière la plus éclairante, la plus valorisante. La conjonction entre les formes et souvenirs qui palpitent dans cette intériorité et ce qu’éveillent les œuvres qui habitent l’espace d’exposition brouille les démarcations étanches entre ce qui appartient au musée ou à l’expérience intérieure, ce qui relève de l’art ou gravite dans un champ beaucoup plus large du vécu. Les quelques œuvres tissées de salle en salle au Mac’s sont des miroirs glissés de manière intrigante entre ces différentes zones, le musée-institution reflété dans l’organisme, le vivant reflété dans les dispositifs muséaux.

Après, il n’y a pas que du vide ! Dans la première salle, l’intervention de Jean Glibert est discrète mais, plus on traîne dans les parages, plus elle agrippe l’attention. C’est un grand carré vernis, dans l’angle. Le mur brille, réfléchit. On dirait une fenêtre occultée de neige, ouverte donc sur la densité d’une matière fragile, éphémère, une fenêtre ouverte sur l’intériorité blanche, immaculée, du mur.

Au centre, il y a une version de Sans titre (Blue Glitters) d’Ann Veronica Janssens. C’est une installation qui se reproduit selon le même rituel et débouche chaque fois sur un résultat différent, une variante. Il s’agit de la dispersion aléatoire d’un tas de paillettes colorées, sensibles à la lumière. En se tenant debout au bords de la zone où les paillettes se sont épandues, cela rappelle le défilement du sable fin sur la plage, quand le vent souffle très fort, et qu’on a l’impression que le sol matériel est doublé d’une surface complètement fluide, volatile. Puis, sous un autre angle la forme évoque une cordillère enneigée, grise, aperçue sous une masse nuageuse effilochée. Vue d’avion. Et la contemplation n’est pas sans éveiller le vertige. Enfin, vue du bord opposé, plus réceptive aux lueurs qui traversent les vitres, elle n’est plus que tache acide, bleue et sale, perturbant le sol, un ectoplasme tentaculaire qui, peut-être, absorbe et dilue toute l’histoire de la peinture. Une matière anti-musée, un point de fuite radical ?

Plus loin, et pour accentuer le trouble entre installation artistique et créativité quotidienne des hommes dans leur environnement, pour souligner la dynamique réciproque entre les différents lieux dont la conjonction accidentelle crée de l’art, Ann Veronica Janssens transforme une archive footballistique en vidéo d’art : un match entre Berlin et Barcelone noyé dans le brouillard. La fumée atmosphérique, elle en a fait un matériau artistique, notamment dans des caissons sensoriels aux lumières irisées où les visiteurs expérimentaient une autre relation au corps, au vide, à l’espace, à l’étouffement, à l’égarement, au fait de chercher son chemin à tâtons. Il serait intéressant d’entendre les joueurs de football raconter cette prestation dans la purée de poids. Comment trouvaient-ils leurs repères, conservaient-ils leur sens de l’orientation ? Mais ils semblent parfaitement maîtriser leur sujet et évoluer comme si de rien n’était. C’est que là aussi, la prise de vue instaure un dedans et un dehors : vu de loin (dehors) le brouillard masque presque tout. Mais de l’intérieur (dedans), la visibilité reste suffisante pour évoluer, remplir le job, faire des passes, dribbler, tirer au but. On peut comparer avec la perception changeante de certaines journées au ciel bas : vue de la maison, il fait sombre, triste. Dans la nature, affairé au jardin, ce qui prédomine est une luminosité tamisée mais forte, comme produite par le cœur des choses.

Et puis, il y a la monumentale installation rouge et noire de Jean Glibert. Une longue estafilade géométrique qui tord l’espace du musée, comme si une planète lointaine faisait effraction, lentement. Sa carlingue spatiale défonce et emplit et, en même temps, c’est du vide en couleur, du vide qui aspire de gigantesques surfaces qui étaient perdues dans l’espace et se matérialisent là, blocs purs, sauvages, nouvelles sources de peintures, ou à l’inverse, une béance bicolore, nuit et sang, précise et calculée, en même temps romantique et dérangée, béance qui exfiltre expulse la structure colorée du musée même. Est-ce une irruption ou une expulsion ? Une occultation ou un horizon ? Cela fait-il partie du musée ou est-ce une intrusion, un détournement ? Poser la question, c’est revenir au centre du musée. Et pour cogiter, remuer les sensations que suscite la fresque... des vélos aux roues-miroirs sont à disposition. Pédaler et circuler, décrire des courbes, des cercles, des zigzag est autorisé, faire des pointes de vitesse et freiner (torpédo), aussi. Si on est à plusieurs, il faut coordonner ses trajectoires, on forme un ballet, et on surprend alors la fresque de Glibert avalée, roulée sur elle-même, disparaissant, rejaillissant dans les roues, tourbillons miroitant.

Dans la construction de sa narration polymorphe et de son rôle éducatif, qui tisse au fil des ans les histoire que les citoyens s’inventent avec les œuvres exposées, une telle mise à nu réfléchissante des salles, des murs, des couloirs devrait probablement revenir régulièrement, révolution régulière du musée. C’est une rencontre particulière dont il faut surtout profiter lors des visites guidées. Il y en a tous les jours…

 

Pierre Hemptinne


Jusqu'au dimanche 21 octobre

Ann Veronica Janssens et Jean Glibert : Albedo

Mac's - Musée des arts contemporains de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Site du Grand-Hornu
82, Rue Sainte-Louise
7301 Hornu


Voir aussi, dans la foulée, les expositions Quadra (Jef Geys) et Halte à la croissance

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