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Critique

HAPPINESS IS A THING CALLED JOE

publié le

Qui pourra nous expliquer le mystère Patty Waters ? Ses disques, au risque de déplaire, le suscitent plus qu’ils ne l’éludent. Une production sporadique, malgré le talent dont elle fait preuve, peut s’expliquer : ils sont nombreux en effet les […]

Qui pourra nous expliquer le mystère Patty Waters ? Ses disques, au risque de déplaire, le suscitent plus qu’ils ne l’éludent. Une production sporadique, malgré le talent dont elle fait preuve, peut s’expliquer : ils sont nombreux en effet les musiciens issus des premières heures du free jazz qui ont signé un disque sur ESP et ainsi contribué à l’édifice de ce qui allait devenir, au-delà du caractère éphémère du mouvement en lui-même, une nouvelle manière de concevoir la musique et de se positionner par rapport, en et par elle dans un monde qui se libéralisait, l’industrie musicale n’étant évidemment pas à l’abri de ce que cela suscitait dans notre société. Cependant, dans ces circonstances, de telles « disparitions » s’expliquent aisément. Les raisons sont politiques. On n’apprécie évidemment pas trop, dans une Amérique qui peine à sortir de la ségrégation, qu’un espace de parole, si minime soit-il soit laissé à des gens criant tout haut les injustices et se munissant, en plus, d’un nouvel outil pour le dire. Pensons ainsi à Clifford Thornton (et son fabuleux album The Panther and the Lash enregistré dans les studios de Radio France, alors qu’il avait failli, quelques heures auparavant se faire refouler de l’aéroport pour ses activités au sein des Black Panthers), le plus discret Henry Grimes (redécouvert récemment par William Parker et qui joua avec Patty Waters lors du dernier festival Kraak à Hasselt ou encore le saxophoniste alto Noah Howard, exilé depuis en Belgique.
Pour Patty Waters, les choses sont très différentes. Il est vrai qu’elle a, avec la chanteuse Jeanne Lee, ouvert les chemins de la voix à ce nouveau jazz, presque essentiellement instrumental. Les deux disques produits par ESP en témoignent: inventivité, libération du carcan vocal, expérimentation, etc., le tout soutenu par une réelle franchise, une vérité qui, dans sa bouche, prend la forme d’une beauté brumeuse et digne.
Après ces deux disques, elle se retire, pour élever ses enfants, vivre paisiblement avec la musique comme hobby, laissant en plan (semblerait-il) sa carrière et ses convictions.
Patty Waters nous décevrait-elle?
Un long silence discographique de près de vingt ans.
Et puis cet album (précédé d’un autre en duo avec la pianiste Jessica Williams), humble, discret et précieux. Un enregistrement live dont les seuls mots que l’on peut entendre entre les morceaux sont des «mercis» troublants de sincérité et de nudité. Un hommage à Billie Holiday, s’inscrivant comme la continuation d’une même voix, d’une même musique, de la même impossibilité à être. Une voix de souffrance, faisant le lien entre la diva du swing et l’essence même du free jazz. Dans une facture et une musique calme (un trio voix/piano/basse déclinant une série de standards), quelque chose s’élève, touche, trouble.
Mais quel raccourci a donc emprunté Patty Waters pour, tout en gardant les inflexions dans la voix, se dépouiller de toute exubérance, de toute avant-garde, afin de nous livrer une musique douce, consensuelle ? Non, presque consensuelle, mais drôlement déstabilisante dans l’hiatus que constitue la charge émotive, douloureuse de la chanteuse et l’accompagnement sirupeux.
Mystère, mystère, mais doux et surprenant mystère que ce chant. Profitons-en car il y a peu de légendes qui surprennent encore.
MC

 

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