Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Critique

BLACKMAGIC

publié le

Partagé entre son amour du jazz « cool » et un désir non feint de surprendre, José James délivre un album soul craquant au-dessus et délicatement moelleux à l’intérieur. L’arme fatale des cœurs (à) brisés(r) ?

 

À à peine trente printemps, ce natif de Minneapolis impeccablement sapé en toutes saisons aurait pu chopper une grosse tête (à claques) à hauteur des superlatifs habituellement requis pour qualifier tout ce qui relève de sa « Big Apple » (New York) de ville d’adoption. Tombé littéralement en vocation (jazz) à l’âge de 14 ans après avoir entendu le « Take The A Train » de Duke Ellington, le jeune homme délaisse, sans jamais les renier, les héros hip-hop et soul de jeunesse (tels The Pharcyde ou Marvin Gaye…), pour se gorger de Charlie Parker, Billie Holiday, et autre Lester Young. Dès 17 ans, il passe déjà la majorité dans son temps en club tout en suivant des cours à la New School of N.Y. avec Joe Mance, dont le C.V. est bardé de références bétons tel ses impeccables états de service de pianiste pour Dizzy Gillespie. Mais au pinacle de ses figures-guides trône l’indépassable John Coltrane que José (avec accent, un casse-tête pour les utilisateurs de typologie anglo-saxonne !) James a depuis longtemps pris l’habitude de reprendre, et dont l’un des thèmes (« Equinox ») de prédilection, réarrangé par ses soins au cours d’un tremplin jazz à Londres, est capté par l’oreille affûtée de Gilles Peterson, célèbre « passeur » de musiques noires en Grande Bretagne et ailleurs, qui le signe sur son label Brownswood. Si pour d’épineuses questions de droits d’auteur, aucune de ses libres relectures de Coltrane n’aboutit sur sillons, l’Américain publie un premier album, The Dreamer, en 2008 dont la souple architecture jazzy laisse filtrer une douce et discrète brise soul.

jSorti en toute fin 2009, Blackmagic est davantage encore gorgé de cette ferveur moite, propre à une musique qui s’échappe des âmes pour irriguer les corps. Mais J.J., toujours mû par sa quête d’équilibre et d’ouverture, ajoute à son déjà si soyeux dispositif un bouquet de rondes boucles électroniques attachées à d’élégantes, fluides mais fermes armatures rythmiques qui redonnent foi en un hip-hop « soulful » et doux, intelligemment préservé du maniérisme artificiel qui dicte sa loi au R’n’B de 2010. Et en allant chercher Steve Ellison, alias Flying Lotus (qui a sa disco sur Warp) en plombier de luxe pour superviser ses aménagements de tuyauterie, l’Américain malin semble faire d’une pierre deux coups avec rebond indirect dans la zone légende(s), ce dernier étant un petit-neveu d’Alice Coltrane !

Mais à l’idée a priori séduisante correspond la relative déception de trois titres « manqués ». « Code », « Made For Love » et « Blackmagic » héritent d’une mécanique prosodique de précision qui nuit quelque peu au naturel chaloupé d’un idiome qui calque son tempo sur les oscillations gentiment chaotiques d’un cœur en proie au vertige amoureux. Face à eux, le subliminal « Lay You Down », pourtant bâti sur les mêmes postulats – un beat sourd et des clappements de mains pour l’ancrage au sol, des essaims de cuivres et un orgue trampoline pour emprunter les chemins de l’extase – et passé par les mains du discret Alex Bilowitz ne souffre d’aucune déperdition de chaleur. Pareil avec « Promise in Love » qui, même après un traitement nippon (Dj Mitsu The Beats) conserve jusqu’au bout cette étincelle née de la friction de deux matériaux dont le mélange n’est pas sans danger. Entre guimauve orchestrale et feulements simulés pour cabaret lounge, le métisse musical soul/jazz est un grand enfant atteint depuis des lustres d’hyperglycémie chronique…

Ce que n’ignore pas ce matou de José James dont l’organe vocal suffit à rameuter toutes les belles du quartier à la première minauderie susurrée. Avec ses arrangements pianistiques délicats et sa scansion retenue, « Save Your Love for Me » rejoint la liste pas si longue de ces standards (c’est une reprise) qui racontent à chaque fois la même histoire d’amour(s) contrariée(s) mais qui, par l’originalité de l’angle adopté, continue d’émouvoir. Autres exemples de bluette  barbe à papa qui se joue avec classe de l’impression de satiété, le discrètement virtuose « The Greater Good » ou encore le tête-à-tête de « Love Conversation » où sa voix de serial lover s’enroule tout autour de celle, tout à la fois mélancolique et réconfortante, de Jordana de Lovely pour une parade détachée du poids de l’instant.

Pâtissant d’un léger manque de cohérence artistique par des choix d’ouverture perfectibles, José Jame aura fort à faire de défendre la validité de sa position médiane au sein de sa nouvelle écurie (Universal Music) où sévit comme ailleurs, une autre espèce de gentleman séducteur et mélomane en voie de globalisation : le crooner jazzy/pop…

YH

logo