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Critique

ESTHER FOREVER

publié le

Parler très doucement et fort mentir

 

Parler très doucement et fort mentir

 

À travers les yeux d'une septuagénaire pétante de vie, Richard Olivier porte un regard à la fois tendre et cruel sur le temps qui passe.

C'est au cours du tournage de son film « Peau de chagrin » que Richard Olivier fait la connaissance des sœurs Frodure et se lie d'amitié avec ces septuagénaires qui partagent leur vie avec une dizaine d'animaux empaillés. Il ne se doute pas alors qu'un nouveau film est en cours de réalisation.
Et pourtant, six années durant, il rendit régulièrement visite à Esther et Elvire, accompagné de son chien Alpi et de sa caméra, prenant à contre-pied toutes les conventions d'usage : devenu ami proche d'Esther, il s'est immiscé dans son quotidien avec tendresse et pudeur, captant des petits et grands moments de vie et de mort (celle du chat d'Esther en début de film, mais également celle d'Elvire).
Car c'est un véritable lien d'amour qui unit le réalisateur à Esther, septuagénaire pétante de vie et personnage hors du commun dont le franc-parler est une bénédiction à une époque où la langue de bois fait rage. Une bouffée d'air frais que l'on a envie d'inspirer jusqu'à plus soif.

esther Esther, c'est l'anti-Martine ! Là où la petite fille s'amuse à jouer à la maman ou à faire son jardin, Esther, elle, a les pieds bien trop sur terre pour se soucier de telles futilités : elle préfère fleurir les tombes, faire empailler ses animaux domestiques ou choisir dès maintenant son propre cercueil. Elle sait de quoi la vie est faite et son langage fleuri ne fait qu'enfoncer le clou d'un sens des réalités exacerbé.
Quand il lui arrive néanmoins de perdre un peu la boule, notamment lorsqu'elle soupçonne Elvire d'avoir eu son cancer à Lourdes parce qu'elle n'était pas habillée assez chaudement, Richard Olivier la remet, gentiment mais fermement, dans le droit chemin : Esther, on n'attrape pas le cancer parce qu'on a oublié de mettre un pull !
Et à la mort d'Elvire, le spectateur devient témoin d'un échange aussi drôle que morbide entre le cinéaste et cette Muse improbable :
- Tu as pensé à faire naturaliser Elvire ?
- Je ne sais quand même pas la garder ici, Richard ! Où je vais la mettre ? Chez Madame Tussaud ?

Mais oui, elle y avait pensé !

Malgré certaines situations surréalistes, comme le regard perplexe du vendeur de jouets Avenue Louise lorsqu'elle lui demande un chat en peluche tout noir pour le recouvrir de la peau de Poussy (parce que le taxidermiste n'a pas voulu me le faire), cette héroïne des temps modernes est pourtant à mille lieues de la caricature, et si elle parle de sa vie avec parcimonie, elle donne néanmoins quelques indices sur ce qu'a pu être son parcours : serveuse dans le café de ses parents à Vilvoorde (ou elle demeure toujours) pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait voulu être danseuse de ballet si sa mère ne s'y était pas opposée. Ses photos de jeunesse présentent une très jeune femme (elle avait alors quatorze ans) incroyablement belle qui a dû faire tourner la tête à plus d'un homme, mais Esther, selon ses propres dires, n'a aimé qu'une seule fois. Et elle ne s'est jamais mariée.

À travers ces témoignages décousus, le spectateur se fait une image en patchwork d'une femme de caractère et déjà foncièrement indépendante à une époque où il était difficile de l'être. Et, comme le disaient à l'époque certains clients du café : « Celui qui l'aura sera heureux, mais celui qui ne l'aura pas le sera encore plus ! »
Une phrase parmi tant d'autres qu'Esther prononce avec son accent irrésistible et ses petits yeux qui pétillent, avec une bonne humeur dont elle ne se défait jamais, même lorsqu'elle aborde des thèmes aussi graves que la mort, le suicide ou la guerre. Des thèmes universels dans lesquels chacun peut se retrouver, d'une façon ou d'une autre, car cette petite vieille est décidément bien philosophe.
Et on ne la verra pleurer qu'une seule fois, à l'annonce de la mort d'Alpi, le chien du cinéaste.

Cinéma-vérité dans la plus pure tradition Strip-Tease, dont Richard Olivier fut un collaborateur régulier, Esther Forever est un concentré de bonheur souvent drôle à rire aux éclats, parfois émouvant aux larmes. Comme la vie, tout simplement !

 

Catherine Thieron

 

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