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Critique

TROIS PETITS TOURS

publié le

Par Pierre Hemptinne

 

Un nouveau Thomas Fersen. Mais qu’a-t-il de nouveau ? Et l’on entend ici ou là sempiternelle rengaine qui accompagne celui qui trace sa route : « il se répète », « il fait toujours la même chose ». Alors ? Thomas Fersen a inventé un style qui lui est propre. Ce n’était pas évident. Quand ses premiers albums arrivaient à la Médiathèque, la presse était plus que timide à son égard et il fallait produire un travail de recommandation pour que nos habitués l’empruntent. C’était une découverte, la plupart revenaient enchantés. Qu’en est-il aujourd’hui ? Pourquoi Fersen cesserait-il d’être Fersen et devrait-il faire autre chose ? Du moment qu’il le fait bien! Pourquoi cette tyrannie de la « nouveauté » qui, souvent, tient à l’emballage, à la production et au marketing. Un style personnel, authentique, ça reste nouveau. Soit, avec des hauts et des bas. « Trois petits tour s» est plutôt en haut. D’abord, le parti pris de l’orchestration avec l’ukulélé garantit quelque chose de frappé et rugueux, jusque dans les garnitures soyeuses, chaloupées, canailles. Nonchalance faussement bâclée de chansonnettes sans prétention. Les textes restent remarquables, exigeants, bien écrits et bien inspirés, il n’y a aucun laisser-aller dans ce travail d’artisan amoureux des mots, méticuleux. L’inspiration est là aussi: avec ce qu’il y a dans une chanson de Thomas Fersen, Vincent Delerme pourrait enregistrer 10 albums. Et ça ne veut pas dire qu’il y a étalage. Que du contraire, ça coule tout seul, sans esbroufe, presque banal. Trafic intense de perles, sous le manteau. Quand on y plonge attentivement, quel monde!? Quelle vie, quelle imagination. De plus, il ne s’agit pas de simplement inventer de belles fables. Fersen est un vrai titillé par l’écriture, par les mots, par ce qui se crée quand on nomme les choses, quand on les décrit, quand on les rend vivantes en leur insufflant un verbe personnel. Et bien, elles deviennent vraiment vivantes, elles partent vivre leur propre vie. Et cette autre vie qui se crée entre les objets et nous quand on les inclut dans notre histoire, quand on explore la part de nous-même qui s’y installe, avec le temps, avec l’usure, avec les affects ordinaires. Comment tout ça foisonne. Cette aventure du porteur d’ukulélé face au douanier, « Ce petit étui/Ce n’est pas celui/ D’un tueur à gages » utilise formidablement un schéma connu: le douanier, en essayant de comprendre à quoi sert cet instrument se fait une écharde, « Hélas, il nous a quitté » et c’est à son tour en porteur d’ukulélé qu’il se présente devant Saint-Pierre… Et cette histoire de « Chocolat » ! ? Cette descente de flics à la recherche de substances illicites, « Et sur mon gros radio-cassette/ Ils ont écouté la musique/ Qui provenait de Jamaïque/ Ils ont écouté du Bob/ Tout en fouillant ma garde-robe ». Le chien policier fait du zèle, finit par manger le chocolat, « Puis il m’a léché la figure/Je suis entouré de flics/Qui cherche la Jamaïque/-La Jamaïque, elle est plus là/Elle était dans le chocolat. » Tout ça au fil de vers légers, subtils, élégants, discrets. La manière dont il déroule les couplets et le refrain de « Formol » atteint presque la perfection chansonnière pour célébrer, comme rarement aussi bien, la passion de la musique : « Chapeau melon, veston croisé/ Tel est le joueur de tam-tam/ Tandis qu’avec un air blasé/ Il donne une fessée à madame/ Et boum, il boxe la grosse caisse/ Et vlan, il gifle les cymbales/ Comme dans un pensionnat il fesse/ Sa main rebondit comme une balle/ Moi la batterie ça m’rend toute molle/ Comme si j’respirais du formol/ je deviens dès le premier son/ Mi-déesse et mi-paillasson. » C’est pas bien trouvé comme mots, comme formules, comme images ! ? « Gratte-dos » est comme une mini-vitrine précieuse pleine d’objets insolites, vivants, directement utilisés pour se soigner le corps, se gratter, se limer, se curer. Elle m’évoque la vitrine magique de mon grand-père. Quant à « Punaise »… Alors, là, c’est une trouvaille réjouissante, comme la chanson française en n'engendre peu tous les 10 ans !! C’est l’histoire de ces rêves bizarres d’optimisme indestructible, pendant lesquels il nous semble y être animé d’une énergie surhumaine à laquelle rien ne résiste, elle nous permet de faire face à toutes les perfidies du destin, de passer dessus, de solutionner les pires crasses sans même s’y arrêter, rien ne nous atteint. Et le plus beau c’est que, quand on se réveille, on passe réellement du sommeil à la veille avec le même entrain gonflé à l’hélium. Une force nouvelle a pris possession de nous. « J’ai entendu le chant du coq/Punaise, ça m’a ouvert les yeux/J’me suis réveillé dans mon pieu/Avec une haleine de coyote/Alors sans faire ni une ni deux/Alors j’ai sauté du paddock/ Alors j’ai sauté dans mon froc/ Et pis j’ai rassemblé mes ch’veux/ Et pis j’ai fait crisser les pneus/ Punaise j’étais gonflé à bloc. » Chapeau bas. Écoutez ça avec votre Ipod en marchant la nuit, ça vous donne sous le ciel étoilé des bottes de cent lieues. Allez, ne boudons pas notre plaisir, le dernier Thomas Fersen est excellent. À l’intérieur du style bien identifiable, il est rempli de nouvelles histoires savoureuses. (PH)

 

Septième album studio (sans compter le « Best of de poche ») pour Thomas Fersen, chantre malicieux d’un monde imaginaire bien à lui peuplé d’animaux et de personnages insolites. Sans atteindre les sommets que furent « Qu4tre » et « Pièce montée des grands jours », « Trois petits tours » offre sa part de petits bijoux, Ukulélé et Gratte-Dos en tête. Difficile aussi de refuser une balade dans ces chansons-valises que sont Germaine, Embarque dans ma valise et La Malle, et de résister à son Chocolat aux parfums de Jamaïque. C’est que le diable est devenu fétichiste, tournant quelque peu le dos à son bestiaire pour nous inviter dans sa malle à joujoux. Toutefois, sur certains titres, on a comme l’impression que le lascar tourne un peu en rond. Des mélodies « passe-partout » ou déjà entendues dans les opus précédents, des textes bien écrits mais dont le propos est un peu faible, et même un sentiment parfois que l’écriture aurait pu être plus aboutie. Heureusement, les arrangements concoctés par son fidèle chatouilleur de cordes Pierre Sangrã et le chanteur multi-instrumentiste québécois Fred Fortin réussissent à nous emmener ailleurs, grâce au choix de l’instrumentation (ukulélés, batteries de fortune, pedal steel, …) qui confère à l’ensemble une fraîcheur des plus attachantes. On regrettera cette dose de remplissage sans pouvoir nier que Fersen sort toujours du lot. Sa poésie décalée reste précieuse. (Guillaume Duthoit)

 

 

 

 

 

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