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Critique

DEAR SCIENCE

publié le

3 avis

Yannick Hustache

Benoît Deuxant

Catherine Thieron

 

Un truc à filer les jetons à Radiohead ce disque ou une belle baudruche à dégonfler sitôt terminé son rôle de bouée/balise de sauvetage temporaire dans un océan d’insipidité parcouru de remontées de courants aussi brusques et nombreuses qu’éphémères et sans conséquence?
C’est toujours la même histoire avec ces disques attendus comme le messie ou chargés d’une mission rédemptrice par certains («sauver le rock!» tout un programme!), sauf qu’au fond, le reste de la planète n’en a cure et que les intéressés eux-mêmes n’y voient qu’un moyen parmi d’autres d’activer le buzz (poussée momentanée d’acné qui ne touche qu’une catégorie déterminée d’intervenants du grand cirque médiatique et culturel), ou s’en trouvent honnêtement plus incommodés qu’autre chose (option biographie en devenir)…
De même qu’une pointe de déception se pointe derechef à l’écoute de l’album qui suit un disque qui aura occasionné un choc musical comme il ne s’en produit qu’un tous les deux trois ans dans une vie musicale, il reste qu’un paquet de plaques, malmenées à leur sortie, a bénéficié d’une réévaluation critique comme seul le temps est en mesure de concéder. «Dear Science» n’échappera donc pas à cette saine règle déontologique: se méfier de soi-même autant que des autres. Ces autres-là dont on adore faire voler en éclats l’unicité critique avec une once d’orgueil mâtinée de jouissance coupable.
Surtout qu’avec la bande à David Sitek, la coupe aux commentaires de tout acabit déborde en deux temps trois mouvements. Pensez donc, le producteur imprévisible «que tout le monde s’arrache» qui donna quelques formes - autres que physiques - au caprice musical un peu léger de Scarlett Johansson! L’intello binoclard qui a ses entrées aussi bien chez parrain Bowie qu’au beau milieu des plus taciturnes représentants de l’underground new-yorkais (TV on the Radio a livré ses premiers échauffements chez les esthètes incorruptibles du label Touch & Go) et son trio changeant d’acolytes blacks qui, à eux trois réunis, ne semblent pas peser du même poids sur l’échelle symbolique de la cotation musicale et médiatique.
Heureusement, il y a les disques, deux à raison d’un tous les deux ans depuis 2004 qui, mieux qu’un aide-mémoire à l’adresse de ceux qui auraient oublié que ce sont les noirs qui ont inventé le rock, ou encore de ceux qui attendent la première occasion pour ressortir le vilain terme FUSION du placard aux fausses bonnes idées, doublaient sur leur propre terrain les excités du néologisme ou les invétérés colleurs d’étiquettes. Le grand tour de force de «Desperate Youth, Blood Thirsty Babes» (2003) et de «Return to Cookie Mountain» (2006) n’est pas tant de parler façon espéranto un langage original façonné avec des matériaux épars et pas immédiatement conciliables (soul, jazz, rock, electro downtempo, hip-hop etc.) en un tout homogène, fluide et qui plus est, doté d’une redoutable efficacité mélodique, mais qu’ils font entendre un groupe qui est passé comme un soupir au stade de la sédimentation sans passer par la case départ de la citation. Les Américains ne pratiquent pas l’hybridation comme on suit à la virgule près les détails d’un compromis au sortir d’un brainstorming exténuant, mais expriment une musique aux ramifications multiples et profondes avec l’aisance spontanée des (grands) enfants baignant depuis toujours dans un environnement culturel irrigué de mille et une sources. Tout semble couler «naturellement» chez eux, les trouvailles formelles incongrues comme les gimmicks accrocheurs, et trouver naturellement sa place dans des chronos chansons standards. TV on the Radio est passé quelque fois à deux doigts du vrai tube («Staring at the Sun») et ses albums fourmillent de candidats acceptables pour des radios généralistes. Faut dire que le son, c’est leur grande affaire: rond, dense, moelleux, millimétré et ample, mais se déployant sur un arrière-fond d’amertume piquante et un léger relent de poussière. Peut-être la patte Sitek, mais c’est plus probablement une «réaction» alchimique, aux confins des rencontres, des matières et du hasard. Qui ne naît pas spontanément dans le ciboulot d’un seul type en tout cas!
Sur «Dear Science», les mélodies gagnent en limpidité et en évidence, s’offrent plus d’assurance dans les refrains et se présentent, à l’instar du dernier Why?, le visage découvert aux bordures de la normalité pop. Ce sont les déchirements soul de «Stork & Owl», serrés de cordes éponges et de feulements cajoleurs ou la montée vers les cieux d’une supplique amoureuse («Family Tree») qui se drape, à chaque palier de son ascension, d’une couche de duvet sonore glacé. Enfin, c’est un «Golden Age» agencé comme un match masculin/féminin qui se conclut sur un faux plat instrumental en forme de points de suspension.
Plus loin («Dancing Choose»), TOR damne le pion à Subtle dans l’établissement d’un nouveau genre bâtard, le funk post-punk, parce que l’inverse avait déjà été fait! Et tant qu’à repasser les plats 80’, vaut mieux en pleurer une bonne fois (le titre s’appelle «Crying»), se payer de la tronche du «petit» Prince au passage et vaquer à autre chose.
Et ce pourrait être des modèles (à) déposé(r)s: La marche nuptiale de «Lover’s Day» et son bouquet de fanfares psychédéliques, les incantations cambrées et cuivrées de «Red Dress» ou les sidérantes chansons poupées russes de «DLZ», «Love Dog» et de «Shout Me Out» qui font de la surprise et de l’enchaînement une discipline olympique à venir et un art à part entière en devenir.
Entre une soirée TV et une fin d’après-midi Radio, j’ai décidé de ne pas choisir…
YH

