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Critique

ON TOUR

publié le

TAJ MAHAL TRAVELLERS : Live in Stockholm 1971 et On Tour

 

 

Deux rééditions consécutives pour un groupe renommé jusqu’ici pour sa rareté… Les Taj Mahal Travellers ont fait pendant des années la fierté des collectionneurs, leurs disques étant peu nombreux, publiés à faible tirage et rarement réédités. Voici un CD et un DVD publiés par le label japonais Disk Union.

 

Publié en 1971, le premier disque est un enregistrement Live effectué à Stockholm en 1971. Les Taj Mahal Travellers sont renommés pour leur attachement profond à la création spontanée, l’expérimentation, l’instantané, ce qui leur fera éviter les studios et les enregistrements trop préparés, trop artificiels. Les rares traces discographiques qui nous sont parvenues d’eux sont des captations de leurs concerts et de leurs performances. Des performances en forme de happenings, comme leur apparition à la futuriste Station 70, ou leur pique-nique musical à Kanagawa, où ils jouèrent un jour entier sur la plage de Oiso. Le groupe s’était formé en 1969, regroupant des musiciens d’horizons divers (et un ingénieur électronicien) autour de l’idée d’une musique cosmique, entièrement improvisée, créée en réponse à un lieu, une situation. La composition du groupe est restée fluctuante du début à la fin, rassemblant des invités de passage autour d’un noyau central composé de Michihiro Kimura, Ryo Koike, Takehisa Kosugi, Yukio Tsuchiya, Seiji Nagai, Tokio Hasegawa et Kinji Hayashi. Les Travellers se produisent donc beaucoup en concert à travers le Japon, et en 1971 commencent à jouer en dehors de l’île, créant chaque fois la sensation. Ils parcoururent ensuite l’Europe en minibus Volkswagen, avant d’embarquer pour la Turquie, puis le Pakistan et l’Inde, terminant leur périple épuisant au pied du Taj Mahal. C’est au retour de ce voyage, en 1972, qu’ils accepteront la publication de leur premier disque : « July 15, 1972 », un album live couvrant le concert de soutien qu’ils organisèrent pour rembourser les dettes occasionnées par cette aventure. Le disque qui nous intéresse ici est donc antérieur d’un an à cette première sortie officielle.

 

En 1971, les Taj Mahal Travellers sont invités à participer à une exposition au musée Moderna de Stockholm, intitulée « Utopia and visions1871-1971 ». L’événement, très ambitieux, dont le curateur était Pontus Hulten, commémorait le centenaire de la Commune de Paris et avait pour thèmes la révolution, le progrès et l’utopie. Parmi tous les événements, les expositions, les colloques, une place avait été faite à la musique dans un dôme géodésique élaboré par le visionnaire Buckminster Fuller. C’est là que se produiront les Taj Mahal Travellers. À l’origine, le groupe s’était vu proposer quatre dates officielles de concert, dont deux partagées avec Don Cherry, rencontré en chemin. En réalité, le groupe s’installera quasiment à demeure dans ce dôme, et y jouera en continu, chaque jour de leur séjour, sans considération pour l’horaire et l’agenda prévu, commençant en retard mais improvisant sans répit, des heures durant. Leur style à l’époque était résolument expérimental, inspiré par les théories du fluxus japonais, dont Takehisa Kosugi était un membre éminent, mais aussi par la musique traditionnelle et la musique rituelle japonaise. D’autres influences sont aussi à ajouter, comme les quelques formations expérimentales qui les ont précédés dans les années soixante, notamment le Group Ongaku, dont Takehisa Kosugi fit partie (avec Yasunao Tone et d’autres musiciens) et qui fut le premier à définir l’idée d’une musique improvisée, reliant les expériences de John Cage, la musique concrète et les possibilités offertes par l’électronique (voir à ce sujet le livre Background Noise de Brandon labelle). Live, les Taj Mahal Travellers se présentaient comme autant d’individualités isolées, chacun occupant l’espace de la scène et l’espace sonore avec sa personnalité et son instrumentation. Cette dernière, très disparate, était un mélange d’électronique et d’organique: Kosugi au violon, avec générateur et effets électroniques, Kimura, avec des instruments fabriqués par lui-même, Koike à la contrebasse couchée et modules électroniques, Tsuchiya au shenai (instrument à vent et anche indien), Nagai, à la batterie et à la trompette avec effets, Hasegawa au chant (dans un langage inventé) et aux instruments japonais, biwa, shakuhachi avec effets électroniques, et enfin Hayashi à l’« ajustement et manipulation de divers mécanismes sonores et visuels ».

 

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Musicalement, le collectif était à la recherche d’une harmonie étrange et paradoxale qui préserverait l’autonomie et l’indépendance de chacun des membres. Loin de chercher une transe fusionnelle, le groupe voulait ainsi conserver chaque élément individuel libre et assurer à chacun une forme d’émancipation personnelle, un concept très important pour les Japonais de l’après-guerre. Si fusion il y avait, et si une unité se dégageait néanmoins de leurs actions, c’était en relation avec la masse sonore générée, et son rapport avec l’espace environnant. Réduisant au strict minimum l’élément mélodique, ou les éléments rythmiques, le groupe tissait une tapisserie sonore imposante, subtile malgré son abord massif. Dans la lignée des travaux de Cage, et des expériences acousmatiques de l’époque, la musique produite alors par le groupe était elle-même un espace, comme le dit Hasegawa, « non pas simplement à écouter, mais à habiter ». Une masse sonore enveloppante dont les éléments indépendants constituent un tout et que le public devait ressentir comme une expérience matérielle, architectonique, autant que musicale.

 

Le DVD publié en même temps que ce disque couvre plusieurs époques dans la vie du groupe, présentées sans chronologie. On passe ainsi d'images tournées au Japon à des extraits des concerts de Stockholm, pour enfin suivre le fameux périple qui les mènera au Taj Mahal. Très déconstruit, probablement volontairement, le film passe de moments musicaux contemplatifs, restituant visuellement la volonté du groupe de se plonger, lui et son public, dans le son jusqu'à s'y noyer, à des passages montrant des épisodes du voyage, du plus trivial au plus symbolique. Document sur le voyage en général et les changements qu'il entraîne sur celui qui l'entreprend, le film est un complément expérimental aux disques des Taj Mahal Travellers, et s'il ne rajoute rien à leur musique, il a toutefois le mérite de les montrer au quotidien, un peu en retrait de leur légende.

 

Benoit Deuxant

 

À suivre également la sortie de « Catch-Wave », une pièce pour violon, voix et électronique analogique de Takehisa Kosugi créée en 1974, dans une nouvelle version enregistrée live à la Contemporary Art Gallery de Mito en 1997.

 

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