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Critique

SKELETAL LAMPING

publié le

Parenthetical Girls - Dead Science - Of Montreal

Pour le critique musical un peu feignant, toute ressemblance est une bénédiction. Ainsi lorsque nous parviennent coup sur coup le troisième disque de Parenthetical Girls et le quatrième album de Dead Science, on est rapidement tenté de parler d'école, ou de scène, et d'évoquer Xiu Xiu pour ne pas manquer aux règles du name-dropping. L'allusion ne sera pas totalement vaine puisqu’un lien ténu rapproche les trois groupes, ayant souvent partagé l'affiche d'une tournée. Jherek Bishoff et Sam Mickens officient dans les deux premiers groupes, Jamie Stewart a produit Parenthetical Girls, qui ont partagé un split-ep avec Dead Science. Ils ont aussi et surtout diverses passions communes dont la moindre n'est pas le goût du falsetto et du vibrato troublant dans la voix. Un goût que partagent, dans un autre registre, les exaltés de Of Montreal.

Le falsetto, ou voix de fausset, est une technique vocale utilisant le registre le plus aigu de la voix humaine, après la voix dite « de siffle t». Le terme est surtout appliqué aux chanteurs de sexe masculin. On l'appelle également registre de tête, ou encore voix de tête, afin de bien distinguer ce type d’émission de voix de la technique opposée, plus habituelle, utilisant la voix de poitrine.
Cette dernière technique est souvent considérée comme culturellement plus naturelle; et la voix de fausset, à l'opposé, est ainsi considérée comme maniérée, artificielle. Selon qu'on l'apprécie ou la déteste, elle représente la sophistication ou l'affectation, le subtil ou le factice. Mais le normal n'est jamais que de l'ordinaire et on peut retracer les origines de cette tradition en musique classique jusqu'au XIIIesiècle, à un temps où les femmes ne pouvaient chanter dans les églises et où les hommes devaient chanter eux-mêmes les registres alto et soprano. Les falsettistes seront plus tard remplacés par des castrats, dont la technique et la voix sont totalement différentes. On peut retrouver le falsetto dans la musique traditionnelle, dans le yodel du Tyrol comme dans le leo ki'eki'e d'Hawaï. Le rock a lui aussi une longue tradition de faussets: les Sparks, les Bee Gees, Jimmy Somerville, Les Beatles, Queen, U2, Radiohead et nombre de groupes de Heavy Metal, de Judas Priest à Iron Maiden, en passant par Mercyful Fate. Un temps décrié par le punk (à quelques exceptions près) pour ses connotations prog-rock et par le grunge pour son côté affecté, sa coquetterie incompatible avec les chemises de bûcherons, le falsetto n'a jamais pourtant disparu de scène et réapparaît au gré des performances d’un Alan Rankine ou d’un Morrissey. Il se retrouve ici défendu par trois groupes qui lui vouent un quasi-culte.

Après avoir approché le falsetto par des cassures dans la voix, des brisures illustrant autant d'épisodes psychotiques, Zac Pennington de Parenthetical Girls semble ici vouloir en explorer la musicalité. Non que ce nouvel album représente un assagissement, au contraire, mais on y trouve moins de ces grandes scènes dramatiques qui faisaient le spectaculaire angoissant de « Safe as houses », leur album précédent. À la place, une maîtrise, une accalmie dans la dépression, mais une égale noirceur de propos. Cette nouvelle architecture du drame s’appuie sur la présence d’une quinzaine de musiciens classiques pour des orchestrations entrelaçant une pop classiciste qui ferait le lien entre Van Dyke Parks, Divine Comedy, et Final Fantasy, et une petite musique décalée, à la Nino Rota ou à la Michel Legrand, dont ils reprennent « Les moulins de mon cœur » (ici « The windmills of your mind »). Arrangements complexes, morceaux à tiroirs et surtout une grande élégance. Cependant, toute cette sophistication est volontairement et soigneusement minée par des compositions qui, si elles frôlent par instant le menuet charmant, ne s’y attardent jamais et s'engouffrent aussitôt dans la fanfare de cirque et l'outrance du cabaret boulevardier. Ce contraste avec la préciosité du chant qui l'accompagne est assumé, non comme une excuse, non par modestie, mais au contraire avec une arrogance tranquille, comme en son temps l'a magnifiquement fait Marc Almond.

The Dead Science nous vient de Seattle et publie son quatrième album, « Villainaire », chez Constellation. Ici encore, c’est la voix qui entraîne la musique, au risque de l’effacer. Et ici encore elle résonne d’accents lyriques affectionnant le trémolo, le vibrato, le falsetto. Ce jeu sophistiqué de la voix fera que cet album passera ou cassera. Il sera considéré ampoulé et cabotin ou grandiose et démesuré. Ce sera au fond la même chose, les détracteurs comme les amateurs parlant des mêmes caractéristiques, mais avec une tournure différente. Cet album est aussi ambitieux qu’il est grandiloquent, aussi poignant qu’il est précieux, et ce seront là ses qualités ou ses défauts. Cette théâtralisation maniériste est encore accentuée par une orchestration composée d’un ensemble à vents, d’une section de cordes et de chœurs féminins. Comme chez les Parenthetical Girls, la sophistication n’empêche pas la violence d’éclater de temps à autre. Par-delà le vernis de civilisation, l’apparente préciosité, il y a aussi toujours un drame prêt à se dénouer brutalement, à éclater dans la démence et la frénésie. Le lyrisme est empli d’inquiétude, le vibrato est un tremblement. La sauvagerie n’est jamais totalement expurgée de l’homme du monde, il y met juste plus de formes.

Si l’album « Skeletal Lamping » de Of Montreal, est tout aussi formel, c’est dans un tout autre genre. Il ne s’agit pas ici de reconstruction néoclassique, de restauration arrogante, à moins de considérer la musique de Of Montreal comme partant des mêmes considérations inactuelles, du même désir de ne pas « être de son époque ». Pillant allègrement plusieurs genres déjà historiques et défunts, disco, soul, new-wave, funk, Kevin Barnes et ses acolytes construisent sur les ruines un palais baroque, une « extravagance », une folie rococo aux couleurs criardes. Point de retenue ici dans le maniérisme, point de modération ni de modestie dans la préciosité. Sans pour autant manquer de raffinement, l’excentricité est dans l’exubérance, le déchaînement. Comme à l’accoutumée, pourrait-on dire, cette expansivité cache de sombres pensées, si l’album précédent était placé sous le signe de la rupture sentimentale et de la dépression, celui-ci est en grande partie concerné par le sexe, pour ne pas dire qu’il en est obsédé. Mais rien de consolatoire à cela, si cette échappée est pour Kevin Barnes libératoire, ce ne peut être qu’au prix de l’excès. Et de s’engouffrer tête baissée dans un tourbillon de permutations sensuelles, androgynie éperdue et dévergondage ambigu, faunes et satyres… Et cette turbulence se marque vivement dans la musique, instable, capricieuse, reniant tout souci de cohérence et explorant en patchwork tous les registres, d’un morceau à l’autre, d’une mesure à l’autre. Ici encore le chant est central et tout aussi protéiforme : feulement funk, chorale surf, exaspération hardcore, stridulation angélique, complainte tyrolienne, ce n’est plus un « large éventail » du répertoire qui est proposé, mais toute la gamme, sans scrupule et sans merci.

Benoit Deuxant

 

 

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