 

TV On The Radio – Dear Science

Il y a un syndrome du troisième album, comme il y a un syndrome du deuxième. Dans les deux cas, la difficulté consiste à trouver une suite respectable à un album universellement acclamé, sans le reproduire pour autant. Certains y voient l’occasion de changer de direction, avec les risques que cela suppose, d’autres persistent obstinément dans la même direction. Tous s’exposent à un retour de bâton de la critique, bien connue pour brûler ce qu’elle a adoré. Quelques groupes décident de ne pas se poser la question et livrent leur troisième album sans cette impression de livrer une copie d’examen. Le temps passe et TV On The Radio en est aussi à son troisième album, et s’il découle immédiatement de ses deux prédécesseurs, et n’a rien à leur envier, il semble y parvenir sans effort. Comme si ce jeu journalistique ne les intéressait pas. Comme s’ils n’avaient pas à concourir comme d’autres pour le titre de «futur du rock». Ils ont raison. En dépit de leur succès, ils ont réussi à faire un album qui surprend encore, même si tout ce qu’il contient semble déjà familier.

Dear Science possède donc une assurance, celle des grands disques qui n’ont rien à prouver et se permettent une audace tranquille, celle de piller l’histoire de la musique pour remplir la boite à outils hétéroclite qui servira à construire leur album. Loin des préoccupations territoriales des gardiens du temple autoproclamés, le rock reste une musique de voleurs. Influences, emprunts, vols patentés, tout est bon pour parvenir à ses fins. Comme le disait Oscar Wilde et TS Eliot et Picasso: «Good artists borrow. Great artists steal». Si la musique est un jeu consistant à voir jusqu’où on peut aller avant de se faire prendre, ce disque risque de s’en tirer haut la main. Composants hétérogènes, conception en laboratoire, il fait son marché comme toute musique vivante, en utilisant les meilleurs éléments, sans chercher à en vérifier la provenance. Très éloigné des questions de légitimité qui sclérose d’autres musiques et les oblige à un pénible surplace par des lenteurs administratives et des pesanteurs académiques, il rassemble en une joyeuse conflagration le passé et le présent, les cuivres de la soul et la mélancolie désespérée d’un Xiu-Xiu, l’électronique du triphop et l’ambition du jazz, l’acidité pop des Smiths et le funk de Prince.

