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Critique

London is the Place For Me

London is the Place for Me - Honest Jon's - pochette
L’histoire de la musique anglaise, depuis les mods jusqu’à la jungle et au dubstep, en passant par le punk, est intimement mêlée à celle des différentes immigrations africaine et afro-cubaine qui débarquèrent en Angleterre après la seconde guerre mondiale.
Elles arrivaient, encouragées par le gouvernement britannique, qui y voyait un moyen de combler le manque de main d’œuvre qui sévissait à cette époque. Le premier contingent d’immigrés débarqua à Tilbury le 21 juin 1948, il avait embarqué à Kingston, en Jamaïque, sur l‘Empire Windrush, et parmi les 492 passagers se trouvaient de nombreux musiciens, qui emmenaient avec eux les musiques antillaises, dont le calypso. Originaires des Caraïbes, de Trinidad, des Barbades, des Antilles, etc., à cette époque encore territoires britanniques, ces citoyens du Commonwealth allaient rapidement se retrouver confrontés à l’intolérance et au racisme d’une partie de la population anglaise. Le « racisme ordinaire » freinera longtemps toute possibilité d’ascension sociale pour la diaspora noire, lui rendant difficile l’accès au logement et à l’emploi. Beaucoup d’immigrés choisiront néanmoins de rester plus longtemps que les quelques années prévues à l’origine, voire même de s’installer définitivement.

Intitulé d’après un morceau composé par Lord Kitchener, un de ces passagers de l‘Empire Windrush, London is the Place For Me est une très belle série de disques, parus sur le label Honest Jons, qui explore les musiques des diverses communautés noires de Londres et documente l’histoire et l’héritage culturel de la Diaspora noire de Grande-Bretagne. Les quatre volumes de cette anthologie retracent l’histoire d’une musique afro-cubaine d’avant le reggae, ou en tous cas avant que le reggae ne détrône les autres formes de « musique caraïbe », et ne devienne la musique de choix pour toutes les communautés noires britanniques, quelles que soient leurs origines (c’est à dire jamaïcaines ou non).


On croise donc ici une série de styles différents : le Kwela, le Highlife, le Jazz bien sûr, Swing ou Be-bop, et… le Calypso. Le Calypso est traditionnellement la musique du carnaval de Trinidad, elle sert également de support à des textes parodiques, satiriques ou libertins, et déguise derrière des doubles sens ambigus des potins locaux, des références au vaudou ou des histoires grivoises. La Diaspora reprendra cette formule et aura tôt fait de l’appliquer à sa nouvelle situation, échappant aisément à la censure. La musique, une fois de plus, deviendra un lien entre les différentes populations immigrées, véhiculant les nouvelles, mais aussi les espoirs, les espérances, ainsi que les déceptions des nouveaux Londoniens. London is the Place For Me parle d’une époque où la musique noire, à l’exception de la soul, était exclusivement écoutée par la communauté africaine et antillaise du pays. Il faudra encore attendre quelques années avant que ne débute la grande histoire d’amour de la population blanche britannique pour le ska et le reggae, ou que ne pointe le début d’un intérêt pour la musique du monde. La musique de ces anthologies était donc à l’époque largement destinée à une consommation en circuit fermée, les populations se « mélangeant » assez peu. Quelques tentatives de changer cet état de fait et de décoincer les relations tendues entre la population blanche et les populations noires (notamment après les Notting Hill Riots de 1958, une série d‘attaques racistes sur la population noire du quartier) débuteront plus tard, dans les années soixante, avec entre autres en janvier 1965 la tenue du premier Carnaval de Notting Hill, célébration festive de la diversité culturelle de Londres, et reconnaissance de l’importance de l’apport antillais dans la culture anglaise.

Le premier volume de l’anthologie se concentre sur le Calypso trinidadienne enregistrée à Londres dans les années cinquante, avec de grandes figures comme Lord Kitchener, qui se taille la part du lion dans ce disque, ou Lord Beginner, Mighty Terror, Young Tiger. Le deuxième volume élargit le spectre et inclut des musiciens africains et des genres comme le kwela ou le high-life. Le troisième volume est intégralement consacré à un seul musicien : Ambrose Adekoya Campbell, originaire du Nigeria, qui introduira le high-life africain en Angleterre avec ses West African Rhythm Brothers, avec qui il se produira jusqu’en 1972. Le quatrième volume revient au spectre élargi des deux premiers volumes, passant allègrement du calypso au kwela sud-africain, au high-life d’Afrique de l’Ouest, ainsi qu’au jazz et aux musiques latinos.

Chacun de ces volumes est une occasion de découvertes, permettant de retrouver des musiques oubliées, et de suivre la manière dont les musiques afro-cubaines et africaines se sont progressivement insinuées dans la culture noire anglaise, puis dans la culture anglaise en général. En plus de rendre à nouveau accessible un répertoire d’une grande qualité, empli de vie, d’humour et d’optimisme, cette série et les livrets qui l’accompagnent est un magnifique survol d’une part méconnue de l’histoire de l’Angleterre, et un bel hommage à la diversité culturelle du pays, ainsi bien sûr qu’aux musiciens qui furent les acteurs et les passeurs de cette diversité.

Benoit Deuxant


Découvrez le projet Mondorama, une cartographie documentée des musiques du monde.

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