 

On pourrait entreprendre à l’infini le jeu creux du décorticage, la dissection des emprunts et des ressemblances. Mais cela n’ajouterait (ni n’enlèverait) rien à ce disque. Objet immédiat, immédiatement pop et assimilable, il conserve une profondeur qui tient plus à la réussite de son assemblage qu’à ses constituants. Il associe, comme les Smiths, si vous voulez une comparaison, des textes intelligents (sans la prétention que cette formule suppose hélas trop souvent), à des envolées musicales imparablement lyriques. Il parle de son temps sans se transformer en prêche ou en plaidoyer. Il parle de l’Irak, de l’Amérique de Bush, sans se transformer en brève d’actualité, ni en sermon jetable. Il traverse et habite différentes émotions sans en faire des catégories figées, à la joie forcée, à l’indignation de rigueur ou à la tristesse de circonstance. Il se chante, il se danse. Il passe de la politique au sexe, de la guerre à l’amour, toutes ces petites choses qui font une vie.
BD

 

 

 

 

TV On The Radio, « Dear Science » (4AD, 2008)

Rock du futur, futur du rock ?

Mon premier contact avec le nouvel album de TV On The Radio eut lieu en réunion, en écoutant mon collègue Yves déborder d'enthousiasme au sujet d'un disque qu'il n'avait pourtant encore entendu que par bribes.
Quelques jours plus tard, « Dear Science » résonnait en sourdine dans mon bureau jusqu'à ce que le titre « Love Dogs » me fasse arrêter tout ce que j'étais en train de faire: la ligne de rhodes mélancolique et les vocalises langoureuses du chanteur Tunde Adebimpe me prirent littéralement à la gorge. Quelques coups de boîte à rythmes et envolées de cordes plus loin, j'envoyais un mail à Yves pour lui faire part de ma chair de poule.

Depuis ce premier effleurement acoustique, le troisième album du quintet new-yorkais aura fait l'objet de nombreux échanges de mails pour savoir s'il a sa place dans notre sélection bimestrielle, les uns le trouvant trop lisse, trop « commercial », les autres le jugeant digne d'intérêt, mais ne sachant pas trop quoi en dire en dehors de « Euh, c'est un bon disque ». Les goûts et les couleurs…

En effet, comment approcher «Dear Science» sans couper court à l'effet de surprise, et comment dans l'absolu écrire à propos de musique ? Comme le disait Elvis Costello en 1983 dans un entretien pour Musician Magazine: Writing about music is like dancing about architecture - it's a really stupid thing to want to do.
Ce n'est certainement pas moi qui lui donnerai tort, mais en attendant, il se trouve que c'est mon métier, alors quoi ?

Euh… c'est un bon disque, pour commencer. En tout cas, c'est un disque qui me parle, un disque qui me touche. Un de ces albums qui m'assure que je ne suis pas encore complètement blasée à force d'en écouter des dizaines chaque semaine. Un album que j'ai envie d'écouter et pas simplement d'entendre.

J'ai envie de l'écouter parce que ces cinq garçons de New York nous servent un condensé d'influences totalement assumées allant de la soul au rock en passant par les premiers Prince, le hip-hop, le funk et les musiques électroniques, tous genres confondus. Un cours magistral sur les courants musicaux populaires de ces trente dernières années en quelque sorte, sauf que le groupe ne se contente pas de faire du recyclage ni d'enchaîner les styles: il les absorbe, les mélange et les digère jusqu'à les rendre complètement perméables les uns aux autres.Loin de paraître artificiel, l'ensemble est au contraire parfaitement homogène et extrêmement réjouissant.

Alors oui : « Dear Science » est un bon disque. Un album que j'ai envie de réécouter.
J'ai envie de le faire parce que, en dehors de ses mélodies terriblement efficaces, d'harmonies somptueuses et d'arrangements soignés, il bénéficie d'une production aussi fine que sophistiquée et fait la nique au format MP3 tant il regorge de subtilités. Sous la houlette de son guitariste David Andrew Sitek (qui a produit «Anywhere I Lay my Head» de Scarlett Johansson), TV On The Radio sublime ses morceaux plus qu'il ne les cache.

Véritable album d'anticipation, voilà peut-être ce que nous réserve le rock dans un futur proche: faire du neuf avec du vieux.µ
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. CQFD.

 

Catherine Thieron

 

Selec

 

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